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Commentaire de Serge LEFORT

sur Timisoara-Och, la dictature de l'émotion


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Serge LEFORT Serge LEFORT 1er juillet 2010 17:02
Incapables d’argumenter pour justifier politiquement leurs interventions, les humanitaires abusent de l’injonction compassionnelle aux relents chrétiens. Mais ils sélectionnent leurs victimes en privilégiant les nouvelles (marketing) prêtes à chanter les louanges de l’aide humanitaire (retour sur investissement).

Lire :
• 01/12/2008, THRÉARD Yves, Le règne de l’information compassionnelle, Controverses.
• 24/03/2010, GINSBOURGER Francis, Le piège du social compassionnel, Telos.
• 16/06/2010, LEFORT Serge, Rue89, agent de propagande I, Monde en Question.
• 29/06/2010, COLOMB Philippe, La fin de l’illusion compassionnelle, Ecolosphere.
• RICHARD Michel, La République compassionnelle, Grasset, 2006.
Un pamphlet dénonçant la manière dont la prétention à l’humanité, la bonté, la charité, la compassion, a défiguré la politique - ses choix, ses risques, ses enjeux. Notre République se soucie désormais moins de la chose publique que de la gestion publique de la chose privée : société lacrymale avancée dont les gouvernants sont devenus les aumôniers. Grands ordonnateurs des pompes doloristes, ils courent au devant des malheurs : moins ils sont responsables, plus il leur faut se mobiliser ! Parades émotionnelles, armes de déploration massive, tout conduit à la surenchère dans la compétition victimaire du côté des gouvernés et dans la compétition compassionnelle du côté des gouvernants. A défaut de pouvoir accorder à tous l’envié statut de la fonction publique, l’Etat ne se montre pas chiche pour concéder celui de l’affliction publique. Nous voici de plain-pied dans la démocratie d’émotion, grimace de la démocratie d’opinion, elle-même grimace de la démocratie représentative. Demain, une démocratie de la niaiserie, en attendant celle du gâtisme ?
• REVAULT D’ALLONNES Myriam, L’homme compassionnel, Seuil, 2008.
La compassion peut-elle faire une politique ? Cette question est au centre du dernier livre de la philosophe Myriam Revault d’Allonnes. L’auteure constate que le vécu de la souffrance est désormais au premier plan de la réalité sociale et politique. Le discours victimaire a évincé le conflit, la lutte des classes, la revendication pour la justice et pour l’égalité. Fait nouveau, les candidats à l’élection présidentielle de 2007 ont même fait de leur aptitude à compatir un argument décisif de leur capacité à gouverner. Comment ce sentiment compassionnel s’est-il installé au centre du champ politique  ? M. Revault d’Allonnes met en exergue un «  mouvement de fond  », qui remonte à l’émergence de la sensibilité démocratique au xviiie siècle. Convoquant Alexis de Tocqueville, Hannah Arendt et Axel Honneth, elle montre que notre sensibilité à la souffrance d’autrui s’est progressivement aiguisée, jusqu’à embrasser l’humanité tout entière. Cette tendance s’exacerbe avec le «  triomphe de la similitude  » propre aux démocraties d’aujourd’hui.
Mais le risque de dérapage existe. Montrant un «  zèle compatissant  », nos gouvernants en viennent à insinuer  : «  Je souffre avec vous  ». Ce discours conduit à une confusion généralisée entre l’émotion et l’analyse, le temps médiatique et le temps de la compréhension, la morale et la politique. «  La politique compassionnelle est le contraire d’une politique, conclut M. Revault d’Allonnes. La démocratie compassionnelle est une démocratie dévoyée, la morale compassionnelle est un substitut affaibli et détourné de ce que Max Weber appelait l’éthique de conviction.  »
Faut-il pour autant bannir le sentiment compassionnel de la sphère politique  ? Pour l’auteure, une telle pétition de principe serait aussi vaine qu’inutile. La sagesse consiste à remettre la compassion «  à sa juste place  » dans la démocratie, et à inventer les instruments capables de nous préserver des effusions compassionnelles.

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