@Marianne,
Dans la mentalité occidentale, dans la structure mentale des individus comme dans l’inconscient collectif d’une société d’hommes, imbibé de la mémoire de son histoire passée, de l’influence religieuse, de ses guerres et de ses épopées, la plus grande partie des concepts fonctionnent dans la dualité : idée du bien et du mal, du beau et du laid, de Dieu et du Diable, du mâle et de la femelle, du couple composé d’un homme et d’une femme, du vrai et du faux, du corps et de l’esprit, de la thèse et de l’antithèse, du capitalisme et du communisme, de la gauche et de la droite...
En résumé, nous appliquons le principe du tiers exclu, introduit par Aristote et sa vision logique du monde.
Est-ce que cette dualité existe dans la nature et que notre esprit se complaît à la reproduire, à la retrouver, ou bien est-ce que notre pensée a besoin de rendre le monde dual, en le simplifiant, pour mieux le comprendre, simulant la nature en la représentant sous forme de concepts duels ? Peu importe la portée ontologique de la pensée duale...
Cette dualité n’existe pas dans la nature ; la classification, ou catégorisation, par genre et par différence spécifique, introduite elle aussi par Aristote (vous en trouverez des traces dans Organon), a été largement critiquée par les psychologues dans les années 70. Elle a été contestée par des scientifiques des approches conceptuelles comme Bussmann ou Rastier.
Le fait est qu’il est plus facile pour l’homme, en particulier l’homme occidental, de simplifier le monde pour le comprendre et ainsi se l’approprier, par des mots simples et par des classifications basiques et binaires.
C’est même plus que de la simplification, c’est du réductionnisme. D’un point de vue anthropologique, Quine lève bien, dans De Vienne à Cambridge, le besoin que nous avons de classifier, de catégoriser. Mais il insiste aussi sur le fait que c’est le meilleur moyen trouvé par l’homme pour introduire une structure mentale maniable dans le flux de l’expérience. Comme d’ailleurs Levy Straus insiste sur ce même besoin, on classe comme on peut mais on classe (La Pensée Sauvage). En fait, classer consiste à reconnaitre les discontinuité vitale du monde, cette activité est une condition de l’adaptation.
Le principe de dualité que vous mettez en exergue est un besoin de recherche de stabilité de la pensée, ce qui est rassurant d’un point de vue psychologique. Ce principe est aussi inculqué lors de la phase d’apprentissage ; très jeunes, nous aprenons aux enfants à placer les concepts dans des catégories immuables, principe de l’enseignement litéral. Encore une fois, nous retrouvons cette volonté d’Aristote d’éduquer de la sorte, à l’opposé de la vision de Platon qui prônait plutôt un enseignement polémique.
Il est assez antinomique que, pour une pensée à tendance logique utilisant le principe du tiers exclu, nous utilisions majoritairement une forme de structure conceptuelle qui est ... fausse. Pour les logiciens ayant une connaissance approfondie des logiques, la catégorisation par genus et differencae est certes pertinente pour les développements logiques mais la structure elle même possède tellement d’exceptions pour la classification des éléments naturels qu’elle est fausse ; la véracité ne pouvant se vérifier que si pour tout les cas (quantificateur universel), l’assertion se vérifie. Et, comme le soulignait Aristote, avec du faux dans le prémice, je fais ce que je veux !!!
Il existe d’autres méthodes de classification, mais la plupart posent l’hypothèse, a priori, d’un universalisme que nous pourrions qualifier de transcendental dans les septs niveaux conceptuels que nous connaissons aujourd’hui. Or, si l’universalité est acceptable au niveau des concepts logico-philosophiques, elle ne se transmet pas aussi simplement que cela jusqu’au monde des actions.
Le problème de structure mentale est important ; la plupart reposant sur une vision exclusivement hiérarchique des concepts. Or, dans les treillis, nous échappons à cette approche très réductionniste ; il y a beaucoup d’interconnection entre les différents concepts. Cette dernière approche ne permet que très rarement l’obtention d’un équilibre stable dans l’ensemble de la structure. Nous atteignons des équilibres instables à partir desquels, une nouvelle information, un nouveau savoir, peut remettre en question des associations entre concepts. Ces équilibres instables ne portent pas une valeur de vérité, mais une valeur de plausibilité.
Mais le principe de dualité ne me semble guerre anodin lorsque nous l’appliquons à nos sociétés de communication. Bien des anthropologues admettent la classification, mais elle résulte des fruits de l’expérience. Or, aujourd’hui, nous manipulons des informations pour lesquelles nous n’avons pas l’expérience requise pour en assurer une classification pertinente. Cette méthode de classification permet de faire fi d’un raisonnement approfondi permettant de maintenir la plus grande masse dans un conformisme sans précédent ; rejetant de fait l’émancipation.
C’est d’ailleurs la technique rhétorique qu’a employée Nicolas Sarkozy (surtout Henri Guaino, rédacteur de la plupart de ses discours de campagne), comme l’ont bien analysé Louis-Jean Calvet et Jean Véronis, dans leur ouvrage Les Mots de Nicolas Sarkozy (Editions du Seuil), opposant les catégories de population entre elles
Je n’ai pas lu l’ouvrage de Jean-Louis Calvet et Jean Véronis, mais c’est exactement comme cela que j’ai ressenti la campagne de notre Président. D’un point de vue psychologique, il a joué sur l’inconscient, sur les structures profondes, sur cette méthode reposant sur le tiers exclu ; en posant l’hypothèse réaliste levée par Socrate qu’un homme ne commetra pas une action qui le poussera à se haïr lui-même, mais en opérant une inversion de sens : Comme je ne peux me haïr moi-même, toutes les actions que je mène sont bonnes. Entre les bons et les méchants, dans ce contexte, je suis toujours du côté des bons et les méchants sont obligatoirement les autres.