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Commentaire de Courouve

sur La foi et la raison. Le pape est en France


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Senatus populusque (Courouve) Courouve 13 septembre 2008 10:49
 Un des mérites de l’encyclique Fides et Ratio (a) publiée il y a bientôt cinq ans est de réussir à présenter un exposé concis de la doctrine catholique (Tradition, Écriture, Magistère) et de sa distinction entre l’ordre de la foi et celui de la connaissance philosophique (I, § 9). Ces pages présentent des aspects variés ; certains intéressants, d’autres faibles, voire consternants.
 
Six idées intéressantes :
 
Il est exact, mais trivial, que “derrière un mot unique se cachent des sens différents » (Introduction, § 4).
 
La priorité de la pensée philosophique sur les systèmes philosophiques (Introduction, § 4). Soit dit en passant, c’est l’existence chez Socrate de cette forme philosophique de la pensée qui permet aujourd’hui aux philosophes analytiques de se réclamer de lui.
 
Le nécessaire (et difficile) équilibre à tenir entre la confiance accordée à autrui et l’esprit critique (III, § 32).

 Le caractère universel de la vérité, dont le consensus n’est cependant pas le critère (III, § 27 ; V, § 56 ; VII, § 95).

 Le rappel, après Montaigne (b), de l’unité de la vérité (III, §§ 27 et 34), selon le principe de non-contradition.
 
L’affirmation selon laquelle la vérité dépasse l’histoire (VII, § 95).
 
Huit faiblesses :
 
La « capacité de connaître Dieu » (Introduction, § 4) n’est pas une constante philosophique.
 
La connaissance propre à la foi serait « fondée sur le fait même que Dieu se révèle, et c’est une vérité très certaine car Dieu ne trompe pas et ne veut pas tromper » (I, § 8) ; ce "raisonnement" est entaché de circularité.
 
La reprise du préjugé égalitariste et politiquement correct selon lequel "tout homme est philosophe" (III, § 30 ; VI, § 64).
 
Le postulat d’une valeur absolue de la vérité (III, § 27 ; la raison ouverte à l’absolu devient alors capable d’accueillir la Révélation (IV, § 41).
 
L’exigence d’une "façon correcte de faire de la théologie" (IV, § 43).
 
La justification de la foi par la Révélation (I, §§ 8, 9 et 15 ; IV, § 43), cercle vicieux que Malebranche relevait déjà (c), à l’époque où la foi cherchait encore un fondement rationnel, ce qui n’est visiblement plus le cas.
 
Le postulat du surplomb de la démarche philosophique par la posture de la foi (IV, § 42 ; V, § 50 ; VI, § 76) ; postulat auquel Malebranche, on l’a vu, mais aussi Jean-Jacques Rousseau avait, comme bien d’autres, répondu par avance (d).
 
Le fondement de la foi sur ... le témoignage de Dieu (I, § 9), autre cercle vicieux ; mais on sait qu’aux yeux des croyants et selon leur "logique", la circularité est davantage une perfection qu’une objection.
 
L’affirmation, là encore entachée de circularité, selon laquelle la lumière de la raison et celle de la foi ne peuvent se contredire, car "elles viennent toutes deux de Dieu" (IV, 43). « La raison et la foi sont de nature contraire » disait Voltaire (Lettres philosophiques, XIII, appendice 1).
 
Cinq ridicules :
 
La définition de la philosophie par son étymologie "amour de la sagesse" (Introduction, § 3) ; confusion entre signification et étymologie que l’on n’admettrait pas venant d’un élève de classe terminale.
 
L’attribution à Platon de Traités philosophiques, alors qu’il n’a écrit que des Dialogues et des Lettres (Introduction, § 1).
 
Compétence circulaire qui viendrait à l’Église « du fait qu’elle est dépositaire de la Révélation de Jésus Christ » (Introduction, § 6).
 
L’association athéisme-totalitarisme (IV, § 46), alors que, comme l’avait bien vu Ernest Renan (e), l’Inquisition chrétienne a été la matrice des totalitarismes modernes.
 
Faire de la vierge Marie une nouvelle Minerve (f), en "harmonie profonde" avec la philosophie authentique, et "image cohérente de la vraie philosophie" (Conclusion, § 108).
 
 Paradoxale est la coexistence, dans cette prétention de prosélyte de l’ancien maître du Vatican, d’aperçus justes et d’aveuglements face à l’absurdité (à des montagnes d’absurdités, disait André Gide).

Notes :
a. Lettre encyclique de Jean-Paul II du 15 octobre 1998, publiée en traduction française par la Documentation catholique, n° 2191, 1er novembre 1998, pp. 901-942 ; disponible aussi sur le site web du Vatican.
 
b. Montaigne, Essais, I, ix : "Si, comme la vérité, le mensonge n’avait qu’un visage [...]"
 
c. Malebranche, Conversations chrétiennes, Entretien 1 : "Si donc vous n’êtes pas convaincu par la raison, qu’il y a un Dieu, comment serez-vous convaincu qu’il a parlé ?"
 
d. Jean-Jacques Rousseau, Émile ou de l’Education, IV, Profession de foi du vicaire savoyard : "Ils ont beau me crier : Soumets ta raison ; autant m’en peut dire celui qui me trompe : il me faut des raisons pour soumettre ma raison."
 
e. Ernest Renan, L’Avenir religieux des sociétés modernes, 1860, III : "Le christianisme, avec sa tendresse infinie pour les âmes, a créé le type fatal d’une tyrannie spirituelle, et inauguré dans le monde cette idée redoutable, que l’homme a droit sur l’opinion de ses semblables."
 
f. Minerve, déesse italique identifiée en Grèce à Athéna, ou encore Pallas Athéna, et qui personnifiait notamment la sagesse et la raison ; voir Chateaubriand, Essai sur les révolutions, II, xxxi : "le voluptueux sacrifia à Vénus, le philosophe à Minerve, le tyran aux déités infernales."

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