La France ne s’est jamais remise de la fin de l’ère dorée des
Trente Glorieuses. Elle cultive la nostalgie de cette époque d’après-guerre
qui avait vu le pays, en reconstruction et « en rattrapage » technologique et
managérial par rapport aux Etats-Unis, jouir d’une forte croissance, d’un
plein-emploi « à vie », d’un développement , de l’Etat providence et d’une
promotion sociale généralisée. Le souvenir en est mythifié. Les conditions
sociales étaient en réalité dures, les bidonvilles nombreux, les femmes
discriminées, l’espérance de vie de onze ans plus courte, la durée du travail
hebdomadaire effective plus longue de dixheures. Mais la mémoire est sélective
et l’histoire est embellie. Le succès extravagant du livre de Stéphane Hessel (Indignez-vous l’illustre jusqu’à la caricature.
A partir de 1975 et les crises du
pétrole, s’est ouverte l’ère que certains appellent les
«
Trente Pleureuses » : inflation puis chômage
de masse. Bousculé, le pays a connu depuis lors des alternances politiques mais
le regard est resté orienté vers le passé des Glorieuses. Droite et gauche
réunies ont fait le même choix politique majeur : tenter à toute force de
préserver/ retrouver l’ancien mode de croissance. Le passé plutôt que l’avenir.
Les comptes publics ont été systématique-ment déficitaires, la France a accumulé des
dettes, sans pour autant s’équiper d’infrastructures modernes, universitaires
ou hospitalières. Cette première conséquence, celle de charger le dos
des générations futures, décrite dans de
nombreux rapports, est restée sans correction. La crise des dettes souveraines
en Europe va désormais forcer les dirigeants à l’austérité pour plusieurs
années.
Il est une seconde
conséquence pour les jeunes, encore mal perçue et contestée.
La génération précédente, protégeant jalousement
ses emplois, a poussé la jeunesse dans les
stages gratuits, les CDD en série, les jobs précaires. Depuis trente-cinq ans,
le taux de chômage des moins de 25 ans a été invariablement deux fois
supérieur à celui du reste de la population. « A droite comme à gauche, l’enjeu est de servir les droits acquis plutôt que
de développer ceux de demain », se plaint le sociologue Louis Chauvel (1) qui dénonce le caractère « profondément conservateur et rentier
de la société française ». Les jeunes sont triplement déclassés : par le niveau
des emplois en dessous de leur niveau d’études, par le risque aggravé d’être
dans un « des-censeur social » par rapport à leurs parents et des droits
sociaux dégradés (par exemple à la retraite)
puisqu’ils ont commencé plus tard et plus bas. On doit aussi inscrire
dans cette liste les difficultés à se loger.
Faut-il prendre des
mesures spéciales pour favoriser l’emploi des jeunes ? se demande aujourd’hui le
gouvernement.
Il faut d’abord supprimer tous les
dispositifs qui les pénalisent. La France aime davantage son passé que ses jeunes. Beaucoup, à
droite comme à gauche, refusent d’admettre
la
réalité d’un « conflit entre les générations ». Tandis que les bancs de l’Assemblée nationale sont occupés par une majorité écrasante d’hommes
de plus de 60 ans...
Puisse la campagne présidentielle de 2012 porter ce
débat au premier plan. Les dettes et le chômage des jeunes sont les deux plaies
les plus profondes de la
France. Le pessimisme fondamental du pays prend ses racines
dans trente-cinq ans de nostalgie des Trente Glorieuses. Puisse la France se détourner de 1945
et regarder vers 2020. (1) Le Destin des générations, PUF, 2010