Bonjour Aspiral,
Il ne suffira pas pour mettre de l’ordre que chaque
groupe constitué se limite dans ses activités. Il
manquera toujours un tissus de gens ayant une autorité
reconnue - autorité par opposition à pouvoir, et
réellement reconnue par les populations, parceque
s’appuyant sur une exemplarité et une valeur humaine
forçant le respect- qui puissent arbitrer les conflits
et s’opposer au pouvoir des puissants.
Le problème est bcp plus vaste : la source de la vie
sociale dans la cité et de ses équilibres a toujours été
issue du bas, de la communauté humaine, et non de l’Etat,
de ses « pauvres élites » et non de son tyran. A l’époque
féodale le seigneur pouvait exiger des corvées et faire
valoir ses droits, mais il n’avait pas le pouvoir
de s’immiscer dans la vie du bourg, de sa Mesnie, et de
régir cette vie : la communauté était alors autonome.
Toute différente est la situation d’aujourd’hui où
l’Etat - sous toutes ses formes, le « système » et non le
gouvernement- s’immisce en permanence, sous forme de lois
et de contrôles omniprésents, dans la vie des gens, et
même dans notre imaginaire puiqu’il est presque devenu
normal aujourd’hui d’être plus citoyen qu’être humain.
Mais où donc est passé ce « lien social » entre les gens
qui est la base et la chair même d’une société humaine ?
Jean-Claude Kaufmann -le sociologue- donne un début de
réponse dans sa « théorie de l’identité » : le lien a été
capté par l’Etat à sa création ; et personnellement, je
parlerais même plutôt de confiscation...
C’est ce lien qui est l’aune et la mesure de toute
société, et qui la rend possible. Et son absence dans nos
pays modernes est bien le signe premier qu’il n’y a plus
là de société humaine ; seulement un Etat, cad une "machine
à vivre", pour pasticher la description des HLM comme des
« machines à habiter ».
C’est le rétablissement de ce lien qui serait, par la
nature même des choses, la première étape nécessaire à la
revitalisation d’une société digne de ce nom dans nos
pays. Mais cela semble bien impossible, et pour deux
raisons :
D’abord, il faut prendre conscience qu’un tel projet
serait la chose la plus subversive qui soit vis à vis
de l’Etat : une société humaine, unie, autonome et épanouie
signifierait sa dissolution en tant que pouvoir et le
transformerait en outil. Aucune entité n’accepterait
cela de son plein gré.
Et puis le point de vue occidental moderne a perdu la
plus grande partie de ses caractères humains ; je
m’explique : à force de vivre et d’être éduqués dans
un monde régi par les processus techniques, nous avons
fini par chercher exclusivement toute explication
dans ces techniques, et à nous imaginer que tout, même la
vie, est de la nature d’un processus technique.
Demandez aux gens, ils vous parlerons toujours
de« construire » une nouvelle société, comme s’il
s’agissait d’une maison ou d’un pont ; mais il ne
leur vient pas à l’esprit qu’une société, chose
vivante s’il en fut, devrait se faire « pousser », et que
l’on devrait la cultiver ; et toutes les mesures prises
par les services de l’Etat en cas de problème de société
ou de quartier sont imprégnée de ce défaut : on équipe ou
on organise (ou l’on contrôle) ; comme si, pour soigner
une famille en laquelle serait entrée la violence il
suffisait de changer les meubles de la chambre des
enfants ou de repeindre les murs.
Comment retrouver la théatralité nécessaire pour rétablir
un tel lien en évitant de tomber dans de la morale à deux
sous, ou du travail de secte ?
Ce sont des choses qui se transmettaient naguère par
éducation et héritage, mais qui ne s’inventent pas. Et
qui aujourd’hui prendrait tout celà au sérieux ?
Cordialement Thierry