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Commentaire de Mizo

sur Sarkozy, Parisot, Chérèque, Royal... les élections présidentielles et le droit de grève


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Mizo (---.---.81.97) 5 septembre 2006 21:57

(suite du Chapitre I de « La main droite de Dieu » de Faux, Legrand et Perez, Seuil 1994)

Sur les conseils de Michel Charasse, François Mitterrand signe, le 22 juin, une réponse écrite à Jean-Marie Le Pen : « Il est regrettable que le congrès d’un parti soit ignoré par Radio-Télévision. [...] Elle ne saurait méconnaître l’obligation de pluralisme qui lui incombe [...]. L’incident que vous signalez ne devrait donc plus se reproduire. Mais d’ores déjà, je demande à Monsieur le Ministre de la Communication d’appeler l’attention des responsables des sociétés Radio-Télévision sur le manquement dont vous m’avez saisi. » Au cours d’un point de presse organisé peu après Michel Collinot salue, au nom du Front national, la « courtoisie du chef de l’État » qui a bien voulu répondre à la missive de Jean-Marie Le Pen. Contrairement, précise-t-il, aux lettes restées sans réponse sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing. La presse écrite se fera l’écho discret de cet échange épistolaire. La courtoisie présidentielle se double d’une grande efficacité. Dès le lendemain, mardi 29 juin l’invité du journal du soir de TF1 en direct sur le plate est... Jean Marie Le Pen !

Entre la lettre de François Mitterrand et cette interview télévisée, une semaine seulement s’est écoulée. L’Élysée n’a pas perdu de temps. Coup de téléphone à Georges Fillioud. Le ministre de la Communication est chargé de faire passer le message aux présidents de TF1, A2 et FR3, qu’il va bien réunir, comme il le fait régulièrement. L’intervention du chef de l’État est justifiée par un laconique : « Il convient dans souci d’équité de ne pas oublier le Front national. » Chacun enregistre la consigne tout en expliquant l’absence d’invitation faite, jusqu’à ce jour, au leader du Front national par la faible représentativité du parti [8].

La première chaîne, alors publique, se montre la plus zélé Son PDG, Jacques Boutet, répercute l’injonction au directeur de la rédaction, Jean-Pierre Guérin. Annik Beauchamps et Alain Chaillou, présentateurs du journal de 23 heures, sont aussitôt convoqués. < Boutet s’est encore aplati, leur dit Guérin résigné, on n’a pas le choix. Il faut interviewer Le Pen. > D’abord interloqués, les deux journalistes répliquent :« D’accord, mais je te préviens, on va se le payer [9] ! » Annik Beauchamps se souvient de s’être fait imposer la présence du président du Front national : « C’était en fin d’après-midi, Alain Chaillou et moi-même, nous avons reçu l’ordre d’inviter, pour le journal de 23 heures, Jean-Marie Le Pen, et c’était un ordre suffisamment précis pour qu’on soit obligés d’y obéir [10]. »

Avec le recul, Annik Beauchamps et Alain Chaillou expliquent pourquoi ils ont cédé : « Il faut reconnaître qu’à l’époque Le Pen ne faisait peur à personne, il était complètement marginal. Et puis on n’allait pas démissionner pour cela. » Seul à ne pas se souvenir des pressions politiques qui ont entouré cet épisode, Jacques Boutet. Un trou de mémoire que ses fonctions actuelles de président du Conseil supérieur de l’audiovisuel peuvent en partie expliquer.

Dans les couloirs de la Une, c’est la stupeur. Daniel GrandClément, rédacteur en chef de la chaîne, vient en effet de découvrir par l’AFP le contenu de la lettre de François Mitterrand. Il tend la dépêche au chef du service politique, Roger-Xavier Lanteri, et éclate

" On ne va tout de même pas donner la parole à ces cons-là !

- Mais non, temporise Lanteri, on est journalistes et on ne les invitera que si c’est justifié. "

Tous deux ne savent pas encore que Jean-Marie Le Pen est déjà prévu sur le plateau du dernier journal.

Coïncidence, le direct avec le dirigeant d’extrême droite a lieu le soir d’un mini-remaniement ministériel. Pierre Dreyfus et Nicole Questiaux quittent l’équipe Mauroy. Pierre Bérégovoy, alors secrétaire général de l’Élysée, fait son entrée. Jean-Pierre Chevènement coiffe désormais un vaste ministère de la Recherche et de l’Industrie. Placé de fait en opposant privilégié, Jean-Marie Le Pen commente ce changement à chaud devant les caméras : « François Mitterrand est un grand manouvrier. Avec ce remaniement, il vire large. Cela démontre que le président veut prendre la barre en main dans la tempête qui s’annonce. »

Retour à l’actualité. Le journal roule sur quelques sujets l’étranger, le Liban, puis réapparaît le chef d’extrême droite, introduit par cette question sans détour

" Le président est un homme que vous connaissez bien, monsieur Le Pen, puisque vous lui écrivez. Alors, il paraît que vous êtes mécontent de la télévision, qui est pourtant indépendante ?

- Il n’y a pas de télévision libre en France. Mais plutôt qu’à 23 heures je voudrais parler aux Français soit à midi, soit à 20 heures. Bref, pas quand ils dorment. En tout cas, je vois que cette lettre porte ses fruits. François Mitterrand réussit à se faire obéir. J’espère seulement que je serai réinvité en septembre pour notre grande fête des Bleu-Blanc-Rouge.

- La prochaine fois, monsieur Le Pen, passez-nous un petit coup de fil, ça ira plus vite, lui conseille Alain Chaillou avec ironie.

- Mais c’est ce que je fais et ça ne marche jamais [...] [11]. "

Opération réussie pour Le Pen. En quelques minutes d’interview, il a su évoquer sa « rareté » dans les médias et les démarches nécessaires pour s’y faire inviter. Avec sa faconde et son style rentre-dedans, le président du Front national a surpris. Mieux, il est devenu pour de nombreux journalistes un « bon client ». Roger-Xavier Lanteri, présent sur le plateau, ne s’en cache pas : « Il a vraiment été très bon, c’était du spectacle. » Un nouveau réflexe apparaît. Sous l’impulsion du pouvoir politique, Jean-Marie Le Pen fait son entrée dans la sphère médiatique. Par la petite porte certes, mais le pas est désormais franchi. Bel exploit pour un homme qui règne sur 1500 militants tout au plus, dont 2 permanents, Michel Collinot et sa femme.

A la radio comme à la télévision, les apparitions du Front national se multiplient. Journal de 13 heures sur TF1 le 7 septembre, journaux de 20 heures sur TF1 et A2 le 19 septembre à l’occasion de la fête des BAR [12], de nouveau sur la Une le 30 octobre et, enfin, le lendemain, la Deux livre un extrait brut d’un discours de Jean-Marie Le Pen sur la « lutte antimarxiste » .

(à suivre)


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