@ Lamotte
Joseph Delteil 1894-1978 Art de vivre et joie d’écrire
« J’ai le coeur paysan et l’esprit surréaliste : C’est un bon contrepoids. »
« Le véritable écrivain, c’est l’ignorant de génie, qui ne sait rien
mais comprend tout. C’est un grand maladroit, à l’oreille archaïque, à
l’oeil phénoménal, qui fourmille de désirs, patauge dans tous les
échos, la maladresse des géants. »
Les
grands de ce monde naissent sous les augures planétaires jupitériennes,
ceints de couronnes et parés de tous les privilèges royaux.
Les humbles les regardent étonnés. Tant de puissance vainement déroulée...
« Je suis né d’une femme, on l’oubli toujours. Je suis né dans
une forêt, en Avril, mois tempétueux, entre une bourrasque et une
soleillée...à Villar-en-val. »
L’essentiel se distille déjà dans la simplicité. La somptuosité
naturelle offre son cadre,l’artiste pose paisiblement son chevalet
respectueusement, religieusement, amoureusement. L’harmonie s’impose au
coeur de la nature, le destin se noue...l’écologie de la vie prend
forme dans le ventre de la génitrice qui délivre à la forêt printanière
le fruit de son amour.
A cet instant la mémoire imprime les scènes de la vie par touches
indélébiles et l’homme grandit et évolue aux rythmes des saisons.
« Tantôt je vois une cabane de bruyère au soleil, tantôt une
petite maison de lauzes à vieilles tuiles romanes, sous les cerisiers
en fleurs. Papa bûcheronnait aux alentours, j’avais trois ou quatre
ans, je jouais à Adam. Je me souviens qu’il y avait un nid de roitelet,
et la maman par intervalles entrait et sortait, avec son cri
spécifique, un vermillon au bec. Les rayons de soleil traversaient les
branchages et venaient jouer avec mes orteils. J’entends encore le
ruisseau, j’entends le vent...j’avais les menottes pleines d’odeurs,
les oreilles bourdonnantes d’abeilles. La terre était douce. »
« Mon plus ancien souvenir : Je joue, enfant, avec d’autres
enfants dans une meule de paille à fourménis, nous nous pourchassions à
travers la paille tout émoustillés et enmouscaillés, jusqu’à ce
qu’enfin je me trouve acculé au fond d’un tunnel avec cette fillette
empaillée, une fillette de trois ans aussi, en bas évêque, jupon de pie
et yeux de diable, et que j’embrasse éperdument, mon premier baiser... »
Premières images, premières sensations, premiers murmures, premiers
émois, rencontres essentielles qui impriment à jamais le coeur et
l’esprit de l’homme. Les quatre premières années, ou vient se tarir la
mémoire humaine. Les souvenirs les plus structurants pour la
psyché...l’alchimie subtile inconsciente qui guidera dans le secret de
son âme, l’homme de foi, l’homme confiant, l’homme d’éthique, « l’homme
véritable ». L’homme accompli dans son authenticité.
Viennent, l’envol, la rupture des amarres, l’épopée dans le monde.
L’apprentissage de la vie, la vie rustique, colorée, parfumée, vivante
à coeur, le collège, l’école supérieure...l’essor de l’homme social,
très privilégié pour Joseph qui sait entendre, voir et sentir... mais
au risque de se perdre, quand retentissent les sirènes de la révolution
artistique parisienne...
Dans l’effervescence, deux courants se dessinent, une floraison de
génies. Des prosateurs, Montherlant, Giraudoux, Mauriac, Cendras,
Cocteau et... Delteil, le paysan au milieu des bourgeois. Dans l’autre
camp, un mouvement idéologique, les surréalistes, des hommes de tête et
de pensée, Breton, le chef de file.
Joseph Delteil, un temps mêla son innocence baroque à ce groupe
révolutionnaire, rivalisant de fantaisie avec Breton, Aragon, Eluart,
Desnos.
Trop indépendant et Françoisier, il en fut excommunié...le chrétien
au milieu des rouges...l’alternance de la sottise et de la science
infuse n’est pas uniquement agoravoxienne.
Qui n’a pas raillé ou méprisé la différence...qui n’a jamais projeté
sa misère sur l’intrus, sur l’étranger, sur l’autre, qui ?...c’est
humain, inutile de nous culpabiliser.
La gloire vint plusieurs fois, surprenante, éclatante et perturbante. La renommée, les gros tirages, « Sur le fleuve amour » et « Choléra », les premiers romans. Le nouvel Hernani encensé par Aragon et Breton avant la rupture, l’exclusion.
« Jeanne d’Arc » , le prix Femina le chef d’oeuvre... Les
excès de la gloire avec les excès de l’outrage...les honneurs du
bûcher, les amours du cinéma, l’acquittement à Rome...
« Jeanne vint au monde à cheval, sous un chou qui était un chêne. »
La mythique mais aussi réelle chevalière, boute les Anglois hors du
royaume mais se trouve désarçonnée quand Joseph se noie dans la vie
parisienne, dans ses nuits et ses alcools, sa culture et ses mondanités
désuettes...c’est la fin, c’est le choc, c’est la descente aux
enfer...mais, Orphée-Joseph rencontre Euridis-Caroline...et le passé de
la prime enfance, le terreau naturel de ses premiers émois et le fidèle
et généreux Languedoc qui n’oublie pas son rejeton...parce qu’au fond
de lui l’enfant grandi sous l’oeil maternel ne l’avait oublié.
Joseph et Caroline s’installent à la Tuilerie de Massane, près de
Montpellier, dans le souvenir du couple Delaunay, les peintres, auprès
des amis occitans de souche et d’adoption, le peintre Chagall et son
épouse, et son copain Henri Miller éternel bourlingueur, comme lui
épicurien à coeur.
« J’ai voulu tout simplement rejoindre la nature, cette
« première nature ». J’ai voulu vivre innocemment, j’ai voulu vivre
hors de la société, hors de la civilisation...dépouiller le vieil
homme. Faire table rase de toute civilisation...redevenir le premier
homme, le paléolithique...la civilisation : ce salmigondis de guerres,
de révolutions, de violence, de haine, de mensonge, tortures et camps
de concentration...une civilisation industrielle, une société de
consommation, affaire de gadgets. Quant à votre condition humaine, cet
homme féroce, cruel, absurde, orgueilleux, lâche, injuste, pervers et
fou...civilisation et condition humaine toutes relatives....
Son oeuvre compte une quarantaine de livres et lui octroie une place originale et anticonformiste dans la littérature française
Joseph Delteil proclamait volontiers, avec un air amusé et attendri,
qu’il n’entendait rien à la psychologie. Comment aurait il pu se
torturer l’esprit en vaines interrogations quand dans sa vie il faisait
bon, il faisait vrai.
Il cheminait à pas de sénateur par les chemins de son Occitanie
natale avec un bonheur toujours renouvelé...mais son inquiétude
prophétique de paysan-poète-visionnaire le faisait s’interroger
gravement sur l’avenir de la terre et des hommes...et dans le secret de
sa vie d’homme au moment du bilan...
« De jour en jour je rejoins papa, l’allongement de la figure,
l’allure du béret, l’oeil émerillonné, l’hilarité du rire, le coeur
content, et déjà la canne. Jusqu’où, jusqu’où ?... »
« Mon enfant que je n’ai pas eu...jeune je n’y pensais pas, adulte il n’y pensa pas ; vieillard je l’appelle et je l’aime... »