Alimentation industrielle : peut-on manger tranquille ?
80 % des aliments vendus en grande distribution proviennent de l'industrie agroalimentaire. Plats sous vide, légumes en boîte, viennoiseries... Un gain de temps et des prix imbattables, certes. Mais peut-on vraiment manger sereinement ?
Terminé, gâteaux et cakes de l'enfance dont on pouvait lécher la pâte restante tandis qu'ils cuisent au four. Fini les carottes, dont on vient juste de retirer la terre fraîche, qui accompagnent le bœuf nourri et élevé dans la ferme voisine. Des simples légumes en boîte au très élaboré croque-monsieur sous vide, les aliments les plus consommés sont trouvables en un éclair et à des prix défiant toute concurrence. Et surtout, comble de la praticité, ils sont réunis au même endroit : le supermarché. Alors asseyez-vous et détendez-vous, c'est William qui cuisine.
Selon l'Insee, l'industrie agroalimentaire est une grande famille, dont les membres ont un point commun : transformer et conditionner des produits agricoles bruts en aliments. Les profils sont donc variés, des boulangeries et charcuteries de quartier aux grands groupes. 54 899 entreprises composaient ce secteur économique en 2019 : 88,4 % sont des Micro-entreprises, 11 % des petites et moyennes entreprises et seulement 0,6 % sont de grandes entreprises ou de taille intermédiaire[i]. Cette dernière catégorie amasse pourtant 78,6 % du chiffre d'affaires hors taxes du secteur, soit plus de 166 milliards d'euros. (Insee, 2021)
Ce qui interroge, ce sont les pratiques mise en œuvre pour produire des aliments ultra-transformés à grande échelle et avec de nombreux intermédiaires. Prix compétitif, temps de préparation des repas réduit et sécurité alimentaire, les promesses savent séduire. Au risque peut-être de nous faire oublier l'essentiel : un procédé industriel a pour objectif de produire des biens de consommation en optimisant et en automatisant leur production, dans le but d'être, économiquement parlant, le plus viable possible. William cuisine, certes, mais il y trouve son intérêt.
Quelles sont les méthodes des industriels ?
Le « cracking alimentaire » est une technique industrielle permettant de séparer les différents composants de denrées brutes, comme le lait ou le blé. Les ingrédients obtenus (caséine, lactosérum, gluten, amidon, sirop de glucose...), permettent la création de nouveaux aliments : les ultra-transformés. Résultat ? Des aliments qui n'en sont pas, puisqu'ils ont été complètement dénaturés. L'aliment n'est plus perçu comme un ensemble complexe dont les composants agissent en synergie. Imaginez deux joueurs de hockey, cinq danseurs, trois cavaliers et un pianiste sur un terrain de football : ils auront beau faire de leur mieux, peu de chances qu'ils remportent le match.
Si le « cracking alimentaire » présente un réel intérêt économique, ce n'est pas le seul moyen de faire baisser les prix. Pour produire un plat déjà cuisiné à un prix abordable, des coupes sont nécessaires, en particulier sur la qualité des matières premières utilisées. Le « minerai » (viande hachée) peut être produit à base de nerfs et de graisses, que jamais on ne verrait être sublimés autrement que par une bonne tranche d'opacité.
La traçabilité reste d'ailleurs une inquiétude fondée. Inutile de rappeler les lasagnes « pur bœuf de cheval » commercialisées involontairement par Findus et Picard. Le scandale provoqué par ce curieux hybride a mené l'usine française Spanghero ainsi que les grossistes hollandais impliqués à assumer de sérieuses sanctions.
Et pour que le plat semble tout de même mangeable, de nombreux artifices existent : ce sont le sel, le sucre, ou encore les fameux additifs, qu'ils soient colorants, édulcorants, conservateurs ou autres émulsifiants. Certains des ingrédients utilisés n'ont même pas d'équivalents domestique : de quoi se demander si l'on parle toujours de nourriture.
Faut-il bouder l'industrie agroalimentaire ?
Pas forcément. Lorsque l'on fait ses courses en grande surface, des critères d'achats peuvent être mis en place. Ils seront la bouée à laquelle se raccrocher dans l'océan de choix offert par les industriels.
Les étiquettes courtes traduisent des recettes plus simples. Les ingrédients y sont inscrits par ordre décroissant : si vous avez envie d'un bœuf bourguignon, autant que la viande soit citée en début de liste. S'intéresser aux tableaux des valeurs nutritionnelles permet de traquer les produits trop riches en sel, sucre ou gras. Le Nutri-Score est censé informer sur la qualité nutritionnelle des aliments. La classification NOVA indique leur degré de transformation, des non transformés aux ultra-transformés.
À côté des grands groupes, des entreprises plus modestes proposent elles aussi des produits transformés et des plats tout prêts. Ces derniers peuvent être composés d'ingrédients locaux, où moins d'intermédiaires sont impliqués et sans « cracking alimentaire ». Il s'agit de fermes disposant d'un atelier de transformation, de charcuteries, ou encore de conserveries artisanales. Le prix peut être plus élevé, mais la qualité l'est aussi.
Toutefois, le véritable problème se cache bien derrière la définition que chacun d'entre nous donne au terme nourriture, et de l'importance que l'on décide de lui consacrer. La meilleure option pour manger l'esprit serein reste de se réapproprier l'élaboration de ses repas avec des produits bruts ou peu transformés, autant que possible. Dans tous les cas, il semble urgent de s'interroger sur les limites à l'industrialisation de ce qui, finalement, constitue la vie. En attendant, William cuisine ce qu'il vend.
[i] Micro entreprises : Moins de 10 personnes, 2 Millions d'euros de chiffre d'affaires annuel maximum. Petites et moyennes entreprises : Moins de 250 personnes, 50 Millions d'euros de chiffre d'affaires annuel maximum. Entreprise de taille intermédiaire : 250 à 4 999 salariés, 1,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel maximum. Grande entreprise : au moins 5000 salariés ou au moins 1,5 milliards de chiffre d'affaires annuel. Insee, Ésane (2021, 07/21). Caractéristiques de l'industrie agroalimentaire selon la taille des entreprises, Données annuelles 2019. www.insee.fr. Date de consultation : 21/07/2022.
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