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Commentaire de Bernard 05

sur Jamais déçu par le chou


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Bernard 05 20 février 2009 12:16

Je me permets de m’immiscer dans cette conversation dont le côté hédonique est fort plaisant (ma modeste contribution se limitera à ceci : dans la Loire n’oublions pas les merveilleux Savennières, Bonnezeaux et autres Quart-de-chaume, et j’adore le chou) pour vous faire part de mes réflexions à propos des bouses de vache et du méthane. Bon, je sais, c’est un peu terre à terre, mais enfin, j’ai préparé ce texte qui m’a pris beaucoup de temps, et puisque je vois que l’auteur est maintenant dans les choux, je lui livre mes remarques là où il est.

Ce n’est pas non plus hors sujet, même si on s’éloigne des choux, car j’ai vu qu’à plusieurs reprises, ce thème avait été évoqué dans ce fil.

L’auteur lui-même y déclare :

« et en même temps, le méthane est une source d’énergie inépuisable, comme je l’ai dit dans un précédent article, cela représente potentiellement le tiers de nos besoins nationaux en énergie... sauf que tout le monde, ou presque s’en fout. »

Eh bien, moi non. Ce sujet m’intéresse, et j’espère que notre auteur m’en remerciera.

 

La récupération du méthane produit à partir des excréments des animaux (en particulier des bouses de vaches) se fait déjà, ça et là, dans installations prévues à cet usage. L’auteur propose de généraliser cette pratique, afin d’atteindre, selon ses dires, une production d’énergie de 90 MTEP, soit, effectivement, le tiers de nos besoins nationaux.

Regardons d’un peu plus près ce projet (sans mettre vraiment le nez dedans, il va sans dire).

J’ai deux remarques préalables qui ne vont pas vraiment dans le sens de l’écologie.

En premier lieu, la combustion du méthane donne lieu à émission de CO2, selon la formule :

CH4 + 2O2 -> 2H2O + CO2

Le CO2 est un gaz à effet de serre, certes moins puissant que le méthane, mais un gaz à effet de serre quand même.

Deuxième remarque : tant que la récupération de méthane ne concerne que quelques sites isolés, les conséquences sur l’environnement restent limitées. Mais changer d’échelle conduirait vraisemblablement à perturber le cycle biologique de nos prairies (si je prends l’exemple des vaches). En effet, étant donné qu’il faut bien enlever, d’une façon ou d’une autre, les bouses pour les traiter ailleurs, on enlève ce qui sert de nourriture à certains insectes (coprophages) qui jouent un rôle important dans le recyclage des matières organiques. Que feraient les bousiers en pareil cas ? Je n’en sais rien, mais ils ne devraient pas être très contents.

Examinons d’un peu plus près les implications économiques et pratiques d’un tel projet.

Sa mise en œuvre nécessite de rassembler quelque part, dans un local approprié, les bouses de vaches dont ces dernières parsèment les prairies au gré de leur fantaisie. Dans ce local, la fermentation des bouses, si elle se produit en l’absence d’oxygène, dégage du méthane. Il suffit de le récupérer pour le brûler. Le principe est donc simple.

Evidemment, si on pouvait demander aux vaches d’aller faire leurs besoins directement là où il convient, ce serait vraiment bien. Mais il semble, hélas, qu’il faille se résigner à récupérer les bouses là où elles sont.

La première question à se poser est de définir les moyens à mettre en œuvre pour faire cette opération. Il y a deux façons de faire : soit avec des machines, soit manuellement.

S’il y a mécanisation, il faut, comme n’importe quel produit industriel, concevoir les machines, les tester, les fabriquer, les entretenir, et les recycler en fin de vie. On pourrait s’appuyer sur l’expérience acquise par certaines municipalités pour enlever les crottes de chien : les crotinettes. Donc, cela ne devrait pas poser problème majeur. C’est une adaptation à faire, avec toutefois la difficulté du sol, qui n’est pas lisse et régulier comme le sont les trottoirs. Il faudrait peut être prévoir deux modèles selon que la bouse est fraîche ou sèche. On procèderait ainsi par aspiration, ou par décollement. A étudier.

Combien faut-il de telles bousinettes ? L’objectif étant, n’oublions pas, de récupérer l’essentiel des bouses produites par les bovins, il en faut certainement pas mal. Il y a environ 20 000 000 bovins en France, chaque bovin doit bien faire 5 bouses par jour (chiffre à confirmer), ça fait, par jour 100 millions de bouses environ à récupérer (36,5 milliards de bouses par an). Quelle est la productivité, mesurée en BJ (bouse par jour) d’une bousinette ? Mettons 1 000 BJ en étant très généreux, car il faut imaginer qu’il est difficile de faire ça de façon réellement industrielle. Il faut aller chercher les bouses parmi les herbes, quelquefois sous les arbres isolés, dans la flotte quand il a beaucoup plu, et même parfois dans les bois environnants. Les bousinettes ne pourraient pas fonctionner 7 jours sur 7, car, étant donné les conditions d’exploitation, il faut assurer la maintenance de ces matériels. Cela donne plus de 100 000 bousinettes, en ordre de grandeur.

Ce n’est pas tout. Il y a environ 500 000 exploitations agricoles en France, dont une partie (je n’ai pas le chiffre) élèvent des bovins. Mettons la moitié, 250 000. pour des raisons pratiques, il leur faut à chacun au moins une bousinette. On en est donc à 250 000, et sans doute bien plus car les gros exploitants seront obligés d’en avoir plusieurs. Mais il y a sans doute possibilité, par un système de coopérative, de réduire ce nombre. En tout état de cause, l’ordre de grandeur est tout de même de 200 000 à 300 000 engins.

Pour construire les bousinettes, il faut en outre prévoir des usines, équipées de chaînes de montage, etc.

On dit avec raison que les énergies renouvelables créent de l’emploi. En voici un très bon exemple : il faut en effet des concepteurs de bousinettes, des opérateurs (de diverses qualifications), des agents de maintenance. Enfin, il faut embaucher des conducteurs de bousinettes (plusieurs centaines de mille), qu’il faut former aux diverses techniques de prélèvement de bouse. Un organisme de formation professionnelle, le CTPB (Centre Technique de Prélèvements Bousiers) est à prévoir et nul doute qu’il tournerait à plein régime.

Je n’ai pas fait d’étude économique poussée pour évaluer l’investissement nécessaire, ni les dépenses de fonctionnement. Dans ces dernières, il faut inclure l’énergie nécessaire pour faire fonctionner plusieurs centaines de milliers de bousinettes. On peut envisager (ce serait logique) d’utiliser le méthane produit par le système. Est-on seulement bien sûr de ne pas consommer plus que ce qui est produit ? A étudier.

Si on ne veut pas entrer dans cette logique productiviste, il reste la solution du ramassage manuel. C’est sans doute préférable. En terme d’emplois créés, c’est une évidence. Il fallait, dans un processus mécanisé,  plusieurs centaines de milliers de personnes. En version manuelle, à la louche, il en faut 10 fois plus (n’oublions pas les ordres de grandeur : 36,5 milliards de bouses à récupérer !). Le problème du chômage en France est résolu. Génial.

 

Pour conclure, je citerai l’un de mes proverbes africains préférés :

« Une bouse, ça va, 36,5 milliards de bouses, bonjour les emmerdements »


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