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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > « En corps », on en veut encore !

« En corps », on en veut encore !

Elise, à 26 ans, est une grande danseuse classique. Pendant un spectacle à Paris, La Bayadère, après avoir appris que son amoureux Julien fricote avec une autre danseuse, une certaine Blanche, elle se blesse, en se faisant une déchirure, apprenant peu de temps après qu’elle ne pourra peut-être plus jamais danser. Dès lors, sa carrière d’étoile hautement menacée, sa vie en est bouleversée. C’est alors qu’un couple d’amis lui propose de les suivre en Bretagne, au sein d’un food truck (camion entièrement ouvert sur le côté), afin de cuisiner pour une résidence d’artistes. Et ça tombe bien car arrive, sur place, une compagnie de danse contemporaine, chapeautée par le chorégraphe Hofesh Shechter, qui joue son propre rôle à l’écran, venant répéter son prochain spectacle. De fil en aiguille, malgré sa blessure, Elise prend part aux séances de répétition, cette nouvelle façon de danser lui permettant de retrouver un élan nouveau ainsi qu’une façon de vivre inédite : on assiste alors, peu à peu, à sa renaissance.

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Marion Barbeau, danseuse et comédienne, dans « En corps ».

En corps, signé Cédric Klapisch, il s’agit de son quatorzième long métrage, est vraiment un beau film, qui fait du bien par les temps qui courent, en ces temps de post-confinement suite au Covid-19 où nos corps ont longtemps été contraints et enfermés et de guerre en Ukraine où le fracas des armes se fait de nouveau entendre, malheureusement, en Europe. À la force bête et méchante et aux bombardements de brutes épaisses, ce film, au contraire, met en avant non seulement la grâce et la légèreté mais aussi la fragilité, nos failles, sur fond de résilience (accepter ses faiblesses pour en faire une force), et c’est beau à voir. Car c’est une belle leçon de vie et de courage, ce film prenant rapidement des airs de parcours initiatique et de roman d’apprentissage.

Comme à son habitude, le cinéaste Klapisch, dont on connaît sa passion débordante pour la jeunesse, du Péril jeune à L’Auberge espagnole via Les Poupées russes et autres Casse-tête chinois, filme, de manière très inspirée, tous ces corps de jeunes gens débordant d’énergie et de vitalité, d’autant plus qu’il leur offre un heureux contrepoint avec le corps cassé de la jeune danseuse Elise et la jambe boiteuse de Muriel Robin, campant ici, munie d’une canne, une mécène bienveillante, bonne fée boiteuse qui s’enivre du talent des autres ; sa joie à voir la beauté et la singularité chez les autres est vite contagieuse. Et chose nouvelle chez Klapisch, en ce sens qu’il lui offre TOUT un film de fiction, ce réalisateur français filme magistralement la danse, aussi bien la classique que la contemporaine en s’autorisant également une embardée bienvenue vers le hip-hop, via la séquence de battle entre danseurs chevronnés au Centquatre, centre culturel pluridisciplinaire parisien ; le danseur Mehdi Baki (cf. photo, qui joue au passage l’amoureux discret de l’héroïne dans le film), virevoltant à souhait, y est épatant.

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Portrait de Mehdi Baki, danseur et acteur, dans « En corps », photo V. De., mars 2022, au sein de l’expo photo Cédric Klapisch & Emmanuelle Jacobson Roques, « Fixer le mouvement », jusqu’au 30 avril 2022, galerie Cinéma (Anne-Dominique Toussaint), Paris.

Ce n’est pas la première fois que Klapisch filme la danse, cet art du mouvement qui va de pair avec cet autre art du mouvement, doublé de sa captation, qu’est le cinéma : qu’on se souvienne de son documentaire consacré à Aurélie Dupont en 2010, L’Espace d’un instant, de son intérêt à filmer un ballet classique au Théâtre Marrinsky à Saint-Pétersbourg pour Les Poupées russes en 2005 ou encore de la réalisation de captations plus récentes pour l’Opéra de Paris. Mais là, la danse, il lui donne vraiment la part belle et cela lui réussit pleinement - d’ailleurs, détail révélateur, Cédric Klapisch apparaît, dans un caméo, en régisseur de ballet au tout début de son film, il annonce ainsi la couleur : il est celui qui va tirer les ficelles pour orchestrer un spectacle haut en couleur autour de la danse, sous toutes ses formes. Dans la séquence magistrale de l’ouverture muette du film (dix minutes dévoilant à l’Opéra Garnier la représentation du ballet de La Bayadère et ses coulisses), il faut voir comment il filme avec soin, et délicatesse, secondé par la superbe lumière en clair-obscur de son directeur de la photographie Alexis Kavyrchine, les corps en mouvement ou à l’arrêt, dans la lumière des projecteurs, on se croirait chez Degas, et il y a également ce très beau plan captant en plongée, façon vol de cygnes, des tutus de ballerines en mouvement. C’est visuellement splendide.

Pas impossible qu’avec cet En corps, feel good movie clairement animé du goût des autres et de la passion pour la danse, le cinéaste Klapisch signe son meilleur film, en tout cas le plus inspirant. De ce réalisateur qui, avouons-le, n’a pas vraiment de style, mais qui sait habilement capter l’air du temps avec ses films choraux, pas loin par moments, je dirais, d’un Steven Soderbergh à la française, j’aimais surtout, jusqu’à présent, son polar attachant Ni pour ni contre (bien au contraire), 2003, avec Marie Gillain, Vincent Elbaz, Simon Abkarian et Zinedine Soualem : film de hold-up qui forcément, à un moment donné, va rencontrer son grain de sable, ou caillou dans la chaussure, le tout étant accompagné par une BO, signée Loïc Dury, Charlie O et Mathieu Dury, des plus grisantes. Petite précision : Le titre du film était inspiré de la citation « Je ne suis ni pour, ni contre, bien au contraire », attribuée à l'humoriste français tant regretté Coluche. Concernant En corps, disons, qu’à quelques exceptions près - certes, le film n’est pas exempt de clichés (la fille qui a encore besoin de l’aval de son papa pour exister en tant qu’artiste) et de répliques par moments un peu faciles, les blagues répétées sur les végans -, je suis carrément… pour ! Du 4,5 sur 5 pour moi. Car il s’avère globalement enthousiasmant, pour plusieurs raisons.

D’une part, l’actrice principale Marion Barbeau, qui n’est « que » danseuse au départ (c’est, pour cette première danseuse à l’Opéra de Paris, son premier rôle au cinéma), est une révélation, lumineuse et innocente, avec ses airs de chat, elle crève littéralement l’écran. À la toute fin du film, on l’entend dire : « Chère maman [sa mère est morte prématurément], tu m’avais dit juste avant de partir : profite de toutes les vies que la vie peut te donner. Aujourd’hui, je commence une nouvelle vie. » Malgré sa blessure ligamenteuse, il faut, tant bien que mal, qu’elle avance. Alors, Elise, elle court, elle court, dans Paris (ville chère au metteur en scène), vers son chéri Mehdi, dont elle est très éprise, et vers son nouveau spectacle de danse (contemporaine), et on la suit car elle est belle à voir, et on l’aime avec ses failles, son innocence, ses élans intimes, ses doutes puis ses fulgurances ! Et, au passage, vite, à la prochaine cérémonie des récompenses du cinéma hexagonal, le César du Meilleur espoir féminin pour Marion Barbeau, danseuse qui se meut, et mute, sous nos yeux en actrice pour notre plus grand plaisir cinéphile !

D’autre part, tous les seconds rôles sont épatants, aussi bien les aînés, avec une Muriel Robin habitée malicieusement par son personnage attachant flanqué d’une canne, Josiane, et un Denis Podalydès jouant subtilement un père veuf et pudique qui ne jure que par les choses de l’esprit au détriment de l’expression corporelle, que les « jeunes pousses », tels François Civil absolument irrésistible en masseur-kinésithérapeute new age amoureux transi (à chacune de ses apparitions, il entraîne des rires en cascade dans la salle et, chose rare, au MK2 Odéon, Paris, où j’ai vu En corps, les spectateurs, pour la plupart ont applaudi le film au générique final) et Pio Marmaï, formidable en jeune cuistot passionné, tout feu tout flamme, mimant au ralenti, à un moment donné, et avec infiniment de drôlerie, un massacre de film d’horreur à la sauce tomate sur fond de chorale religieuse.

Enfin, en se jouant non pas d’oppositions mais de correspondances entre la cuisine et la danse, le terrien et l’aérien, la danse contemporaine et le ballet classique, ce film crossover, adepte des grands écarts (mélange réussi entre hip-hop trépidant et tutu pas si cucul), ne met pas en avant la quête de perfection - on a ainsi en souvenir la sortie célèbre du génial Dalí (« Ne craignez pas d'atteindre la perfection, vous n'y arriverez jamais !  ») -, mais a contrario, en prenant en quelque sorte le contrepied d’un Black Swan qui focalisait sur la compétition exacerbée via les figures de style codifiées, le méchant professeur de ballet et le rapport psychotique des danseuses à leurs rôles aux destins tous tragiques, le work in progress du studio, le dur labeur, les ratages, l’inachevé, la sueur, l’intimité, l’entraide, le bricolage, la spontanéité, l'inattendu, l'incongru, l’organique, la fragilité. Aussi, selon moi, c’est un film qui pourrait être montré dans les écoles, car il toucherait sans aucun doute nombre de jeunes gens qui, possiblement atteints de phobie scolaire parce que craignant de ne jamais bien faire, pourraient – enfin - s’autoriser l’erreur, la fausse note, le mal fait, la sortie de route, l’accident de parcours ; le mot de la fin au chorégraphe Hofesh Shechter (qui dit ceci à Elise dans le film, toute déboussolée à l’idée que son corps, salement blessé, la lâche) : « La danse contemporaine n’est pas la perfection, les doutes et les peurs sont intéressants. » Voilà, c’est noté, la fragilité devient une force !

Bref, je vous conseille vraiment ce film populaire qu’est En corps car, entre rires et larmes, comédie et tragédies musicales, grâce et dérapage, il fait un bien fou, nous rappelant que nous sommes vivants donc faillibles ! 

En corps (Fr., 2022, 2h) de Cédric Klapisch, avec Marion Barbeau, Pio Marmaï, Hofesh Shechter, Muriel Robin, en salle depuis le 30 mars dernier.

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Affiche promotionnelle pour le dernier Klapisch, actuellement au cinéma.

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2 réactions à cet article    


  • SUR1NUAGE 6 avril 2022 05:45

    Bravo , pour cette superbe presentation du film....a voir sans aucun doute...


    • Vincent Delaury Vincent Delaury 6 avril 2022 08:52

      @SUR1NUAGE Merci pour ce retour. Ce film, à la fois populaire et élégant, avec une belle leçon de vie au passage (mettre en avant le pas de côté, faire de sa fragilité une force), mérite d’être vu, selon moi. Car faisant vraiment du bien. smiley

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