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Commentaire de Bovinus

sur Du PC à la Voie Lactée : les performances de nos ordinateurs


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Bovinus Bovinus 22 décembre 2011 00:01

Je soutiens la position de Yoann. L’informatique, j’ai laissé tomber au début des années 2000, et suis passé à un domaine totalement différent. Cela dit, j’ai pas oublié mes bases, et d’un point de vue strictement économique, les deux points-clefs de la controverse sont ceux-là :

Marc Bruxman :
Des dizaines de jours hommes économisés d’un coté contre 300$ de hardware en plus ? Et vous choisissez quoi ?

À quoi Yoann répond ceci :
Vous faites l’apologie de la médiocrité...
Prenez une cuillère en plastique et une cuillère en métal. L’une des deux fera bien mieux sont boulots pendant plus longtemps et avec un meilleur rendement pour l’acheteur.

La question ici est celle de l’arbitrage entre divers facteurs, tels que la consommation de ressources, l’investissement dans la production de hardware plutôt que dans le développement, la valeur de l’argent par rapport aux ressources et aux « jours-hommes », et l’arbitrage entre capital humain et capital industriel. Ces questions touchent aux choix socio-économiques fondamentaux de la société où tout ceci se déroule. Les adeptes de la solution « hardware » estiment qu’avec un simple upgrade hardware relativement bon marché, l’entreprise économise des capitaux sur les charges personnel, ce qui la rend plus efficace et se traduit par un meilleur rendement du capital investi pour les investisseurs. C’est pas faux, et c’est en effet la meilleure solution dans le cadre de notre système économique actuel.

Maintenant, examinons les conséquences concrètes d’une telle situation. Plutôt que d’employer un développeur de plus, nous importons du matos américain (les CPUs relèvent du duopole Intel-AMD), ce qui provoque une fuite de capitaux de l’économie locale vers l’économie américaine correspondant grosso-modo à la somme que nous dépensons en hardware. De plus, la production de CPU étant fortement automatisée, l’argent de ces CPU s’en va dans la poche du très riche capitaliste propriétaire de la machine qui fabrique ces CPU, et qui, de toute façon la fait fonctionner dans quelque pays misérable du Tiers-Monde pour un bol de riz les 10 Quadcores. Quant au capitaliste, l’argent sera au choix, réinvesti dans le développement et le marketing du prochain CPU encore plus puissant que le précédent, placé chez un banquier ou bien en bourse, c’est à dire, détourné vers l’économie dite « virtuelle ». Enfin, comme ces CPU nous dispensent d’embaucher un codeur de plus, on fabrique un chômeur supplémentaire, ce qui signifie que celui-ci a été formé en vain. On est dans un schéma de rentabilisation maximale du capital par externalisation de coûts environnementaux (ressources inutilement gâchées pour produire les CPU) et sociaux (délocalisations, chômage, gaspillage de capital humain).

Dans ce schéma monstrueux, où la machine pourtant censée aider les hommes, le seul à bénéficier des retombées du processus productif est celui qui possède la grande Machine à fabriquer les machines. Ce type de système, poussé à son paroxysme, nous donne fatalement une situation où quelques riches possèdent tous les outils de production et exploitent sans vergogne une armée de misérables qui eux ne possèdent rien, et n’ont pas la moindre sécurité économique. C’est évidemment très simplifié, mais néanmoins vrai. L’arbitrage entre embaucher, c’est à dire, faire faire le travail par les hommes, ou bien, concentrer le capital, c’est à dire, investir dans l’outil de production est un choix de société et débouche, comme on l’a vu, vers des conséquences sérieuses . La question qu’on devrait se poser n’est pas de savoir combien d’heures-homme je « gagne » si je remplace mes ordinateurs par des ordinateurs plus récents et performants, mais de savoir à QUI ces gains d’efficacité profiteront-ils, et sont-ils justifiés eu égard au projet de société en vue. Il existe évidemment des situations où une économie de ce type est justifiée, par exemple, une situation de guerre économique, ou de guerre tout court. Mais ce qu’il faut saisir, c’est que le choix de mettre en œuvre une économie de guerre doit relever de la société et non de quelques individus.

Si la machine permettait de libérer l’homme afin qu’il puisse se consacrer à autre chose, alors, je dirais : vive la machine ! Malheureusement, chacun sait qu’il n’en est pas ainsi dans nos démocraties capitalistes. La machine sert, depuis au moins l’époque des filatures de Manchester et de Lyon, à écraser les salaires des misérables qui font fonctionner la machine (le chômeur ne coûte rien au capitaliste, et de plus, fait office d’épouvantail pour ceux qui ont encore un emploi, ce qui les pousse à accepter des salaires plus faibles ou des conditions de travail plus dures). Le propriétaire de la dite machine, s’enrichit scandaleusement, tandis que la société en supporte les conséquences (chômage, misère sociale, ressentiment, etc.).

Maintenant, considérons la réponse que Marx apporte à ce problème qu’il a eu le mérite d’avoir formulé en ces termes que je viens d’exposer plus haut : le capitalisme d’État, où le capitaliste propriétaire de la machine n’est pas un individu mais le Léviathan étatique. Cela n’a pas eu les résultats espérés, mais même en admettant que cela fonctionne comme Marx l’entendait (c’est à dire, alléger dans une certaine mesure le fardeau du travail de production), on peut se retrouver confronté à des problèmes d’un tout autre genre. Par exemple, le désœuvrement, la dépendance excessive du système productif envers la machine, ou encore sur-concentration de pouvoirs dans les mains de l’État avec tout le cortège de risques funestes que cela implique (bureaucratisation, totalitarisme, violence sociale).

Ce qui me conduit à conclure que la réponse capitaliste à l’arbitrage entre capital et main d’œuvre, qu’elle soit privée ou étatique est rarement la bonne. Gardons-nous d’en conclure trop vite que la machine et les outils sont préjudiciables à la sanité sociale ; ce que je cherchais à montrer, c’est que c’est la machine qui doit servir l’homme et non l’inverse. Quand le capitaliste se sert du capital pour réduire les charges de personnel, en vérité, il asservit ce personnel par le jeu du mécanisme ci-dessus décrit. Il semble que la société, dans son ensemble, a tout à gagner à préférer l’embauche de main d’œuvre supplémentaire à l’acquisition de machines. À moins, bien sûr, que ces machines ne fassent ce qu’on en attend généralement : décharger l’homme de tâches ingrates, et démultiplier son potentiel.


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