Vercingétorix contre César : la grande bataille de cavalerie expliquée par le militaire
Après avoir remporté la bataille, César est-il arrivé à Alésia, le lendemain ou ou le surlendemain ?
Pour décompter les jours, la logique du latin est plus précise que la nôtre ; pour nous, le premier jour est aujourd’hui, pour le latin, c’est le jour après aujourd’hui. Il existe un passage de Cicéron qui ne laisse planer aucun doute : ‘’proximo, altero, tertio, reliquis consecutis diebus (Phil., I, 32)’’, ce qui se traduit ainsi : le jour qui vient immédiatement après aujourd’hui, c’est-à-dire le lendemain (proximo), le second jour après aujourd’hui, c’est-à-dire le surlendemain (altero), le troisième jour après aujourd’hui (tertio), et tous les autres jours qui ont suivi. Lorsqu’en 1926, le professeur Constans écrit que César campa devant Alésia, le lendemain (de la grande bataille de cavalerie que Vercingétorix perdit contre lui) - altero die - il fait une grave erreur de traduction. Il fallait traduire par : le surlendemain.
En estimant qu'une troupe à pied entrainée peut parcourir 25 km en un jour, le scénario qu’il faut imaginer est alors le suivant :
1. La grande bataille de cavalerie, le matin.
2. Poursuite des Gaulois par les Romains, comme l’écrit César, l’après-midi jusqu’à la nuit. 12 km 500
3. Continuation de la poursuite durant le jour suivant : 25 km
4. Marche jusqu’à Alésia et arrivée avant midi de façon à pouvoir dresser le camp durant l’après-midi : 12 km 500
Soit : 12km500 + 25 km + 12km500 = 50 km
Quelle est la localité qui se trouve à 50 kilomètres d’Alise-Sainte-Reine sur l'itinéraire prévisible ? Réponse : Noyers-sur-Serein.
D’où venait Vercingétorix pour se rendre à Noyers-sur-Serein ?
César écrit que Vercingétorix s’installa sur sa position trinis castris. Il s'agit là d'une expression militaire courante pour désigner les camps qui ont jalonné une marche. Si nous admettons que le dernier camp est celui de Noyers-sur-Serein, quel est l’oppidum à moins de trois jours de marche d’où Vercingétorix a pu partir (moins de 3x25 = 75 km) ? Réponse : l’oppidum d’Alise-Sainte-Reine : Alésia
Tous les commentateurs s’accordent pour dire que Vercingétorix et ses troupes venaient du mont Beuvray, fausse Bibracte. Et on nous affirme que la concentration de toutes les forces vives de la Gaule – des milliers de fantassins, une foule immense de cavaliers – s’est faite sur ce mont pelé et désert où le silence n’est troublé que par le bruit métallique des petites cuillères qui fouillent le sol, véritable tonneau des Danaïdes de l’archéologie française !
La vérité est autre. Incroyable mais vrai ! Ce lieu, mythique entre tous, où Vercingétorix a rassemblé toute la cavalerie de la Gaule autour des 80 000 fantassins arvernes et éduens (?) qui avaient vaincu César à Gergovie, ce ne peut être qu’ Alésia. L’euphorie de la victoire de Gergovie, les grandes embrassades entre cités enfin réconciliées, les grands discours patriotiques au nom de la Gaule, les effets de toge, le bruissement des armes, tout cela, c’est Alésia qui en a été le théâtre. Alésia, oppidum des Mandubiens en territoire lingon !
En fait, il n’y a là que du très normal. On ne tend pas une embuscade ou une série d’embuscades sans s’être assuré d’une base de repli. On ne se lance pas dans ce type d’opérations sans s’être assuré que tout le monde connait le point de regroupement et l’itinéraire de repli pour s’y rendre. Vercingétorix était maitre d’Alésia déjà avant la bataille de Noyers. Il avait même pris soin d’y stocker pour trente jours de réserve de blé !!!
Lorsque Vercingétorix est informé par ses amis, ses agents de renseignement, ou tout simplement par la rumeur, que le départ de César est imminent depuis la base où il se trouve, il prend la décision tout à fait logique de lui barrer le Serein à Noyers.
César est parti de sa base d'Auxerre.
Ce n’est pas César qui avait rejoint Labiénus, c’est Labiénus qui, quittant Sens (Agedincum), avait rejoint César. César attendait Labiénus mais où ? L’oppidum senon bien connu d’Auxerre s’impose sur l’itinéraire qu’il a logiquement suivi. C’est l’oppidum le plus au sud du pays senon. On ne voit pas, d’ailleurs, pourquoi le général romain aurait imposé à ses légionnaires une montée inutile vers Sens (de tous temps, les fantassins n’apprécient guère les chefs qui leur font faire des kilomètres supplémentaires pour rien). En outre, il était important pour lui de s’emparer du pont sur l’Yonne avant que Vercingétorix ne le détruise.
Les Senons d’Auxerre pouvaient-ils fermer leurs portes aux Romains ? Ce serait oublier le principe de base de la stratégie césarienne ; Labiénus, venant de la ville/capitale, avait certainement pris soin de s’y ‘’approvisionner’’ en otages pour pouvoir faire pression sur tous les notables de la cité. Dans ces conditions, les Senons d’Auxerre ont bien été obligés d’accorder aux Romains le gîte et le couvert. C’est là, dans l’oppidum d’Auxerre, que César a regroupé ses forces et qu’il les a remises en condition après sa défaite de Gergovie et la destruction de sa base arrière de Noviodunum. Il a même profité de cette pause pour faire venir des cavaliers germains par un chemin détourné.
César ne voulait pas atteindre Besançon mais Dijon, capitale première des Séquanes.
Les Romains partent donc d’Auxerre dans l’intention de rejoindre, par le chemin le plus court, l’axe de circulation nord-sud qui leur permettra de rejoindre la Province par la vallée de la Saône, puis du Rhône. L’objectif de César est, dans un premier temps, de rejoindre le pays des Séquanes par les territoires extrêmes des Lingons.
Cum Caesar in Sequanos per extremos Lingonum fines iter faceret… Comme César faisait route pour aller chez les Séquanes par les frontières extrêmes des Lingons, ou mieux, comme César s’était engagé sur le chemin qui menait aux Séquanes par les frontières des Lingons…telle est la phrase sur laquelle se sont battus plusieurs générations d’Alisiens, en Bourgogne, et d’Alaisiens, en Franche-Comté, et qui fut à l’origine d’une littérature aussi abondante qu’inutile. Que de malentendus au sujet de cette phrase pourtant parfaitement claire ! Les frontières du pays lingon, face à celles du pays éduen, passaient par Montbard, Alésia, Vitteaux. Que de malentendus au sujet des mots Alisiens, Mandubiens et Lingons ! Habitant l’oppidum d’Alise, ils étaient Alisiens. Habitant les dites frontières extrêmes où passait la voie dubis, ils étaient Mandubiens. Utilisant des monnaies lingonnes et vivant dans la clientèle d’une cité lingonne plus en retrait, César les considérait comme étant des Lingons.
Cette voie que César voulait rejoindre, c’était la voie du fleuve Sequanas, alias via dubis, vallée de l’Armançon en partie qui se poursuit par celle de la Seine, vallées riches en documents archéologiques, ancienne voie de l’étain que contrôlaient les Séquanes. En situant l’action chez les Séquanes, Plutarque et Dion Cassius n’avaient pas entièrement tort et leurs explications ne sont pas en contradiction avec celles des Commentaires.
Pour atteindre Dijon, César, partant d’Auxerre, s’apprête donc à traverser les territoires extrêmes des Lingons. Quel est le chemin le plus court qui partant d’Auxerre, se dirige vers Dijon en passant par Alésia. La réponse est facile, il s’agit de l’actuelle départementale 956, au départ.
César part donc d’Auxerre sur le chemin qui mène à Noyers. Il marche environ pendant 25 kilomètres et établit son camp pour la nuit un peu avant Lichères-près-Aigremont, dans cette région où l’eau est présente pour le remplissage des gourdes et l’abreuvement des chevaux.
Cette distance qui séparait les Romains des Gaulois de Noyers, César l’indique dans ses Commentaires : 14km800. Il y a concordance.
Vercingétorix convoqua les chefs de la cavalerie et leur dit : « Les Romains abandonnent la Gaule ; ils fuient vers la Province ; nous recouvrons enfin la liberté. Mais si nous les laissons aller, ils reviendront avec des forces encore plus nombreuses et la guerre ne finira jamais. Il faut attaquer ceux qui convoient les bagages. Si les fantassins se portent à leur secours, ils perdront du temps et nous aurons ainsi stoppé leur progression. Si, ce qui est probable, ils font passer leur vie avant la défense de leurs affaires, ils perdront non seulement l’honneur, mais aussi ce qu’il faut pour vivre. Quant aux cavaliers ennemis, il n’y en aura aucun qui osera s’éloigner de la colonne. Et pour vous donner encore plus de courage, je me porterai avec les troupes à pied devant les fortifications pour intimider l’adversaire. »
40 000 Romains tombent dans l’embuscade des Gaulois (40 000 ?)
Vercingétorix n’était pas naïf au point de croire qu’il allait remporter une véritable victoire. Conscient de la supériorité des légions dans le combat des troupes à pied, il a prudemment déployé son infanterie derrière le Serein, et lui-même se tenait devant les remparts de la ville gauloise perchée sur sa hauteur en forme de promontoire avancé. Je précise "pro castris" expression qu’il faut traduire non pas par "devant des camps" mais devant le castrum/forteresse de la ville de Noyers, aujourd'hui détruite. Persuadé en revanche de la supériorité de sa cavalerie, mais toutefois prudent, Vercingétorix ne lui a donné comme mission que de s’en prendre aux chariots de bagages et de se replier avant que les Romains se ressaisissent.
Embuscade tout ce qu’il y a de plus classique. Le champ de bataille de Noyers se prête bien à une embuscade de cavalerie. C’est un terrain vallonné avec des petites vallées encaissées défavorables certes, mais avec quelques plateaux, en prés ou en landes, assez bien orientés, qui permettaient aux corps de cavalerie gaulois d’attaquer sur ses flancs la colonne romaine dans de bonnes conditions, sur une profondeur de près de sept kilomètres comptés à partir de Noyers.
Le lendemain, sa cavalerie est divisée en trois corps. L’un fait mouvement pour barrer le chemin aux unités qui marchent en tête. Les deux autres apparaissent en formation de combat des deux côtés à la fois.
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La contre-embuscade de César.
On rend compte à César. Il ordonne qu’on envoie contre l’ennemi la cavalerie divisée également en trois éléments. Le combat s’étend partout. La colonne se met en position de défense. Les bagages sont ramenés à l’intérieur des légions en ordre de bataille (recipiuntur). César ordonne : « Quand les cavaliers sont en difficulté ou en danger, qu’on avance les enseignes et qu’on envoie les légions en formation de combat pour les soutenir ! » On gagnait ainsi du temps, écrit-il, on ralentissait la progression de l’ennemi et on redonnait du courage aux nôtres.
Bien étrange, ce calme de César qui, divinement, ordonne comme un grand seigneur, tout en contrôlant royalement la situation. Bien étranges, ces chariots de bagages qu’on ramène en arrière (recipiuntur) comme si cela avait été prévu dè le départ. Bien étrange, ce déploiement rapide de la cavalerie romaine en trois corps. Qu’espère donc César ? Pourquoi n’essaie-t-il pas de briser l’encerclement avec ses légions pour sortir de la nasse dans laquelle il s’est imprudemment engagé… imprudemment ? pas sûr !
Les cavaliers germains arrivent soudain sur le champ de bataille. Ils ont surgi de la droite (ab dextro latere). Surprenant les Gaulois qui s’y trouvaient, ils les délogent de la position dominante (cotes 289 et 236) ; ils les poussent à fuir jusqu’au fleuve où Vercingétorix a installé ses troupes à pied en défensive. Les autres, voyant cela, craignant d’être enveloppés, se mettent à fuir. Partout on les massacre. Trois Héduens, de la plus haute noblesse, sont fait prisonniers et conduits à César, dont Cotos, chef de la cavalerie…
Voilà comment Vercingétorix a perdu sa grande bataille de cavalerie. César est tombé ‘’d’assez bonne grâce’’, semble-t-il, dans le piège gaulois ; s’y attendait-il ? Il a ensuite (tandem) refermé son piège à lui sur les Gaulois qui, eux, ne s’y attendaient pas. Là était son génie.
C’est une grave erreur de la part de la thèse officielle de penser que la colonne romaine marchait sous la protection de la cavalerie germaine, c’est une image indigne de César. La colonne marchait sous la seule protection de la cavalerie romaine. Le texte latin est très clair. Il dit que les Germains venaient de la droite (ab dextro latere).
Mais quelle était donc l’intention de Vercingétorix ?
L’intention de Vercingétorix, logiquement, a probablement été la suivante :
1. Arrêter la tête de la colonne romaine avant qu’elle n’atteigne le Serein, sur une pente descendante défavorable, en espérant que cet arrêt prématuré provoque le resserrement de la colonne et favorise l'attaque de sa cavalerie.
2. Les trois corps de cavalerie devaient probablement rejoindre leurs zones d’attente dès le lever du jour par des itinéraires reconnus la veille ; puis se porter sur des zones de déploiement également reconnues. Les commandants des deux corps, gauche et droit, devaient être en mesure de localiser rapidement la position des chariots de bagages de façon à déployer leur cavalerie au bon moment sur le bon axe d’attaque. Le troisième n’avait probablement pour mission que d’arrêter et de harceler.
L’infanterie gauloise avait probablement pour mission d’interdire le passage du Serein tout en se tenant prêt à intervenir sur ordre.
L’objectif, c’était les bagages.
Le latin dispose de deux mots pour désigner les bagages. Il y a les ‘’sarcinae’’ une sorte de baluchon, plus ou moins lourd et encombrant, dont le légionnaire ne se sépare qu’avant le combat (habits de rechange, couverture, biscuits de survie). Et il y a les ‘’impedimenta’’, tout le matériel collectif nécessaire à une armée pour la vie en campagne, qui est transporté dans des chariots à traction animale… sans oublier le butin. Pour ne pas gêner la manœuvre des légions dans les combats de rencontre, les chariots de bagages sont toujours regroupés dans une colonne à part. Prête à intervenir en soutien, la légion qui suit détache probablement des éléments en flanc garde. On peut raisonnablement supposer que la cavalerie romaine ‘’éclaire’’ largement en avant et sur les côtés tout en restant en liaison à vue avec la colonne. Quant à la cavalerie germaine, moins manœuvrière, utilisée en masse compacte (DBG VII, 13, 80), elle marche en serre-file, prête à déborder pour prendre à revers et faire sauter une résistance ou une embuscade ennemie. Si la colonne est attaquée, l’armée ne se contente pas de faire halte comme on le lit dans les traductions courantes, elle prend position (consistit), c’est-à-dire que les unités occupent le terrain et prennent la formation de combat (V, 33, VII, 67)
En opération, suivant la durée de l’intervention et les conditions climatiques, on peut laisser tous les chariots dans une base arrière (I, 24) ou bien, on n’emporte qu’un train léger d’équipages (VII, 55, VIII, 8). En marche d’approche, et si le terrain le permet, l’armée en marche (l’agmen) prend une formation plus large, dite ‘’au carré’’, les chariots étant au centre (VIII, 8). Dans le cas qui nous intéresse, le train des équipages – remis en condition à Auxerre – est au complet. A noter que Vercingétorix a, lui aussi, son train des équipages (VII, 68).
Mon hypothèse : contrairement à l'habitude, je pense que les chariots de bagages n'étaient pas regroupés dans une colonne à part mais qu'ils précédaient chaque légion. Aussitôt l'alerte donnée, les chariots se regroupaient en ordre compact ; les légionnaire qui suivaient n'avaient qu'à avancer pour les protéger "en ordre de bataille"
Conclusion : César, tu peux dire merci à tes cavaliers germains !
Extraits de mes ouvrages. Les croquis sont de l’auteur. Reprise de mes anciens articles. Chalon-sur-Saône, E. Mourey. 11 janvier 2023.
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