• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile


Commentaire de Guez

sur Où commence l'extrême droite ?


Voir l'intégralité des commentaires de cet article

Guez 6 mai 2007 03:40

Dans l’urgence du second tour de la campagne présidentielle, je me permets de revenir en deux points sur cet article et sur certaines des réactions qu’il a provoquées.

Première partie : de la violence des discours aux violences réelles.

D’abord mon article tentait de définir, dans la candidature de Nicolas Sarkozy, une menace avant tout CULTURELLE avant d’être « politique » (aux sens pratiques et économiques du terme) : la menace, aux probables conséquences sociales, d’un nationalisme autoritaire de plus en plus flagrant dans certains DISCOURS de Sarkozy - dont il n’est pas encore évident de découvrir ou de deviner les effets réels s’il venait à être élu.

Un de ses grands discours nationalistes, celui du 13 mars à Besançon, fusionne et idéalise par exemple « La France des croisades et la France de la Révolution » en estompant de la sorte les contradictions internes de l’histoire de France, pour finir par écrire, après des torrents de satisfaction collectiviste et uniformisante : « À force d’abaisser la nation on rend l’intégration impossible. À force on laisse le champ libre aux communautés, aux tribus, aux bandes et aux prédateurs de toutes sortes qui cherchent à profiter de la moindre défaillance de l’Etat, de la moindre faille dans la République. » Mais comment peut-on donc séparer l’immigration « non menaçante » (telle qu’il l’évoque avant...) et les « communautés » assimilées à des « prédateurs » (...c’est qui, c’est quoi ?!) ? Serait-il préférable que les Français de toutes origines soient devenus identiques - fusionnels ?

Quant à la concrétisation politique et aux effets de ce nationalisme autoritaire, dit d’extrême droite (c’est-à-dire non ouvertement xénophobe... mais profondément méfiant), seul son douteux « ministère de l’Immigration et de l’identité nationale » et son sinistre bilan de ministre de l’Intérieur peuvent permettre de s’en faire une idée : instauration institutionnelle d’une certaine idée de l’identité nationale (dans un sens « français » mais « supra-historique », à la fois abstrait, fourre-tout, uniforme, capitaliste, productiviste et déraciné), fermeture des frontières (mais ouverture dérégulée des capitaux), régularisation restreinte des sans-papiers (« au cas par cas ») et souvent arbitraire (pour « faire du chiffre », c’est-à-dire pour faire baisser le taux de l’immigration - pourtant déjà bas - et pour « clandestiniser », précariser et dé-légitimer la présence de nombreux immigrés installés comme de nombreux demandeurs d’asile), expulsions violentes et injustes contre des familles entières, abandon de la police de proximité, répression policière accrue, qui s’exerce en particulier contre les populations pauvres et fraîchement immigrées, stigmatisation des populations improductives ou « réticentes » (« assistés », « racailles », « communautés » assimilées à des « prédateurs »...), racisme larvé (et déguisé en un libéralisme culturel vaguement métissé), mépris de classe, agressivité verbale et physique de certains représentants de la Loi (et en premier lieu l’ex-ministre)..., et, par réaction populaire, « ripostes » civiles violentes (agressions contre la police), explosion de l’incivilité et des agressions envers les personnes, émeutes chaotiques, crise des banlieues (provoquée par une bavure policière et par les insultes publiques de Sarkozy), et enfin - le fait le plus terrible sans doute - augmentation des violences interculturelles (discriminations « positives » - sombre gag - et surtout négatives, profanations de tombes, agressions racistes, homophobes et/ou à caractère religieux). Certes, il existe au moins depuis la fin des années 70, ce fameux malaise (culturel et social) des « banlieues » - dont l’étymologie elle-même provient de « mise au ban », c’est-à-dire d’exclusion. Mais la politique de « Sarko » a eu l’arrogance et la cruauté de répandre ce malaise dans toutes les strates de la population et de faire peu à peu bouillir la situation en ne cessant de mettre de l’huile sur le feu, telle une « grande manoeuvre » de « pompier pyromane ». Avec pour « morale » frauduleuse et cynique : « je ramène l’ordre (superficiel)... que j’ai moi-même dérangé (en profondeur). »

Mais au-delà de ce bilan négatif, régressif, crispant et révoltant, il n’est pas facile de savoir à quel point les discours du candidat de l’UMP sont convaincus ou cyniques - pour récupérer une large frange de l’électorat du Front National, mais aussi, sans doute, pour instiller un climat de peurs et de tensions permettant de « justifier » la répression et, à partir de là, une société de contrôle « nationaliste » et ultra-« libéraliste » (pour les plus riches) à tendance... liberticide (pour tous les autres). Or, sur cette question des intentions, certaines questions demeurent particulièrement préoccupantes : quelles formes réelles et quotidiennes ce malaise pourra-t-il prendre ? Et jusqu’à quel point les discriminations, le chaos et l’insécurité grandissants (sous des formes patentes et latentes) sont-ils désirés et surtout maîtrisés ? Autrement dit : jusqu’à quel point ce type de gouvernance est-il responsable ou irresponsable (un peu sur le « modèle », plus extrême, de l’intervention américaine en Irak) ? Ce qui nous amène à une dernière question encore plus redoutable : jusqu’à quel point ce sur-ordre intentionnel (autoritariste et répressif) pourra-t-il s’installer et se « justifier » en fonction des désordres possibles (l’article 16 de la Constitution permettant de donner bien plus de pouvoirs à l’éxécutif en cas d’« état d’urgence ») ?... Impossible de le savoir actuellement, mais il vaut mieux... ne pas chercher à le savoir !

Autrement dit, pour l’instant et pour les mêmes raisons : il vaut alors bien mieux ... voter pour le PS et Ségolène Royal (et ce, quelles que soient les critiques - secondaires - qu’ont puisse leur adresser) !

Deuxième partie : de la globalisation économique à la flambée des nationalismes.

Par réaction à quelques commentaires, qui révélent ou exacerbent certaines confusions générales, je tiens également à revenir sur un point, complexe et essentiel, qui n’était sans doute pas suffisamment clair dans mon article : à savoir le lien à priori contradictoire - mais en fait très noué - qui unit l’ultra-libéralisme le plus contemporain (et « décomplexé ») aux nationalismes les plus archaïques (et « complexés »). Autrement dit et plus précisément : le lien qui, en France et ailleurs, unit « une certaine droite » à une « certaine extrême droite ».

En matière d’« ultra-libéralisme » économique d’abord, qui tend vers l’utopie du « capitalisme pur » (non étatique ou supra-étatique), on sait qu’il s’agit d’un phénomène mondial, appelé pour cela « globalisation » ou encore « mondialisation ». Mais je n’apprécie guère, voire pas du tout, ce second terme, pour la raison qu’il donne une vision trop négative et uniforme de notre monde - selon une tendance « occidentale » d’origine dominatrice. En effet, plus scientifiquement et historiquement, la « mondialisation » au sens économique (au moins) n’a pas commencé récemment mais il y a bien longtemps, dès le XVème siècle, avec les grandes découvertes géographiques des grandes puissances de l’Europe occidentale (du Portugal à l’Angleterre) qui ont presque aussitôt débouché sur des grandes invasions et des pillages, puis sur un « commerce international » complètement inéquitable, organisé à la gloire de l’Occident sous le trop doux nom de colonisation. Or, ce qu’on nomme aujourd’hui « mondialisation », dans la continuité des colonisations et des décolonisations, s’appelle en fait « monétarisme » et a commencé à la fin des années 1970 pour se généraliser dès les années 1980 avec les politiques économiques de Ronald Reagan et Margarer Thatcher (modèles mal avoués de Sarkozy), en réaction à la crise des chocs pétroliers ayant entraîné la crise des économies dites keynesiennes (selon un « libéralisme de la demande » avec une forte participation de l’Etat). Ce monétarisme, forme de la nouvelle économie ultra-libérale mondiale à laquelle se sont peu à peu adaptés (entre autres) le Japon, la Russie, la Chine... et l’Union européenne (avec leurs particularités, leurs précautions et leurs « garde-fous »), tend à se séparer des gouvernances étatiques (même s’il reste lié à de grands clans politiques, qui profitent de lui) ; il est assez nettement néfaste pour la nature comme pour les cultures, et il est parfaitement décrit par René Passet, économiste critique et écrivain (« L’illusion néo-libérale » chez Fayard), dans un entretien paru dans le magazine « L’oeil électrique » (n°14, septembre 2000, p.12) :

" La libéralisation totale des mouvements de capitaux dans le monde, la libre fluctuation des monnaies, etc, tout cela a produit une hypertrophie de la sphère financière. Les états et les entreprises ont pris l’habitude de se financer sur les marchés financiers parce que cela coûte moins cher par l’intermédiaire des banques. (...) D’autre part, les spéculateurs anticipent sur les variations des cours des monnaies et par conséquent ils échangent DE LA MONNAIE CONTRE DE LA MONNAIE, et non plus contre des marchandises. AUJOURD’HUI LA SPHERE FINANCIERE REPRESENTE PLUS DE 60 FOIS LE MOUVEMENT DES MARCHANDISES DANS LE MONDE, ce qui crée une situation très instable et très fragile.

(...) Le pouvoir économique est ainsi passé du niveau des nations et de la sphère publique à celui des intérêts privés internationaux. "

C’est ce phénomène connu et reconnu de « globalisation monétariste » que j’évoquais dans mon article en évoquant « l’ultra-libéralisme de l’emprise financière ». Il s’agit d’un phénomène qui s’est développé à partir (et au-delà) de « l’économie de marché » - notamment aux Etats-Unis mais aussi en France et ailleurs. Et il est clair - malgré les remarques narquoises de certains commentaires de mon texte - que le programme économique de Sarkozy va dans le sens de la « libéralisation totale des mouvements de capitaux », car aujourd’hui dans le monde (et particulièrement dans les pays du G8) cette « hypertrophie de la sphère financière » et des spéculations boursières fait que « la libéralisation des investissements » (au sens encore un peu concret) prônée par Sarkozy entraîne STRUCTURELLEMENT « la libéralisation des capitaux » avec ses échanges strictement monétaires (peu à peu « déconnectés » des réalités économiques concrètes). Avec pour résultat social un net enrichissement des plus riches, actionnaires et spéculateurs (« des intérêts privés internationaux ») pour un net appauvrissement des plus pauvres (complètement « hors du coup » et souvent exploités). La « liberté d’entreprendre », propre à l’économie de marché dite « libérale » - et légitime si elle respecte les travailleurs ou employés - est ainsi devenu le moteur, mais surtout le paravent, d’une dérive « ultra-libérale » qui n’a plus rien de social ni même de matériel (sauf en matière de pétrole - et de cours du pétrole - et de porte-monnaie, pour les plus gros actionnaires). La « création de richesses » (monétaires) prônée par Sarkozy n’est ainsi qu’un « pillage des richesses » (énergétiques et matérielles) au nom d’une logique surtout financière, qui ne profite qu’à quelques grosses entreprises « globales » et tend à écarter les petites entreprises locales (petits commerces et petites entreprises, détruites, rachetées ou sous-traitées) pour mieux exploiter ou exclure les travailleurs (sur notre territoire ou à l’étranger). Le « truc » des « heures sup », par exemple, n’est qu’un appât grossier (mais hélas efficace) pour attirer des travailleurs, pauvres et moins pauvres, dans une logique d’exploitation dérégulée, et forcément calamiteuse pour le financement des services publics.

Quant à l’interventionnisme étatique de Sarkozy en matière d’économie (dont le « sauvetage » d’Alstom représente un bon exemple), il s’agit d’une démarche non structurelle, très ponctuelle, conjoncturelle, et aussi audacieuse (car mal vue par les organismes économiques internationaux)... que médiatique (car bien vue par les électeurs nationaux). Cet interventionnisme d’« exception culturelle » (...pour de très grosses entreprises, très côtées en Bourse) n’empêche donc pas l’ultra-libéralisme globalisé et n’a rien à voir avec la dimension structurelle des politiques économiques dites keynesiennes, avec participation économique de l’Etat. Le programme du PS de Ségolène Royal, qui tend à relancer la production ET la consommation, par des aides étatiques aux entreprises ET aux travailleurs, en vue d’un meilleur pouvoir d’achat, pourrait d’ailleurs se revendiquer davantage de ces politiques, au lieu, comme l’évoque le programme de Sarkozy, d’exacerber la productvité et la compétitivité pour mieux déréguler les mouvements de capitaux privés - non publics ni étatiques, donc non repartis - et la spéculation boursière qui s’en dégage.

Mais quel rapport alors avec les nationalismes - qui semble alors un phénomène de repli inverse à ce mouvement envahissant de la globalisation ? Eh bien, tout simplement parce que les peuples et les Etats existent ! Ou plus exactement parce qu’ils existent ENCORE, et parce qu’il s’agit d’en tenir compte - pour mieux séduire voire manipuler les réactions populaires...

En effet, les effets du monétarisme et du « néo-capitalisme » sont ravageurs (perte des cultures traditionnelles, uniformisation des cultures nouvelles, dégradation de l’environnement, libéralisation voire dégradation des services publics, délocalisations, exploitation des immigrés, abandon des plus pauvres, nouvelles formes de misère, exacerbation des inégalités, tensions sociales, flexibilité et surtout précarité accrue...) et les populations n’en sont donc pas tout à fait dupes. Elles peuvent alors se révolter, même discrètement, contre cet état de fait, et appeler de leurs voeux soit un « ordre nouveau » (inspiré par les fantômes du marxisme et du communisme), soit un « ordre ancien » plus localisé et idéalisé, dans les limites d’un territoire donné, qu’on assimile alors à une Nation prospère, uniforme et protégée. A l’inverse de l’utopie du « capitalisme pur », international et supra-étatique, prônant le triomphe des intérêts privés, et à l’inverse aussi de l’utopie du « communisme pur », également international et supra-étatique, mais prônant le triomphe des intérêts publics, l’utopie nationaliste, elle, reste plus homogène et repliée, très nationale et très étatique, bien moins universelle voire franchement fermée, xénophobe, et elle prône une certaine adéquation des intérêts privés et des intérêts publics.

Or, depuis quelques temps, depuis les années 1970-80, c’est-à-dire depuis les débuts du monétarisme et l’effondrement progressif du communisme de type soviétique, les nationalismes et les particularismes identitaires s’enflamment un peu partout dans le monde - soit sous forme nationale (comme en France ou en Europe), soit sous forme religieuse, soit sous forme raciste, ethnique ou tribale, soit sous forme clanique, de type « classique » (mafia) ou « moderne » (guerre des gangs, etc), avec de nombreuses tensions interculturelles. Ce phénomène inquiétant est une réaction directe, presque spontanée, aux déboussolements identitaires et culturels de l’ultra-libéralisme monétariste : à l’ouverture pernicieuse dérégulée de l’offre et des capitaux, qui crée une perte de repères culturels, correspond ainsi la fermeture, tout aussi pernicieuse, de la demande et des désirs, qui semblent appeler de tous leurs voeux un retour à des repères très stricts et idéalisés, sur-régulés en quelque sorte (c’est particulièrement évident dans le cas des fondamentalismes religieux). Seul point commun entre cette « ouverture » et cette « fermeture » : ils tendent à l’uniformité, futuriste ou passéiste, en tout cas idéale et irréelle, et poussent ainsi au refus de l’autre, de la diversité, des différences, du métissage et des véritables échanges.

La « globalisation » exacerbe donc, structurellement et par réaction, les peurs « identitaires » particulières, qu’elles soient protectionnistes, sécuritaires, religieuses, tribales ou... pires. Et la candidature de Nicolas Sarkozy a, en ce sens, quelque chose de nouveau en France, un peu dans la lignée de George W. Bush et des néo-conservateurs américains, car elle représente et contient à elle seule... les deux dangers. Cette « complétude » a même fait son succès, au moins d’un point de vue démagogique, car il a réussi à faire croire qu’il représente la réponse, répressive, nationale et étatique, au danger international et supra-étatique... qu’il représente aussi. De cette façon aussi, par une telle ruse, trouble et complexe, il prétend donc ramener l’ordre... qu’il a ou qu’il va déranger. Une telle approche de la politique est sans doute, avec son autoritarisme prononcé (contre les « communautés », les « bandes », les « assistés », les « soixante-huitards », une certaine « intelligentsia »... et les journalistes), ce qu’on peut actuellement qualifier en République... de politique du pire.

Quant aux réalités de son programme, de ses conséquences... et des élections, nous verrons bien ce qu’elles donneront - en espérant qu’il ne s’agisse pas... du pire ! De toute façon, avec lui... et surtout sans lui... tout reste possible !

Bon dimanche !


Voir ce commentaire dans son contexte





Palmarès