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Commentaire de Walid Haïdar

sur Le Projet Venus : analyse critique (2/3)


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Walid Haïdar 7 janvier 2011 14:45

Bonjour Morpheus,


encore un article fort intéressant, merci bien.

J’en commente donc la question centrale.

Vous, pointez plus particulièrement le doigt sur le rapport entre les « rythmes naturels » et la condition de l’humanité, en vous demandant quelle compatibilité existe ou n’existe pas, entre civilisation et harmonie avec la nature.

C’est un problème fondamentalement équivoque, pour un raison simple : nous ne connaissons pas la nature de la Nature, et nous ne pouvons donc pas juger intellectuellement de l’Harmonie que nous entretenons avec elle. L’Harmonie avec la Nature est donc à mon avis une notion intellectuellement biaisée. Alors peut-on réduire le « champ harmonique » pour parler de l’Harmonie avec la Nature Vivante ? Ce serait déjà différent et il faut le noter, il s’agirait d’un choix arbitraire. Pourquoi l’homme se soucierait-il de son harmonie avec le vivant plutôt qu’avec le cosmos dans son entièreté ? Que sait-on du rythme imposé par le cosmos et toutes les particules, énergies vibrations de l’univers, sur nos petits corps et nos « grands » esprits ?

Revenons à la Nature Vivante : il est clair que si on continue sur notre lancée consumériste, en léguant l’orientation de la civilisation à nos grands industriels et militaires, les êtres vivants vont en « souffrir » et on pourra le mesurer avec des données assez objectives, notamment par la réduction drastique de la biodiversité. Mais nous savons aujourd’hui qu’il y a 20 000 ans à peu près un cataclysme gigantesque a fait disparaître la quasi-totalité de l’humanité et bien des espèces. La biosphère a connu d’autres cataclysmes, à la suite desquels elle s’est lentement reconstituée, sous des formes nouvelles : les cataclysmes, les extinctions catastrophiques font donc partie du rythme « naturel » imposée à la biosphère par on ne sait trop quoi. L’homme n’étant pas grand chose d’autre qu’une composante de la nature, son comportement destructeur est-il si dysharmonique ?

La réponse ne me paraît pas si évidente. En fait, pour être tout à fait honnête, la Grande Harmonie, me paraît être une notion assez bancale et dangereuse. Pour moi, l’harmonie que l’on doit rechercher en tant qu’être humain, est avant tout d’ordre pragmatique. Si nous voulons limiter nos souffrances, nous avons plusieurs voies, et la question alors, bien plus prosaïque, est de savoir quelle voie nous choisissons, dans quelle optique, et avec quelles compromissions pour l’avenir. C’est pourquoi je goûte très peu, mais alors très très peu de cette histoire du berger et du cultivateur. Vous ne devez pas être sans ignorer par ailleurs que l’élevage d’Abel (même extensif et bio) est bien plus néfaste que la culture bio de Caïn, car l’élevage consiste ni plus ni moins qu’en une pullulation de grands mammifères que la biosphère avait, avant l’homme, une toute autre façon de réguler : je vous retourne en effet la question : quelle est la capacité de l’homme de résister à la tentation de protéger son troupeau à l’excès, en le mettant à l’abri de la régulation « naturelle », en s’alliant avec les chiens créatures artificielles, ou en chassant les prédateurs potentiels ? Les bêtes dont se nourrissent les humains, vous le savez, consomment des ressources de la terre, plus que ne le font les ressources de la terre dont se nourrissent les humains sans bêtes, c’est simplement arithmétique...

Il n’est pas évident non plus, que le nomadisme soit la meilleure façon de contraindre l’homme aux rythmes de la biosphère. Les Néandertaliens étaient peut-être de grands chasseurs qui suivaient les troupeaux et les mammouths, et ils ont peut-être été la cause de leur disparition (mutuelle). Mais plus certainement, pour se chauffer, le nomade va éternellement couper du bois, et rien ne garanti que le rythme de croissance de sa population soit compatible avec le maintien de la forêt, car nomade ou pas, l’homme croît et pullule en s’organisant pour améliorer sa survie à un rythme incomparablement plus élevé que les autres animaux, et c’est parce qu’il pullule qu’il se sédentarise dans un mouvement tout...naturel ! et alors la sédentarité lui permet de construire des abris avec une meilleure isolation, et des fours, qui lui permettent d’utiliser moins de bois de chauffe, et de construire des abris durables plutôt que d’en fabriquer d’éphémères continuellement. C’est dire la relativité de cette notion d’harmonie. Je pense qu’on peut pousser par ce genre de raisonnements à toutes les régressions, sans qu’on puisse choisir l’une plutôt que l’autre.

Rentrons alors dans le vif du sujet, par votre comparaison entre l’informaticien et l’amérindien. On voit souvent les amérindiens comme des gens qui vivent d’une certaine façon, ont toujours vécu de cette façon, et souhaitent vivre ainsi éternellement. Peut-être est-ce les travaux de ce réactionnaire de Lévi-Strauss qui ont conditionné cette vision grotesque (ce ton péremptoire que je ne peux réprimer, je le dois à mon aversion profonde pour la pensée statique de Lévi-Strauss, comme celle d’à peu près tous ceux qui sont bien établis). Les amérindiens ont grosso-modo les mêmes aspirations que l’informaticien qu’on peut résumer par : le confort matériel et intellectuel, ainsi qu’une étrange chose qui se situe entre les deux : l’AMOUR.

Et oui... C’est seulement la DÉCLINAISON de cette aspiration au confort et à l’amour qui change. Car la démarche pour y parvenir dépend alors d’un contexte socio-culturel (et technologique bien entendu). 

Je laisserai grande ouverte la question de l’amour. Cette notion est pour moi un mystère que je ne voudrais pas épaissir en m’hasardant à l’analyser. Mon impression est que l’amour est plus qu’une sensation et plus qu’un état intellectuel. L’amour est peut-être la résonance de la vérité sur nos conscience, tandis que la vérité serait la résonance de l’amour sur la réalité. C’en est en tous cas ma conception actuelle, et d’après cette conception, l’amour nécessiterait alors de se mettre au parfum des contingences...

 Je veux en revanche m’attarder un peu sur la notion de confort, car elle est l’embranchement entre les solutions et les problèmes de l’humanité, la porte ouverte par nos instincts sur l’enfer matériel et l’empire de l’erreur.

Notre besoin de confort matériel et intellectuel, de quoi s’agit-il donc ?

Un grand sujet de fâcherie entre moi et un ami soufi, c’est qu’il ne voit pas la nature hautement terre à terre de la spiritualité. A quoi rime donc l’élévation de l’esprit si elle n’est pas impulsée par la fange d’ici bas ? Il est vrai que quand on pense qu’un quelconque bouquin sorti de la bouche même de l’ange Gabriel recèle toutes vérités fondamentales qu’il s’agit de méditer, on peut se permettre de penser ainsi au dessus des contingences, alors qu’à mon humble (je plaisante smiley ) avis ce bouquin n’avait à la base que la prétention de sortir la tête du guidon de quelques barbares incultes. Mais comme cette hauteur hautaine est autiste ! Et comme les religieux sont de la pensée des bouchers bouchés débauchés ! Le grand livre, le vrai, c’est plutôt la nature et ce que nous en percevons, c’est à dire les contingences mêmes !

Le spirituel n’est que le parfum des contingences.

C’est pourquoi le confort est bien à l’embranchement des problèmes et des solutions, l’accès et l’obstacle vers le spirituel (et l’« amour véritable » dont j’ai évoqué la conception ci-dessus). Car le confort matériel donne le temps du spirituel, mais détache des contingences et donc de leur parfum. A l’inverse, le confort intellectuel donne la sérénité pour résoudre les problèmes concrets conçus selon nos modèles, mais nous enferme dans des certitudes qui dénaturent notre perception des parfums.

Nous avons donc besoin de confort, mais aussi d’une dynamique qui empêche le confort de prendre ses aises, et mieux : qui utilitarise le confort, en le replaçant non comme une fin (ainsi que notre instinct nous le fait rechercher), mais comme un outil délicat, un rouage coupant de notre marche vers l’avenir :

Le confort a tout d’une « faux » : il n’est pas toujours vrai, il doit être entretenu pour ne pas s’émousser, on doit y faire attention et le ranger après usage, on ne doit pas le laisser entre les mains d’un autre qui pourrait l’utiliser à mauvais escient (y compris nous tuer avec).

Ici donc, nous rejoignons le développement que j’ai fait dans mon commentaire de la partie précédente. Car la structure sociale littéralement duale de cette nécessité de prise de contrôle sur notre confort, EST la structure métacylique, qui sous-tend du mouvement, de la remise en question permanente, l’autonomie des organismes particuliers, l’empêchement des émergences de « trusts ».

Je ne suis pas certain que les amérindiens soient si spirituels que cela. Je pense qu’ils sont engoncés dans un confort intellectuel qui n’est pas moins dramatique que le confort matériel de l’informaticien californien : ces deux conforts occultent avec la même intensité la détresse existentielle dont émerge la spiritualité véritable.

La détresse existentielle n’est pas mauvaise ou bonne : elle est inhérente, à celui qui marche vers son propre chemin. Ceux qui s’arrêtent trop longtemps de marcher ne doivent pas se plaindre de leur disparition, car la réalité, elle, ne stoppera jamais son propre mouvement.

Je pense donc, au contraire des fadaises de Lévi-Strauss (qui aurait du se contenter de décrire, ce qu’il a très bien fait), que l’humanité est faite pour communiquer dans un grand mouvement métacyclique. La menace qui pèse sur les cultures ne vient pas de l’échange et du changement, mais de la perte de mémoire qui résulte des tables rases, qui résultent d’une civilisation des ornières, de la ligne droite, du mur et de la refondation.

Il nous faut une FONDATION permanente, ne jamais choisir de chemin, mais choisir de façonner des chemins incomplets qui forment le grand dessin de notre histoire, la grande fresque de notre existence, le grand tissu, NOTRE réalité, NOTRE barque à l’assaut et CONTRE les assauts de la réalité que nous proposent les contingences. Ceci est le seul gage de l’émergence de la spiritualité véritable. Tous ces chamans peuvent bien ergoter, ils ne sont que des ignorants, engoncés dans leurs habits de sages, et non pas connectés à la réalité, c’est à dire non pas aux 4 éléments bidons, aux plantes médicinales certes utiles, aux vieux dictons parfois vrais, mais au monde, à la nature, aux hommes, et au mouvement des choses et des cultures : il n’y a aucune réalité statique, et tout ce qui se stabilise est donc ontologiquement mort. A l’opposé, les scientifiques peuvent bien résoudre leurs équations, ils ne sont que des particules élémentaires qui ne font pas de sens. Les uns s’arrêtent pour chercher un sens fugitif et ne trouvent que des illusions, les autres avancent le long de leurs lignes théoriques et n’y trouvent aucun sens.

C’est en formant un TOUT multiple et dynamique, un grand TOUT-MULTUEUX que l’humanité satisfait ses besoins fondamentaux de nourriture matérielle et spirituelle, et mène sa barque à travers le tumulte de l’univers. Selon les rapports qui seront mis en circulation (et non pas « qui seront établis » !) entre ses parties, ce TOUT-MULTUEUX sera ou ne sera pas, se désintégrera ou se développera.

Seule la vie s’oppose à l’entropie et à la destruction par la ruse du change-forme.

La question est alors : saura-ton faire de l’humanité un véritable organisme vivant, se développant tel un archipel chatoyant dans les steppes arides du cosmos, à l’avant-garde de ses frères et soeurs de la biospère ?

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