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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Alain Resnais et l’esprit d’innovation

Alain Resnais et l’esprit d’innovation

« Le scénariste m’apporte une matière dramatique que la mise en scène utilise très concrètement et très librement pour en faire un spectacle. » (Alain Resnais).



Le réalisateur français Alain Resnais est né il y a 100 ans, le 3 juin 1922, à Vannes, et il est mort le 1er mars 2014 à 91 ans. Un des représentants de la Nouvelle Vague dont il s’est éloigné rapidement, il est un cinéaste majeur de l’après-guerre dont l’originalité a guidé de nombreux réalisateurs.

Avant ses films, regardons très rapidement les nombreuses récompenses qu’il a reçues tout au long de sa vie. Il a été l’un des réalisateurs les plus reconnus en France mais aussi à l’étranger. L’étranger d’abord : il a reçu entre autres un Oscar du meilleur court métrage (1950), trois prix de la Mostra de Venise (Lion d’or en 1961, prix de la critique internationale en 1963, Lion d’argent en 2006), un prix spécial de la BAFTA (1960), trois prix des Berlinales (deux Ours d’argent en 1994 et 1998, le prix Alfred Bauer en 2014, peu avant sa mort)… et en France, huit Prix Méliès (1959, 1961, 1966, 1977, 1980, 1993, 1997, 2006), trois Prix Louis-Delluc (1966, 1993, 1997), un Prix Henri-Langlois (2007), trois prix du Festival de Cannes (Grand Prix du jury et prix de la critique internationale en 1980, prix exceptionnel du jury en 2009)…

Et bien sûr, des Césars : trois Césars du meilleur film (1978, 1994, 1998) et cinq autres nominations, deux Césars du meilleur réalisateur (1978, 1994) et six autres nominations, mais aussi les très nombreux Césars que les acteurs qu’il a sélectionnés pour ses films ont reçu à cette occasion : Sabine Azéma, André Dussollier, Pierre Arditi, Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri, etc. Les techniciens aussi ont été parfois récompensés dans ses films, deux Césars pour son chef décorateur Jacques Saulnier, un César du meilleur montage pour ses monteurs Albert Jurgenson et Hervé de Luze, etc.

Ce qui étonne, c’est la régularité de ses récompenses, du début à la fin de sa carrière, il a toujours été célébré pour des films pourtant très différents. Son métier était metteur en scène, il ne voulait pas, au contraire de nombreux réalisateurs plus jeunes, faire autre chose que la mise en scène, il ne voulait pas toucher au scénario, ni jouer dans ses films. Il ne se considérait donc pas l’auteur de ses films, juste l’animateur, le monteur. Il ne voulait pas non plus adapter une œuvre littéraire déjà publiée car il a toujours été déçu par ces tentatives (sauf s’il s’agit d’une pièce de théâtre). En revanche, il a choisi très précisément ses scénaristes, des pointures littéraires, avec une trame de l’histoire travaillée au préalable. Plus généralement, il se permettait de l’improvisation au tournage parce qu’il connaissait très bien le sujet en amont.

Excellent chef d’équipe, il laissait beaucoup de marge de liberté à ses acteurs, parfois en ne dévoilant les dialogues qu’au dernier moment pour pouvoir garder leur spontanéité. Fidèle, Alain Resnais a fait tourner dans plusieurs de ses films, les mêmes acteurs, ceux cités précédemment, aussi Géraldine Chaplin, Michel Piccoli, Fanny Ardant, Claude Rich, Delphine Seyrig, Lambert Wilson, Gérard Depardieu, Anne Consigny, Anny Duperey, etc.

Les premières œuvres d’Alain Resnais furent de nombreux documentaires ou de fictions de courte ou moyenne durée.

1. "Van Gogh" (sorti en 1948), de 18 minutes, avec la voix de Claude Dauphin en narrateur, est l’un des premiers films sur l’art. C’était une commande et Alain Resnais s’est appuyé sur le critique d’art Gaston Diehl. Il a été récompensé à la Mostra de Venise et par un Oscar. Alain Resnais a expliqué à sa sortie : « Cette expérience d’ordre dramatique et cinématographique n’a donc rien à voir avec la critique d’art, encore moins avec la biographie scientifique. Nous avons volontairement sacrifié l’exactitude historique au bénéfice du mythe de Van Gogh. ». Le noir et blanc servait aussi à mieux reproduire « l’architecture tragique de la peinture » du maître pour comprendre ce qui l’a mené au suicide.

2. "Guernica" (sorti le 6 juin 1951), en collaboration avec le réalisateur Robert Hessens, est une fiction documentaire de 13 minutes sur le massacre du 26 avril 1937, inspirée du célèbre tableau de Picasso, avec pour scénariste Paul Éluard, et la voix de Maria Casarès.

Au-delà de Van Gogh et Picasso, Alain Resnais a consacré ses premiers documentaires aux artistes, en particulier Hans Hartung, Oscar Dominguez, Lucien Coutaud, Gauguin, Gershwin, etc.

3. "Nuit et Brouillard" (sorti le 22 mai 1956), est un documentaire poignant de 32 minutes sur la déportation et l’extermination des Juifs par les nazis. Commandé par un organisme public dirigé par l’historien Henri Michel à l’occasion des dix ans de la libération des camps d’extermination, Alain Resnais a été choisi parce qu’il était nouveau (et qu’il ne demandait pas trop de moyens) et surtout, parce qu’il avait déjà été primé pour d’autres documentaires. Il a accepté sous condition d’y avoir un scénariste connaisseur, qui fut l’ancien résistant et ancien déporté à Mauthausen, Jean Cayrol, écrivain (Prix Renaudot 1947). Le narrateur est Michel Bouquet, dans une voix monocorde qui fait contraste avec l’horreur de ce qui est raconté. C’est l’un des premiers films portant sur les camps d’extermination. Le documentaire a été utilisé comme matériel scolaire dans les collèges, mais il a connu aussi beaucoup de détracteurs (et même au début la censure pour certaines images) car il évoquait la responsabilité des gendarmes français dans la déportation et aussi, on considérait que ce film allait contre le processus d’amitié franco-allemande en rappelant ces heures sombres. La principale critique, de taille mais répondant au contexte de l’époque, le film n’insiste pas sur le fait qu’il s’agissait de la Shoah et principalement des Juifs qui étaient assassinés. Les paroles de Jean Cayrol sont très fortes même si elles ont pu être exagérées sur le nombre : « Neuf millions de morts hantent ce paysage. Qui de nous veille de cet étrange observatoire, pour nous avertir de la venue des nouveaux bourreaux ? ». Avec la guerre en Ukraine, cette phrase garde toute son actualité.

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À partir de la fin des années 1950 et début des années 1960, et pendant près de six décennies, Alain Resnais a réalisé plus d’une vingtaine de longs-métrages, pour la plupart salués par la critique et par le public. Et toujours avec cette volonté de faire du scénario l’élément fort du film, en demandant à de grands écrivains de s’en charger. Beaucoup de titres de ses films sont "cultes" (les films eux-mêmes aussi bien sûr) et font partie intégrante désormais du patrimoine culturel français. Je ne ferai qu’évoquer très rapidement certains d’entre eux.

4. "Hiroshima mon amour" (sorti le 10 juin 1959) sur un scénario de Marguerite Duras (initialement, on avait demandé à Françoise Sagan puis à Simone de Beauvoir), avec Emmanuel Riva, Eiji Okada et Bernard Fresson. Cela commence comme ses précédents documentaires sur l’explosion nucléaire, cela se poursuit sur le thème de la mémoire, de l’amour et de la mort. Ce film, considéré comme un chef-d’œuvre, a fait la réputation d’Alain Resnais. Certains ont pensé que ce film faisait dans l’anti-américanisme dans la mesure où ce sont les Américains qui ont détruit Hiroshima et Nagasaki. Jean-Luc Godard aurait voulu réaliser un tel film et en a été jaloux, tandis que Claude Chabrol a parlé du plus beau film qu’il a vu « depuis 500 ans » ! Alain Resnais fut aussi soutenu par André Malraux, alors Ministre des Affaires culturelles, et dix ans plus tard, son beau-père, puisque Alain Resnais allait épouser la fille de celui-ci, Florence Malraux, par ailleurs son assistante de réalisation.

5. "L’année dernière à Marienbad" (sorti le 29 septembre 1961) fut scénarisé par Alain Robbe-Grillet (d’après un roman argentin), avec dans le premier rôle Delphine Seyrig. Les séquences alternées de rêve et de réalité ont servi de modèle à beaucoup de films ultérieurs (jusqu’à "Inception" dont le réalisateur Christopher Nolan n’avait pourtant pas vu le film avant d’avoir monté le sien). C’est l’histoire d’un homme qui rencontre une femme qu’il prétend avoir déjà rencontrée l’année précédente en lui laissant un an pour prendre la décision de partir avec lui. Par ce rythme inhabituel, le film a suscité des critiques, en particulier de snobisme intellectuel.

6. "Stavisky" (sorti le 15 mai 1974) est un film d’Alain Resnais assez différent. Toujours aussi excellent, il raconte l’histoire d’un escroc célèbre qui a provoqué l’une des crises politiques les plus importantes de la Troisième République (l’affaire Stavisky a en effet provoqué les émeutes d’extrême droite du 6 février 1934). Encore une fois, le scénariste est un écrivain de grande pointure, Jorge Semprun, et le casting également : Jean-Paul Belmondo est Stavisky, François Périer, Michael Lonsdale, Anny Duperey, Claude Rich, Pierre Vernier, Roberto Bisacco, Charles Boyer… et même Niels Arestrup et Gérard Depardieu (en très jeune porteur de projet). Alain Resnais n’a pas approfondi l’aspect politique de l’affaire, mais plutôt son aspect psychologique. Jean-Paul Belmondo a très mal supporté les critiques sur son personnage : « Dans "Stavisky", ils me reprochaient d’être sympathique. Mais vous connaissez un escroc antipathique, vous ? Un escroc antipathique, il n’escroque personne ! ». Une réflexion à méditer.

7. "Mon oncle d’Amérique" (sorti le 21 mai 1980) est encore un film qui a marqué l’histoire du cinéma par son originalité de "film comportementaliste". Basé sur les travaux du professeur Henri Laborit (qui intervient dans le film), sur les comportements humains ou animaux (réaction à la peur, etc.), le film se découpe en plusieurs séquences de plusieurs histoires avec des parallèles entre les relations humaines et la réaction des souris. La manière de monter le film y est très importante pour accompagner les récits et les démonstrations. De nombreux acteurs ont joué dans ce film, en particulier Nicole Garcia, Roger Pierre, Gérard Depardieu, Pierre Arditi (début d’une longue collaboration avec le réalisateur), Marie Dubois, etc. C’est aussi l’occasion de la première apparition au cinéma de Catherine Frot.

8. "Smoking/No smoking" (sorti le 15 décembre 1993) est scénarisé par Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri. L’innovation dans ce film, au-delà des récits à tiroirs, c’est qu’Alain Resnais a monté une sorte de roman dont vous êtes le héros : les histoires changent selon que l’héroïne, jouée par Sabine Azéma (en duo avec Pierre Arditi), fume ou ne fume pas (une autre manière d’expliquer la physique quantique !). Le film, pour sa rigueur et sa fantaisie, a été récompensé par cinq Césars (neuf nominations en tout). Au tournage, Sabine Azéma était déjà la muse du réalisateur et les deux allaient se marier une quinzaine d’années plus tard.

9. "On connaît la chanson" (sorti le 12 novembre 1997) avec toujours le couple Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri au scénario, a repris l’idée esquissée d’un précédent film d’Alain Resnais "La vie est un roman" (sorti le 20 avril 1983), à savoir que chaque acteur chante une chanson à propos, en fonction des situations. L’histoire est une comédie de mœurs avec des couples, des jalousies, des séductions, etc. excellemment bien servie par les acteurs : Sabine Azéma, André Dussollier, Pierre Arditi, Jean-Pierre Bacri, Agnès Jaoui, Jane Birkin, Lambert Wilson… et on y aperçoit, dans des petits rôles, notamment Jacques Mauclair, Jean-Pierre Darroussin, Claire Nadeau et Charlotte Kady. Plus récompensé que "Smoking/No smoking", "On connaît la musique" a reçu sept Césars (douze nominations au total).

10. "Les Herbes folles" (sorti le 4 novembre 2009), inspiré d’un roman de Christian Gailly, est une histoire d’amour fantasmée d’un homme (André Dussollier) qui trouve le portefeuille volé d’une femme (Sabine Azéma), avec un casting privilégié : .Emmanuelle Devos, Anne Consigny, Michel Vuillermoz, Michel Amalric, Annie Cordy, Édouard Baer, Sara Forestier, etc. avec des apparitions de Roger Pierre, Jean-Michel Ribes, etc.

11. L’avant-dernier film d’Alain Resnais "Vous n’avez encore rien vu" (sorti le 26 septembre 2012), librement inspiré de la pièce "Eurydice" de Jean Anouilh, semble une imbrication à plusieurs niveaux de comédiens d’une même pièce de théâtre. On y retrouve Sabine Azéma, Anne Consigny, Lambert Wilson, Pierre Arditi, Mathieu Amalric, Michel Piccoli, Anny Duperey, Denis Podalydès, Hippolyte Girardot, Michel Vuillermoz, Michel Robin, etc.

Comme on le voit, Alain Resnais a d’abord été un chef d’orchestre, compétent dans la coordination d’une équipe : « Un art à plusieurs, où il est convenu qu’un élève puisse finir le travail du maître, pourvu qu’il en respecte l’esprit. ». Son centenaire est donc l’occasion de lui rendre hommage. La Cinémathèque française avait déjà proposé une rétrospective de son œuvre du 3 au 29 novembre 2021 à Paris.

Pour Claire Vassé, critique de cinéma : « Alain Resnais (…) a tissé une œuvre qui permet de repenser la place de l’humain dans le monde moderne. Contrairement à la plupart de ses contemporains de la Nouvelle Vague, Resnais a fait des traumatismes de son siècle la matière première de la plupart de ses premiers films (…). Il l’a surtout fait d’une manière très moderne : non pas en représentant directement les événements mais en témoignant de leur répercussion existentielle sur la nature humaine. (…) Non pas témoigner d’une réalité ou d’un temps menacé de tomber dans l’oubli mais faire vibrer les possibles de l’existence humaine. ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (29 mai 2022)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Alain Resnais.
Julie Gayet.
Johnny Depp.
Amber Heard.
Shailene Woodley.
Gérard Jugnot.
Alain Delon.
Alfred Hitchcock.
Brigitte Bardot.
Charlie Chaplin.

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8 réactions à cet article    


  • Clark Kent Séraphin Lampion 4 juin 2022 11:52

    Vivement un article sur Toutankhamon !


    • Décroissant 4 juin 2022 12:09

      @Séraphin Lampion
      Pas loin !

      Stratégie édredon pré-électorale : un article soporifique déconnecté de l’actualité, puis une tranche de propagande dithyrambique. Pour la renaissance, on repassera...


    • Clark Kent Séraphin Lampion 4 juin 2022 12:21

      @Décroissant

      Tiens, au fait, y a-t-il une différence entre Renaissance et résurrection ?


    • Décroissant 4 juin 2022 13:01

      @Séraphin Lampion
      Au vu de l’encéphalogramme programmatique étique, la résurrection macronienne (revenir au-delà des limbes) peine à se transformer en Renaissance pour le commun des mortels …

      Attendons-nous à ce que la licence Rako et Cie nous explique que la chenille va se transformer en papillon.


    • Rinbeau Rinbeau 4 juin 2022 15:13

      @Séraphin Lampion

      Juste une question d’époque mon p’tit Milou ! qu’ils disent..


    • Rinbeau Rinbeau 4 juin 2022 15:15

      @Séraphin Lampion

      TOUTTANKCAMION serait plus d’actualité mon p’tit Milou !


    • Rinbeau Rinbeau 4 juin 2022 15:56

      @Rinbeau

      Renaissance c’est grosso merdo l’an 1500 !
      Résurrection c’est grosso merdo l’an zéro plus 33 si je ne m’abuse ! (en tout bien tout honneur) ! Même si on ne sait pas où mettre l’an zéro ! Mais comme personne ne se pose jamais la question.. 


    • ETTORE ETTORE 4 juin 2022 13:45

      Dites Rakotonanobis....

      Parler du 7ème art, et pas être foutu de mettre des photos, autre qu’avec une définition de portrait robot.....C’est pas folichon quand même !.

      Allez, faites valoir vos droits à la formation.

      Votre Poudré Pendant-if, vous doit bien cette faveur.....

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