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Accueil du site > Tribune Libre > Procrastination inégalitaire

Procrastination inégalitaire

 

Nos gouvernements tardent à s'occuper du problème de creusement des inégalités.

Une nation incapable de contrôler son niveau d’inégalité est suicidaire.

 

L’accroissement des inégalités a été accepté aussi longtemps qu’il dégageait des capitaux dont l’investissement provoquait une élévation du niveau de vie général de la population et, donc, un développement de la classe moyenne et une résorption du prolétariat. Ce n’est plus le cas, la classe moyenne s’étiole, peu à peu les travailleurs basculent dans la pauvreté et un demi milliers de Français les plus riches détiennent désormais plus de mille milliards d’Euros et doublent leur patrimoine à peu près tous les deux quinquennats.

 

L’égalitarisme a bien évidemment montré ses limites, faible dynamisme économique, dérive vers le totalitarisme, mais, à l’opposé, l’intégrisme inégalitaire n’est pas moins critiquable. On peut lui attribuer la responsabilité de nos délocalisations, de notre perte d’indépendance et de compétence, de notre démotivation et du cancer administratif qui nous ronge. Quand on ne sait pas créer de richesse on s’organise pour optimiser le parasitage. Parasitage désormais institutionnalisé.

 

L’économie ne se limite pas à la logique d’investissement. Pour faire une économie il faut de la créativité, de l’intérêt public, de l’investissement et du travail. L’investissement n’est pas la clef unique et exclusive de l’économie, l’attractivité financière n’est pas la condition indépassable du réalisme de tout projet. La politique réduite à picorer dans l’assiette des maigres pour suralimenter les obèses n’en est pas une et ne tient, socialement, qu’au prix d’un effort de redistribution quasi soviétique entre petits riches et moins riches...pour ne surtout pas affronter la question de la confiscation monopolistique des richesses collectivement produites...ni celle de la médiocre efficacité d’un système exclusivement centré sur la rentabilité des capitaux investis. Si la redistribution est indispensable pour secourir les accidentés de la vie, elle n’est pas l’outil approprié pour rétablir la justice sociale qui nécessite, en amont, une distribution plus équitable des résultats entre capital et travail. L’inflation des petits chèques d’assistance est coûteuse et inefficace, sauf pour l’épanouissement de l’administration. Coûteuse car financée par l’emprunt et par les couches productives de la population, inefficace car douloureuse pour les contributeurs, humiliante pour les assistés, démotivante pour la dynamique économique et sans effet sur la systémique fondamentale. Ce n’est qu’un cosmétique addictif. Rien ne vaut un salaire permettant a priori de vivre décemment. Mais la compression de la masse salariale est devenue une des clefs primordiales de la rentabilité des capitaux investis.

La prédominance de l’investissement n’a été inventée, théorisée sous attractivité et organisée en forme de management, que pour permettre la captation, par les gros investisseurs, d’une partie jamais suffisante des richesses crées par l’économie. La faillite du management qui n’a d’autre but que de maximiser la rente, est désormais bien visible dans les hôpitaux, dans les friches industrielles, dans le déséquilibre du commerce extérieur et dans la létalité des recettes de restructuration impavidement servies par les cabinets de conseil. Un partage plus efficace des richesses entre partenaires de l’économie devrait être l’objectif de toute politique publique, bien que la mise en place de telles mesures se complique des contraintes liées à notre intégration dans l’union européenne sous influence Allemande.

 

La procrastination des gouvernements à nommer, évaluer et maîtriser ce problème d’explosion de l’injustice n’est pas compréhensible (mais explique certainement la crise de démocratie qui se généralise).

 

Bien entendu on ne peut pas résoudre cette équation en se contentant de décréter la revalorisation des salaires (ou la participation aux résultats), il faut d’abord créer les conditions de cette revalorisation : prévenir la fuite des capitaux, donc s’attaquer au libre échange. Il y a la méthode contraignante, nationalisations et contrôle des changes, un peu désuète. L’autre méthode consiste à réserver les licences pour activités commerciales sur notre territoire national aux seules personnes, physiques ou morales, qui investissent localement et payent localement des impôts, en quantité raisonnable. Pour ceux qui voudraient vendre leur production dans notre pays sans y investir, il reste la solution de Maurice Allais, mise à l’encan de quotas d’importation annuels. Par exemple droit d’importer 100 000 voitures étrangères, valable un an et au plus offrant. Ces solutions bousculent les traités de libre échange, mais, vu les niveaux de déficit extérieur qu’ils ont déclenchés, nous devrions pouvoir plaider que nul n’est censé persister dans la complaisance morbide.

 

L’idée selon laquelle il y aurait une extrême gauche, redistributrice, une extrême droite, protectionniste, et, entre les deux, un « cercle de la raison », est une imposture. Pour l’heure, entre les extrêmes gauche et droite, il n’y a que l’extrême fric. Entre la « dangereuse redistribution » et le « dangereux isolement », il n’y a que l’abyssale confiscation des résultats, du pouvoir et du patrimoine planétaire, dissimulée sous une redistribution cosmétique, ni moindre ni vénielle, et sous prétexte d’un « libre échange » totalement contraint et manipulé. La caricature n’est pas pertinente et devrait surtout caractériser ce soi disant cercle de la raison qui n’a de raison que celle du plus fort.

 

Mais où placer la barre entre médiocrité égalitariste et intégrisme inégalitaire ?

D’aucuns voudraient définir le niveau des seuils de l’indécence, c’est une position morale et c’est difficile à quantifier.

D’autres se contenteraient d’une approche pragmatique, inverser la tendance inégalitaire et maintenir l’effort jusqu’à la réapparition d’un essor des classes moyennes et d’une régression de la misère. Il n’y a pas de relation de cause à effet vous diront les intégristes. C’est faux, historiquement, la relance par la consommation est factuelle, sauf en contexte de libre échange. Le problème n’est pas celui de l’arithmétique économique, mais celui du partage du pouvoir : lorsque l’actionnaire, ou son mandataire, détient l’exclusivité du pouvoir de décision, premièrement il rechigne à le partager, deuxièmement il craint que ce pouvoir puisse servir d’autres buts que sa propre rente. Au delà du partage des fruits de l’activité se pose inexorablement la question de l’exercice collectif du pouvoir dans l’intérêt commun. Une évolution aussi drastique n’est ni facile à instituer ni facile à assimiler, il y a sans doute autant d’efforts à déployer pour banaliser la limitation des droits liés à la possession des outils de production qu’il en fallut pour abolir la possession d’êtres humains par d’autres êtres humains. Le résultat de ces deux possessions est cependant le même : la confiscation en grande partie des richesses produites. Afin de réguler le pouvoir des investisseurs, il faudra vraisemblablement commencer par limiter, au strict nécessaire, la taille des entreprises et des groupes. Bien sûr il faut plus de moyens pour produire un avion de ligne qu’une baguette de pain, mais quel est l’intérêt de groupes monopolisant, par exemple, des secteurs entiers de l’activité agroalimentaire ?

 

Une nation riche en producteurs indépendants n’est elle pas plus heureuse qu’une nation chargée en sous-traitants ?

En outre les situations sont diverses, celle du véritable entrepreneur dont le talent et l’implication sont déterminants, diffère de celle du repreneur, fond de pension ou fond spéculatif, qui n’ont rien d’autre à apporter que leur « science de la restructuration », nonobstant les questions d’indépendance nationale et d’intérêt public.

 

En sus des difficultés liées à la nature de nos engagements vis à vis de l’Europe et des autres nations, de celles que ne manqueront pas de nous créer les puissantes minorités possédantes et de la diversité des contextes à prendre en compte, il faut aussi considérer l’incapacité des diplômés des écoles d’administration et de management à percevoir la criticité de cette question de l’explosion des inégalités, tout piégés qu’ils sont dans leur logique de l’attractivité. Or ce sont ces diplômés là qui ont monopolisé le pouvoir politique et qui ne savent, ou ne veulent, rien faire d’autre qu’organiser la course mortelle à la compétitivité.

Statistiquement, la compétition n’est qu’une fabrique de perdants tandis que ceux qui détiennent les règles du jeu, eux, s’efforcent de ne surtout pas concourir.

 

Mais la survie est une compétition qui ne peut se jouer qu’en équipe, gardons nous d’écouter les sirènes des navigateurs solitaires.

 

 

Jean Marie

 


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9 réactions à cet article    


  • sylvain sylvain 9 juillet 2022 21:29

    Nos gouvernements tardent à s’occuper du problème de creusement des inégalités.


    J’aurais dis qu’ils s’en occupent tous les jours, et que ça avance très bien .


    • Lynwec 10 juillet 2022 07:37

      Ce n’est pas un retard, résoudre ce problème n’a jamais figuré dans le projeeeet ....


      • sylvain sylvain 10 juillet 2022 14:22

        @Lynwec
        ce n’est donc pas un problème


      • xana 11 juillet 2022 12:37

        @sylvain
        Ben tu vois qu’on peut être d’accord.



        • Parrhesia Parrhesia 10 juillet 2022 15:11

          >>> La procrastination des gouvernements à nommer, évaluer et maîtriser ce problème d’explosion de l’injustice n’est pas compréhensible...<<<

          Cette procrastination devient plus vite compréhensible dès lors que l’on a compris qu’à quelques exceptions près, les gouvernements des pays occidentaux sont désormais composés de personnalités sévèrement sélectionnées, et de longue date, en fonction de leur compatibilité avec le capitalisme financiarisé !!!



          • xana 11 juillet 2022 12:42

            @Parrhesia

            Oui, ce qui m’étonnera toujours c’est quand les gens redécouvrent l’eau chaude.

            Ils croient mordicus à la démocratie et se figurent qu’on puisse y être élu pour servir le peuple.
            La démocratie n’est pas une idiotie, mais il faut être idiot pour croire que nous sommes en démocratie.


          • Parrhesia Parrhesia 11 juillet 2022 14:22

            @xana
            Je retiens particulièrement votre dernière phrase.
            Elle représente l’une des clés les plus importantes de la désastreuse situation des restes de la France au sein de l’actuelle contre-europe.
            Merci d’être passé.


          • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 11 juillet 2022 14:37

            Le totalitarisme c’est : ferme ta gueule et la démocratie : cause toujours... 

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Jean Marie


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