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Commentaire de madame_sans_gêne

sur Aimé Césaire, le poète de la négritude, est mort


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madame_sans_gêne madame_sans_gêne 18 avril 2008 21:03

Si on prend un peu la peine d’étudier les biographies des grands hommes, on remarque qu’ils sont rares à avoir mené une vie sereine : comme tous les hommes, ils ont été blessés, et leur génie consiste à pouvoir exprimer leurs douleurs et leurs bonheurs de façon à ce qu’un grand nombre de personnes s’y reconnaisse.

C’est l’émotion qui est universelle, pas les sources d’inspiration. Heureusement, car c’est bien l’émotion qui rassemble les hommes dans leur diversité. L’inverse serait bien triste, uniforme et insipide.

Quoi qu’il en soit, vu le tour méprisant et polémique du post d’ Aegidius, il est clair qu’ il n’ a pas trouvé et ne trouvera jamais le moindre écho émotionnel dans l’oeuvre de Césaire, écrivain et poète "difficile", c’est vrai, mais dont les écoliers martiniquais de toutes les couleurs parviennent toutefois à retenir quelques lignes.

Pour les autres qui n’ont pas la chance de le connaître ou qui l’ont oublié, pour ceux qui ont déjà passé un Noël antillais ailleurs que dans un piège à touristes, à tous ceux qui n’ont pas de neige pour Noël, à tous ceux qui ont des Noëls tristes et froids, à tous ceux qui rêvent de cocotiers, d’eau turquoise et de sable blanc et découvrent le falaises noires, les vagues meurtrières et les cyclones dévastateurs, pour tous ceux qui n’osent même plus rêver à la carte postale, pour tous mes amis d’outre mer, quelle que soit la couleur et quelle que soit la mer, un petit extrait de "cahier d’un retour au pays natal".

"Et le temps passait vite, très vite. Passé août où les manguiers flamboient de toutes leurs lunules, septembre l’accoucheur de cyclones, octobre le flambeur de cannes, novembre qui ronronne aux distilleries, c’était Noël qui commençait.

Il s’était annoncé d’abord Noël par un picotement de désirs, une soif de tendresses neuves, un bourgeonnement de rêves imprécis, puis il s’était envolé tout à coup dans le froufrou violet de ses grandes ailes de joie, et alors c’était parmi le bourg sa vertigineuse retombée qui éclatait la vie des cases comme une grenade trop mûre.

Noël n’était pas comme toutes les fêtes. Il n’aimait pas à courir les rues, à danser sur les place publiques, à s’installer sur les chevaux de bois, à profiter de la cohue pour pincer les femmes, à lancer des feux d’artifice au front des tamariniers. Il avait l’agoraphobie, Noël. Ce qu’il lui fallait, c’était toute une journée d’affairement, d’apprêts, de cuisinages, de nettoyages, d’inquiétudes,

de-peur-que-ça-ne-suffise-pas,

de-peur-que-ça-ne-manque,

de-peur-qu’on-ne- s’embête,

puis le soir une petite église pas intimidante, qui se laissât emplir bienveillammen par les rires, les chuchotis, les confidences, les déclarations amoureuses, les médisances et la cacophonie gutturale d’un chantre bien d’attaque et aussi de gais copains et de franche luronnes et des cases aux entrailles riches en succulences, et pas regardantes, et l’on s’y parque une vingtine, et la rue est déserte, et le bourg n’est plus qu’un bouquet de chants, et l’on est bien à l’intérieur, et l’on en mange du bon, et l’on en boit du réjouissant et il y a du boudin, celui étroit de deux doigts qui s’enroule en volubile, celui large et trapu, le bénin à goût de serpolet, le violent à incandescence pimentée, et du café brûlant et de l’anis sucré et du punch au lait, et le soleil liquide des rhums, et toutes sortes de bonnes choses qui vous imposent autoritairement les muqueuses ou vous les distillent en ravissements, ou vous les tissent de fragrances, et l’on rit, et l’on chante, et les refrains fusent à perte de vue comme des cocotiers :

Alleluia

Kyrie eleison... leison... leison,

Christe eleison... leison... leison.

Et ce ne sont pas seulement les bouches qui chantent, mais les mains, mais les pieds,mais les fesses, mais les sexes, et la créature toute entière qui se liquéfie en sons, voix et rythmes.

Arrivée au sommet de son ascension, la joie crève comme un nuage. Les chants ne s’arrêtent pas, mais ils roulent maintenant inquiets et lourds par les vallées de la peur, les tunnels de l’angoisse et les feux de l’enfer.
 

Et chacun se met à tirer par la queue le diable le plus proche, jusqu’à ce que la peur s’abolisse insensiblement dans les fines sablures du rêve, et l’on vit comme dans un rêve véritablement, et l’on boit et l’on crie et l’on chante comme dans un rêve, et l’on somnole aussi comme dans un rêve avec des paupières en pétale de rose, et le jour vient velouté comme une sapotille, et l’odeur de purin des cacaoyers, et les dindons qui égrènent leurs pustules rouges au soleil, et l’obsession des cloches, et la pluie, les cloches... la pluie...

qui tintent, tintent, tintent..."

Pas besoin d’être "nègre" pour comprendre ce texte, pas même besoin d’être chrétien... Même pas nécessaire de croire en un dieu. Pas besoin d’être lettré, instruit, diplômé. Il suffit d’avoir été enfant et d’avoir vécu une seule fois une fête sincère, modeste et généreuse.

Je sais qu’il existe des gens qui n’ont jamais eu cette chance. Aussi, pourquoi au lieu de se barricader dans l’amertume et la défiance, ne décident -ils pas d’offrir aux autres ce qu’ils n’ont jamais eu ?

Sont-ils à ce point brisés que le seul courage qui leur reste est celui d’agresser ce qui pourrait les questionner, les destabiliser, bref, les émouvoir ?

Salut l’artiste. Tiens ben rèd.


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