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Commentaire de CP

sur Après Outreau, l'impossible réforme de la justice


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CP (---.---.162.194) 24 octobre 2006 21:06

(suite du discours de Dominique Barella, président de l’USM, le 20 octobre 2006)

Le tribunal de Zibo, dans la province chinoise de Shandong, teste un logiciel qui détermine les peines à appliquer aux coupables et donne des conseils au juge sur la peine à infliger. Le juge soumet certains éléments au logiciel, tels que la nature du crime, le préjudice subi par la victime, les circonstances atténuantes ou aggravantes. A partir de ces informations, le programme propose une sanction. En revanche, il ne se prononce pas sur la culpabilité, et le juge reste libre de suivre les recommandations de son processeur.

L’agence de presse officielle Chine Nouvelle décrit le processus dans le cas d’un accident de la route ayant tué une personne. La peine « générique » est d’un an de prison. Le juge signale au logiciel que l’accusé porte 90 % de la responsabilité, ce qui ajoute neuf mois au compteur, puis que celui-ci a promis une compensation financière aux proches de la victime. Aussitôt, le logiciel préconise une réduction de 15 à 25 % de la peine. Le juge a, dans ce cas, condamné le coupable à 13 mois de prison.

A Zibo, cette « justice assistée par ordinateur » a été testée sur plus de 1 500 affaires criminelles, selon le South China Morning Post. Le quotidien de Hong-Kong souligne que le logiciel peut traiter une centaine de crimes différents, du cambriolage à l’atteinte à la sûreté de l’Etat en passant par le viol. Plus de 50 % de ces crimes sont passibles de la peine de mort, selon le code pénal chinois. Sur toutes ces affaires, « personne n’a fait appel » assure l’agence Xinhua.

Ce dispositif est appelé à se généraliser selon le South China Morning Post. La Chine espère ainsi égaliser les peines infligées. Zhang Baosheng, professeur à l’Université de droit et de science politique à Xinhua affirme : « Les ordinateurs, sans émotions ni désirs, ne sont pas affectés par des facteurs externes lors de leurs prises de décisions ».

En France, si nous adoptions ce système et prévoyions des peines plancher en matière de récidive, nous pourrions automatiser les peines. Une case plaider-coupable pourrait même être ajouté sur ce beau logiciel chinois ! Mais étions-nous si loin de ce système lors des émeutes des banlieues avec les comparutions immédiates et les procès-verbaux automatisés qui se ressemblaient tous ?

Quels rendements nous pourrions obtenir ! Et sans primes pour les ordinateurs : un rêve bercyen !

Je pense que si nous mettions en place ce système qui permettrait de remplacer ces juges français irresponsables par des processeurs certains ordinateurs risqueraient de se faire taper sur le clavier par les plus hautes autorités de l’Etat. J’imagine déjà l’interrogatoire de mon nec Versa P 520 par Philippe Houillon, rapporteur de commission d’enquête, s’adressant à la Webcam : « Regardez moi dans les yeux P 520 et arrêtez de vous tourner vers vos informaticiens ! ».

Il est vrai que maintenant les ordinateurs disposent d’un processeur Intel double cœur, pas comme ces magistrats qui, eux, n’ont pas de cœur !

II. La réforme de la justice est un enjeu dÉmocratique majeur pollué par un contexte de communication populiste

Plusieurs dérives théoriques ou lubies à la mode sous-tendent de nombreux projets en matière d’ordre public et de sécurité.

- D’abord la tolérance zéro, une méthode en trompe-l’œil, critiquée même aux Etats-Unis d’où elle vient. Les états américains qui n’ont pas appliqué la tolérance zéro ont constaté la même chute du taux d’actes délinquants par habitant et par an que ceux qui l’avaient appliquée. Deux explication à cette chute de la délinquance : la progression importante du PIB américain - et donc la baisse du taux de chômage - et la baisse importante de la consommation de crack dans les grandes villes. D’ailleurs, tolérance à quoi et jusqu’où ?

- Vient ensuite le principe de précaution constitutionnalisé et appliqué à l’enfermement d’ordre public : hospitalisation d’office, détention, notamment provisoire, avec les dégâts que l’on a vu dans l’affaire d’Outreau. De 2001 à 2004 le nombre des peines fermes prononcées par les juridictions pénales a augmenté de 18 000. Est-ce cela que l’on appelle la démission et la démagogie des magistrats face à la délinquance ? Le projet prévention de la délinquance, en ce qu’il stigmatise les malades psychiatriques et privilégie l’hospitalisation d’office, va dans ce sens. Il pose le principe d’un contrôle social préventif en partant du postulat de la prédictibilité des passages à l’acte dangereux.

- Autre chimère, la transparence totale et son avatar la manie de tout filmer. Déjà un premier pas avait été franchi avec l’autorisation de sonoriser les appartements en enquête préliminaire. Puis vint les caméras dans les villes, les caméras sur les autoroutes et maintenant les caméras dans les cabinets de juges d’instruction. Ne nous arrêtons pas là ! Je propose des caméras dans le bureau du ministre de la justice, du ministre de l’intérieur et des membres de leurs cabinets pour pouvoir vérifier s’ils n’interviennent pas dans les affaires judiciaires et s’ils se comportent bien avec leurs interlocuteurs...

Une caméra dans les cuisines et les chambres à coucher des Français serait également de nature à éviter des violences conjugales et à permettre de statuer en toute connaissance de cause en matière de divorce et d’assistance éducative. Une caméra dans tous les bureaux permettrait aussi d’éviter le harcèlement sexuel au travail et aiderait les conseils des prud’hommes à statuer en cas de licenciement.

- Le refus de l’aléa dans une société rétractée sur elle-même prospère également. Et pourtant l’aléa c’est la vie, l’aléa c’est la mort. Au moment où la mort est cachée par la société, les médias passent leur temps à épier de malheureuses victimes effondrées censées « faire leur deuil » en direct. Jean-Pierre Pernaud est devenu le nouveau Freud, les Français se couchent physiquement et moralement devant les journaux télévisés, l’écran plat les psychanalyse en direct.

- La victimisation, la négation de la résilience, la recherche du responsable à stigmatiser à tout prix inspirent aussi les apprentis réformateurs. Faudra-t-il juger des irresponsables, détecter les mineurs de trois ans potentiellement délinquants comme suggéré par le principal syndicat de commissaires ? Déjà trois mineurs de cinq ans ont été exclus d’une école maternelle pour avoir « joué au docteur » avec une petite camarade du même âge. La couverture par la presse de ce sujet impliquant de prétendus dangereux obsédés sexuels de 5 ans illustre les dérives d’une société en perte de repères, qui se met à stigmatiser n’importe qui et n’importe quoi. Même ce qui aurait fait sourire ou aurait impliqué qu’une simple réprimande parentale il y a encore peu de temps.

- La technicisation à outrance a, elle aussi, des conséquences pernicieuses : la croyance dans la prédictibilité des actes humains et dans l’identification certaines des auteurs d’actes. Toutes choses porteuses d’insatisfaction et d’erreurs policières ou judiciaires. Fichiers, empreintes, bracelets, écoutes, les moyens d’investigation deviennent des fins d’enquête ou des preuves suffisantes. Et quand la technique échoue à prédire, le peuple en veut à l’expert et au juge qui doivent alors expier.

- L’obsession de la réactivité totale - sociale, économique, judiciaire, thérapeutique - fait elle aussi de nombreux dégâts. Tout doit se faire vite, dans l’instant et la précipitation : le temps de la réflexion est oublié, l’analyse préalable perdue, l’étude d’impact négligée, la mise en perspective évacuée. Communiquons vite, trouvons d’urgence une solution ! Comparution immédiate et traitement en temps réel des affaires impliquant des mineurs permettront d’évacuer plus, plus vite, toujours et encore. C’est cela, évacuons les mineurs, évacuons les anciens en tutelles, évacuons les jugements, évacuons les justiciables ! La LOLF c’est aussi cela, un monde judiciaire sans justiciables évacués des juridictions trop « insécures ». Comme cette victime qui a bénéficié d’une téléconférence depuis la cour d’appel de Versailles car le tribunal de Nanterre ne pouvait, faute de policiers, assurer sa sécurité ... Comme vous me le disiez il y a trois semaines, Monsieur le ministre, des webcam ce n’est pas cher et ça suffit ! Comme le juge de proximité d’ailleurs. Plus le juge est de proximité, plus la justice s’éloigne au profit de la téléjustice et de la justice à la télé. Une justice de vacuité autant que d’évacuation.

- Dernière lubie, la concentration des pouvoirs dans les mains d’élus s’autoproclamant comme seuls légitimes pour lutter contre la délinquance. On finira par voir les maires jouer au médecin généraliste et les présidents de conseil général s’estimer compétents pour la chirurgie de proximité au motif qu’ils ont été élus.

- Enfin, en clef de voûte de toutes ces fantasmagories, la bonapartisation de la Ve République avec son dernier avatar : la recherche du sauveur politique, auréolé de sa légitimité élective, en rapport direct avec le peuple qu’il est le seul à comprendre et qui le comprend, télévangéliste de la sécurité qui a tout compris et va tout réformer d’un coup de menton. Au passage les corps intermédiaires, syndicats, associations, et plus généralement tous les contre-pouvoirs, sont attaqués et disqualifiés. Le juge doit payer, l’expert doit payer. Faisons pénitence face à l’opinion sondagière, ce veau d’or sur l’autel duquel certains se croient autorisés à sacrifier les principes républicains. La mise au pilori devient un mode de dédouanement des responsabilités politiques et d’évitement des réformes nécessaires. En donnant un jouet à casser au peuple, on peut lui permettre de se défouler sans risque politique apparent. Attention cependant : en jouant avec la mèche de la stigmatisation, on risque de démobiliser les hommes et de déclencher une réaction en chaîne incontrôlée de haines antiinstitutionnelles.

III. UNE MÉTHODE ET UN CONTEXTE DONT DÉCOULENT DES RÉFORMES DANGEREUSES POUR LA SÛRETÉ ET LES LIBERTÉS

Certains utilisent la loi comme un moulin à prières et tourne autour du Parlement comme d’un stupa institutionnel. Les réformes tombent sans sens, au grès des nécessités de la communication politique dont la loi, notre norme commune, devient un simple accessoire.

Quelque Moloch gouvernemental, pour satisfaire son insatiable appétit de communication, dévore des kilomètres de lois de répression, de prévention, de sécurisation. Les lois ne sont plus des lois en elles-mêmes, elles ne sont plus que des lois pour ou des lois contre. On oublie d’ailleurs pour ou contre quoi dès le lendemain de leur vote. Le principal est que les journaux télévisés aient été abreuvés de leurs lots de communication gouvernementale. Mais, pour lancer des réformes, il faut d’abord travailler à les rendre indispensables.

Par exemple, pour justifier une réforme complète de l’ordonnance de 1945 sur l’enfance délinquante plusieurs étapes manipulatoires sont nécessaires : 1. On assèche le budget de la justice. 2. L’institution dysfonctionne. 3. On prépare un état des lieux parlementaire de l’institution. 4. On communique de façon mensongère, par exemple contre le tribunal de Bobigny. 5. On annonce une réforme de reprise en main fondée sur les fausses théories que l’on voulait appliquer. Le tour de passe-passe législatif et de communication est joué, jusqu’ à la prochaine réforme ! Sur le fond, l’ordre public devient l’alpha et l’oméga des réformes judiciaires, alors que ceux-là mêmes qui le promeuvent ont critiqué cette notion dans le cadre de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire d’Outreau ...

Prenons l’exemple du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, actuellement débattu au Parlement. Il crée des confusions importantes entre soins et contrôle social, sanctions et contrôle social, sanctions et soins. Il instaure la confusion y compris dans les domaines de compétence, comme si tout devait relever de la sphère politique dans ce pays.

Le maire, dont le rôle est indispensable en matière d’urbanisme, d’aménagement, de logement, d’action sociale, de culture, de formation, d’économie et dont les décisions ont des conséquences importantes en matière de prévention de la délinquance, n’est pas le mieux placé pour s’occuper de politique pénale et de soins psychiatriques, comme l’ont rappelé les praticiens hospitaliers.

Car le maire, ne l’oublions pas, est en liberté surveillée politique. Il manque d’indépendance vis-à-vis de la pression locale directe. Il opère des délégations non contrôlées dans les grandes villes.

L’élection rend légitime mais pas forcément compétent en matière juridique, psychologique et sociale. Souvenons-nous aussi du peu de courage des responsables politiques quand ils étaient chargés de prendre les décisions sur les mises en libération conditionnelle des détenus purgeant des longues peines.

On assiste dans notre pays à un renouveau extrêmement fort du contrôle social, qui doit nous conduire à nous interroger sur son but, sa pertinence, son utilité et son impact.

Gardons un juste équilibre entre sécurité collective et libertés individuelles. Vieux débat qui devrait nous pousser à ne pas opérer dans la précipitation, et pour flatter l’opinion publique, à des arbitrages qui instaurent la confusion des rôles et des pouvoirs.

Ainsi en est-il du développement du nombre des fichiers informatiques déjà condamné par la CNIL, de la stigmatisation de personnes ou de groupes de personnes, de l’exigence de prédictibilité comportementale, de l’accroissement de la concentration des pouvoirs dans les mains des préfets et des commissaires de police.

Au congrès de Marseille, le 11 octobre dernier, les psychiatres hospitaliers ont unanimement condamné l’économie de la loi prévention délinquance, qui crée une sorte de lettre de camisole.

Oui, les professionnels de la délinquance et de la psychiatrie doivent s’adapter aux évolutions d’une société sans doute plus violente économiquement, culturellement, socialement et physiquement ! Oui, les délinquants majeurs et mineurs de 2006 ne sont pas les délinquants de 1945 ! Mais nous ne sommes responsable que des choix et décisions individuelles que nous prenons. Nous ne sommes pas responsables des évolutions collectives passées, actuelles ou à venir de la société. La légitimité de l’élu est dans ce champ d’intervention. De plus en plus impuissants à influer sur les grands secteurs de la société, certains élus se dédouanent en cherchant des boucs émissaires de leurs échecs. Les professionnels sont responsables de leurs actes, pas coupables des dérives de la société.

Le juge, ou le psychiatre, ne doit pas payer à chaque récidive non prédite, à chaque publication de mauvais chiffres statistiques sur les passages à l’acte. Le juge n’est qu’un recours. C’est déjà beaucoup. Ne lui en demandons pas plus, pas trop.

Pour l’avenir de la justice, pour votre avenir, battez-vous, faites vous respecter dans l’intérêt de nos concitoyens face à des élus qui ne rêvent, pour certains, que de vous asservir pour mieux asservir la justice. La magistrature est en marche, elle n’est pas couchée. Tous ensemble nous allons le rappeler dans les mois à venir. Avec vous partenaires policiers, éducateurs, avocats nous allons construirent la sécurité et la justice en valorisant les institutions et ceux qui les servent avec la passion de l’Etat, de l’intérêt général et des valeurs républicaines. Loin d’une rupture destructrice des institutions et des valeurs que nos anciens ont consciencieusement mises sur pied dans une démarche de progrès, loin des démarches consistant tour à tour à flatter puis à stigmatiser les juges, les avocats, les éducateurs et les policiers dans une dérive démagogique facile, je souhaite des états généraux de la sécurité et de la justice pour que le dévouement et les talents de tous soient mis en synergie. Merci et bonne chance à nous tous, bonne chance à chacun de vous, bonne chance à la justice de ce pays.

Dominique Barella, président de l’USM le 20 octobre 2006


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