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Commentaire de beubeuh

sur Le problème des sans-papiers


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beubeuh 14 novembre 2008 12:08

@ l’auteur :

Cet article révèle surtout votre méconnaissance profonde de la question de l’immigration et celle du droit des étrangers. La principale erreur est contenue dans la phrase suivante :

"Ils connaissaient de ce fait la date de la fin du séjour dont on leur refuse la reconduction. Cette autorisation non renouvelée, ils prennent volontairement le risque d’être dans l’illégalité."

Cette phrase est fausse. Ce que vous omettez, c’est qu’une grande partie (je ne m’avancerai pas à dire la majorité, faute de statistiques existantes sur le sujet, mais je n’en pense pas moins) des situations illégales sont le fait de l’administration elle-même. Exemple-type : un étranger entré légalement sur le territoire fait une demande de titre de séjour. En attente de sa réponse, on lui remet un récépissé qui fait office de papiers mais n’a qu’une durée de validité de trois mois. C’est un délai généralement très insuffisant pour obtenir une réponse, la lenteur des préfectures étant proverbiale. Après l’expiration de ce délai, l’étranger se trouve dans une zone de flou juridique, il devient "sans-papiers" et est à la merci d’un contrôle d’identité qui le place de fait dans l’illégalité. Alors qu’il n’a rien fait de répréhensible.
C’est l’exemple le plus commun, mais on ne compte pas les exemples de procédures biaisées, où les étrangers se voient réclamer des pièces administratives non exigibles, voire carrément imaginaires, une même préfecture pouvant émettre des informations contradictoires dans la même journée.

Pourquoi ces situations kafkaïennes ? Tout simplement parce que le droit des étrangers est devenu d’une complexité effarante. Sous la pression des électeurs, les ministres de l’intérieur successifs ont pondu des centaines de milliers de pages de lois, décrets, circulaires règlementant et réprimant le séjour des étrangers. Le seul ministre de l’intérieur Sarkozy à fait voter pas moins de 4 lois en 4 ans d’exercice. Le rythme est si effréné qu’on n’a pas le temps d’appliquer une loi qu’une nouvelle est déjà à l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale. L’administration, composée de fonctionnaires peu qualifiés, mal payés et en sous-effectif chronique, a toutes les peines du monde à appliquer ces lois.
A cela il faut ajouter que les Préfets ont des consignes strictes concernant le nombre d’étrangers régularisables. Comme ces consignes sont souvent en contradiction avec la loi (qui ne interdit pour l’instant les quota), il faut bien trouver des biais procéduraux, et c’est comme cela que l’on crée la vaste catégorie des "ni-expulsables, ni régularisables".

Face à cela, le secteur associatif est le seul qui dispose d’une expertise globale sur le droit des étrangers. De nombreux ministres de l’intérieur ont voulu couper leurs subventions, mais aucun n’a pu s’y résoudre car ils se sont vite aperçu que le fonctionnement de leurs administrations était totalement dépendant de l’expertise associative. Le secteur associatif compte en effet de nombreux juristes et universitaires et produit en effet des publications essentielles pour l’interprétation du droit.
Par ailleurs sachez que l’essentiel de l’activité des associations de soutien au sans-papiers se base sur la constitution d’une jurisprudence équilibrée, sur des actions devant le Conseil d’Etat et les instances européennes et sur l’assistance légale des étrangers. Donc contrairement à ce que vous dites, il ne s’agit pas pour les associations d’imposer "LEUR" loi, mais tout simplement d’imposer LA loi.

Quand aux actions médiatiques (grèves de la fin, manifestations, occupations) elles sont plus l’exception que la règle et sont toujours non-violentes (on est plus indulgent avec les agriculteurs). J’imagine que vous n’aurez pas été sans remarquer qu’elles ont lieux quasi-systématiquement au mois d’août, pourtant peu propice au militantisme. Tout simplement parce que cette période de vacances, et donc d’attention citoyenne moindre, est souvent mise à profit par le gouvernement pour procéder à une répression féroce à l’égard des étrangers. C’est donc pendant cette période que ce déroulent les violations les plus flagrantes du droit et se produisent les situations les plus choquantes. Cela rend nécessaires une certaine confrontation via des actions militantes spectaculaires.

Autres idées reçues présentes dans votre article :

 - Non, les sans-papiers n’ont pas la vie facile, ils sont autant soumis à des contraintes administratives que le reste de la population. Simplement bien souvent, ils se heurtent à un mur quand il font leurs démarches.

 - les sans-papiers ne sont pas ignorés par toutes les administrations puisqu’ils sont soumis à l’impôt. La question du coût pour la communauté nationale est donc à relativiser. D’autant qu’un travailleur étranger est immédiatement disponible et que nous ne payons pas ses couts de formation. Contrairement à ce que l’on pense, beaucoup de sans-papiers sont qualifiés. On a évidemment peu de renseignement sur le sujet, mais par exemple une étude menée à l’époque au centre de Sangatte a montré que 60% des adultes avaient une formation de niveau ingénieur.

 - Vous réclamez la création d’une "police de l’immigration" or celle-ci existe déjà. Cela s’appelle la Police aux Frontières (PAF) et contrairement à ce que suggère son nom elle est présente partout sur le territoire. Par ailleurs la lutte contre l’immigration clandestine mobilise des moyens policiers considérables (le budget 2009 prévoit 42 millions d’euros pour les seules expulsions). Par ailleurs il existe désormais une police européenne de protection des frontières (Frontex).

Bref, je trouve que votre discours est une collection de clichés, vous ne faites que reprendre la doxa anti-immigré qui permet d’escroquer l’électeur depuis plus de 30 ans. Et comme nos chers politiques, vous évitez soigneusement de poser les vraies questions :


 1) Pourquoi les moyens destinés à lutter contre les employeurs de main d’œuvre sans-papiers et les sanctions prises à leur encontre sont-ils dérisoires en comparaison des politiques mis en œuvre contre les sans-papiers eux-mêmes ?

 2) Pourquoi aucun gouvernement ne considère-t-il jamais la question du poids économique énorme de la main d’œuvre sans-papiers dans certains secteurs d’activité (hôtellerie-restauration, bâtiment, travaux à domicile...) ?

 3) Comment se fait-il que de nombreux marchés publics ou parapublics, afin de faire des économies, finissent-ils par employer des travailleurs sans-papiers ? Je cite quelques exemples connus : le Stade de France, le TGV Est, le Queen Mary.

Le problème de l’immigration est un problème global. En vous focalisant sur l’élément le plus faible mais aussi le plus interchangeable (l’étranger en situation illégale), non seulement vous prenez le problème par le petit bout de la lorgnette, mais en plus vous cautionnez l’hypocrisie de certaines personnes bien placée qui mettent en accusation l’étranger mais derrière se payent sur la bête.


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