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Commentaire de Patrick Adam

sur Ségolène compte sur le soleil pour sauver l'Afrique


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Patrick Adam Patrick Adam 9 septembre 2006 21:26

@ Mme Pelmato

Bien sûr vous pouvez m’appeler Patrick. J’en suis très heureux. Les solutions, il m’est arrivé parfois d’évoquer des pistes, car des solutions générales je n’en connais évidemment pas.

Quand je parle de mise sous tutelle, je pense à des commissions mixtes pour l’administration des fonds d’investissement. L’Europe a agi comme ça avec les entrants du Sud et maintenant de l’Est. On ne peut s’engager dans des financements en distribuant l’argent à l’aveuglette. En parlant des fonds que l’Europe a attribués au Maroc pour assurer une soi-disant mise à niveau qui n’a jamais vu le jour par les programmes MEDA I et MEDA II, j’ai donné dans un autre texte des exemples concrets des agences que j’ai rencontrées sur le terrain pour gérer cette manne. Un détournement généralisé. Au moment de la mise en place de MEDA II, j’ai un ami marocain qui a été personnellement contacté pour surperviser au nom de l’U. E. la gestion du programme. L’Europe lui proposait un salaire de 12 000 €. Il a refusé quand il s’est rendu compte qu’il devait servir de couvertutre à un ponte de Rabat qui s’était déjà fait construire trois villas avec l’argent du précédent programme. Voyez donc pourquoi je me permets de parler de réalité du terrain. Le terrain j’en connais un rayon. Et pourtant vous ne pouvez pas savoir commme j’aime ce pays, comme je sens ses possibilités de développement, sa richesse, sa diversité culturelle, ses qualités humaines, mais aussi ses manques, ses frustrations, son besoin de liberté, d’entreprendre mais surtout sa résignation, quand les individus sont définitivement usés par le poids des traditions et par la masse des malversations dont ils ont été les spectateurs baillonnés.

Je parle de tutelle, et je sais bien que ce mot est à lui seul une provocation. C’est précisément dans ce sens que je l’utilise, comme une provocation. Au Maroc, Lyautey a fait en quinze ans plus que les Marocains en 50 ans d’indépendance. Et pourtant l’oeuvre de Lyautey n’est pas sans reproche, surtout en ce qui concerne le poids des traditions qu’il a perpétuées. 50 ans d’indépendance qui ont été grêvées par plusieurs conflits avec ses voisins (Algérie - Problème du Sahara - difficultés de politique extérieure avec la France et avec l’Espagne) mais aussi par des luttes intestines, des coups d’Etat, des assassinats, des trahisons sans fin et un pillage génralisé des ressources financières.

Et pour l’Algérie, doit-on aussi dresser un tableau ? J’étais à Jijel au printemps 1979 car j’essayais de faire dédouaner un véhicule à au port de cette ville. J’y ai vu des entrepreneur italiens pleurer dans un bureau car ça faisait deux mois qu’ils tentaient de dédouaner un camion à plateau qu’ils avaient importé pour leur travail... Sur la route qui va de Constantine à Jijel, il y avait des engins militaires partout. Hassan II avait fait livrer des armes au Kabyles en représailles de la politique algérienne concernant le Sahara. Je vivais à l’époque dans le sud est du pays, à Tébessa, (ville dont je garde un souvenir émerveillé) non loin d’un gros bourg (Bir el Ater) qui était dirigé par deux maires, car les deux tribus qui s’y étaient installée tuaient systématiquement le maire de la tribu adverse si le gouvernement s’obstinait à ne les doter que d’un édile... J’étais à Tébessa quand Boumedienne est mort en décembre 78. J’étais le seul étrangers. Tous les coopérants étaient en France ou en vacances au Sahara. Je suis sorti le matin prendre un café comme à l’accoutumée. Je me souviens de la peur et du silence qui s’étaient abattus sur la ville. Jusqu’au moment où les militaires ont fait sortir les femmes dans les rues pour lancer leurs youyous.

Depuis, bien sûr, je pense que le pays a bien changé. Mais ce que je vis au Maroc me rappelle encore trop souvent cette Algérie des années 70 et je me dis qu’avec la guerre civile, ça n’a pas dû s’arranger tant que ça, même si aujourd’hui on fait semblant d’astiquer les cuivres pour attirer les capitaux étrangers. Mais pourquoi attirer ces capitaux dans un pays qui ne sait pas quoi faire de ses disponibilités en devises, si ce n’est parce qu’à travers ces capitaux le pays a conscience qu’il manque encore cruellement d’un encadrement technique efficace. Mais jusqu’à quand ?

Je ne veux pas m’étendre sur ce que je vis au Maroc. J’y fais vaguement allusion dans mon petit topo de présentation et je préfère en rester là. Je n’aime pas remplir un CV. J’aime même une sainte horreur de ça et je me suis toujours débrouillé pour ne pas avoir à en remplir. Quand je parle avec mes amis, il m’arrive souvent de dire que le Maroc c’est un mélange quotidien d’émerveillement et de blessures et qu’il faut apprendre à vivre dans cette perpétuelle secousse comme si on était plongé dans un champ magnétique qui s’inverse deux ou trois fois par jour. C’est fatiguant, rageant, explosif, mais c’est passionnant et terriblement humain.

Alors, « leur fiche la paix » domme vous le suggérez ? Bientôt nous allons être obligés de le faire comme les Occidentaux l’ont fait en Iran, bientôt en Irak, en Egypte, en Palestine. Qu’auront-ils à y gagner ? A la révolution iranienne, j’étais avec ceux qui ont applaudi la chute du Shah, croyant comme tous les bien-pensants de l’époque que le nouveau régime tiendrait trois ou quatre ans et qu’il serait remplacé par des forces progressistes. Aujourd’hui j’ai honte de ma naïveté, de ma bêtise, et je ne veux pas refaire la même erreur car l’histoire est en train de redistribuer les cartes d’une même partie mais avec des enjeux de plus en plus gros pour nous-mêmes. Nous n’en sommes plus à refaire le monde de loin comme nous le faisons alors. C’est à nos portes, devant notre palier, que l’avenir de Mahgreb se joue.

Vous m’obligez à border différents sujets qui me tiennent à coeur ou qui restent enfouis dans un coin de ma mémoire. Ce n’est pas sans intérêt pour moi. Je vous en remercie. Bien à vous. Patrick Adam


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