• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile


Commentaire de Bovinus

sur Censure : les médias ont retardé l'exportation de la « révolution espagnole »


Voir l'intégralité des commentaires de cet article

Bovinus Bovinus 24 mai 2011 22:41

Marc Gelone :
Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais l’Homme Nouveau dont il était question dans les livres des grands théoriciens et dans les séances de rééducation, il a complètement merdé... Si ça peut vous consoler, celui des Nazis aussi...

Ainsi que celui des démocraties de marché occidentales, comme on peut le constater. Au moins, celles-ci n’ont jamais eu la prétention de créer un homme nouveau. Elles ont péché par le contraire, en le présentant pire qu’il n’était (je pense aux auteurs comme Hobbes ou Bentham), et en l’encourageant dans cette voie.

jaja  :
Prétendre changer l’homme en laissant les conditions d’exploitation perdurer, comme ce fut le cas en ex-URSS c’est ou mensonger ou idiot...

On connaît assez mal l’URSS chez nous, mais rétrospectivement, je dirais que ce régime ne fut pas aussi mauvais qu’on le dit (en tout cas, hormis la période stalinienne). Il est parvenu à de grandes réalisations et n’était pas intrinsèquement malveillant, ce qui l’a sauvé plus d’une fois. Je ne pense pas non plus qu’il se soit effondré ; je pense qu’il serait plus juste de dire que certaines personnes pressées de jouir l’ont effondré, avec le consensus mou et « démocratique » des masses, qui voulaient aussi jouir, consommer, avoir un magnétoscope, du Coca et bouffer au McDo. Ces personnes (ou bien, leurs héritiers) sont aujourd’hui - et ce n’est en aucune façon un hasard - à la tête de véritables trusts tels que Gazprom, Yukos, Norilsk nickel, Severstal, Troïka Dialog, Lukoil, Rosenergia, Rosoboronexport, etc, etc.

Cependant, passé l’euphorie de la grande braderie, la Russie revient à ses fondamentaux : défense, énergie, matières premières, espace, aéronautique, industrie lourde, agriculture. Tout cela a été rendu possible par le communisme soviétique, tout cela représente son indiscutable et magnifique acquis. Le contester serait grotesque. Il est possible que le pays y fût parvenu sans dictature communiste, mais rien n’est moins sûr. Les grands problèmes de la Russie furent son retard, la deuxième guerre mondiale, et enfin la guerre froide. La mobilisation extrême rendue possible par un régime de ce type lui a permis de relever brillamment ces défis. Aujourd’hui, Poutine gouverne d’après les méthodes qui furent exactement celles de l’URSS : structure oligarchique du pouvoir avec un « Tsar » au sommet, centralisation, autoritarisme modéré et opacité dans la prise de décision, spectre politique réduit, nomination et limogeage directs des cadres, contre-pouvoirs (presse, justice, société civile) encadrés, et consensus populaire. Même les grands axes de politique n’ont pas changé : impérialisme modéré dans l’étranger proche, non-ingérence ailleurs, recherche de l’indépendance, et renforcement permanent des capacités militaires. Avec l’idéologie et la rhétorique marxistes en moins.

jaja :
Seule une société d’égalité réelle ou l’exploitation disparaît apportera à terme des changements dans les comportements humains...

L’égalité, réelle ou non, est un mythe. Les gens sont par nature inégaux. Ce qui est possible, en revanche, c’est d’instaurer une égalité relative de moyens et de chances. C’est ce qu’ont réussi à faire la Norvège, le Danemark et la Suède. Force est de reconnaître que leur modèle est plutôt pas mauvais.

Marc Gelone :
Est-ce qu’on peut penser qu’alors il n’y aura plus de séducteurs donc plus de cocus ?

Non, il y en aura toujours. Ce qui est faisable, c’est de restaurer des valeurs sociales qui stigmatisent ces individus, ainsi que des lois qui les condamnent. De nos jours, on fait l’inverse, le résultat n’est donc guère étonnant. Lisez « Théorie de la classe de loisir » de Thorstein Veblen, il décortique fort bien ce problème.

Évidemment, ce ne sera pas suffisant, car il faut aussi les empêcher de reprendre le pouvoir et de modifier les lois à leur avantage. La démocratie directe, ainsi qu’une décentralisation poussée, sont indispensables pour s’en protéger. Les structures économiques devront être réduites en taille et probablement nationalisées, du moins celles des secteurs stratégiques, et celles qui par nature ne peuvent être réduites en-deçà d’un certain seuil (aéronautique ou énergie, par exemple). Les travailleurs devront être propriétaires des autres (c’est à dire, actionnaires). Tout cela ne sont que des pistes de réflexion, et on peut certainement en proposer beaucoup d’autres.

Mais ce n’est pas le plus important, le plus important, ce sont les valeurs. C’est par là qu’il faut commencer, car sans cela, tout le reste ne peut que s’effondrer.

Marc Gelone :
Et c’est parce qu’ils ont raison sur l’essentiel et tort sur les détails, que les « progressistes », bons ou mauvais, se plantent dès qu’ils prétendent mettre leurs théories en pratique ?

Mon dernier paragraphe apporte un début de réponse à votre question. Je vais développer un peu. Le XIX et le XXe siècles furent les siècles de Hegel, de Hobbes et de Bentham. C’est pour cela qu’il ont été des siècles globalement atroces. Ils auraient pu être ceux de Rousseau, de Montesquieu, de Proudhon et de Bakounine. Cependant, aussi bien les premiers que les autres, ne sont que des fossoyeurs de la chrétienté. C’est de notre vide moral et spirituel que sont sortis toutes ces monstruosités, tous ces charniers et toute cette misère. Notre nouveau dieu est Mammon, pour reprendre une expression marxiste. Notre nouveau clergé sont les bourgeois, les banquiers, et les politiques professionnels. Il faut absolument se défaire de leur joug insidieux, de la prospérité qu’ils cherchent à nous refourguer, de leurs valeurs de sécurité et d’ordre, de l’ambition de la richesse et du culte de l’Argent. Mais, avant d’en arriver là, faut-il encore inventer ce qu’on va mettre à la place.

« L’argent est une nouvelle forme d’esclavage, et elle ne se distingue de l’ancienne que par son caractère impersonnel - il n’y a pas de relation humaine entre le maître et l’esclave. » Cette phrase de L. Tolstoï résume assez bien la situation.

Réinventer des valeurs et une société n’est pas chose facile. La sauvegarde de l’environnement et de notre planète y aura une belle place, c’est certain. La frugalité également, car notre style de vie n’est pas tenable, et même foncièrement malsain. Une forme de prise de décision consensuelle aussi, certainement. Je ne m’aventurerai pas au-delà.

On a besoin de penseurs et de philosophes (le XXe siècle a d’ailleurs été particulièrement indigent à ce niveau) qui soient capables de synthétiser ce qui a fait ses preuves (christianisme, bouddhisme, confucianisme, philosophie grecque...) et à produire un truc viable à partir de cela. Ou pourquoi pas, d’inventer quelque chose de relativement nouveau. Chercher, réfléchir, proposer, débattre, c’est déjà beaucoup. Tout le monde a le droit de participer et de s’y essayer, même vous smiley


Voir ce commentaire dans son contexte





Palmarès