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Commentaire de bluebeer

sur Du gène égoïste au génie collaboratif


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bluebeer bluebeer 9 janvier 2012 20:13

Bonjour l’auteur.

Merci pour une autre de vos intéressantes contributions à agoravox, qui suscite quelques remarques et réflexions :

Votre interprétation du « gène égoïste » de Dawkins me paraît erronée. Il ne s’agit nullement de la thèse selon laquelle l’égoïsme est programmé génétiquement, mais plutôt celle selon laquelle les gènes roulent pour leur propre compte. De ce point de vue, l’enjeu de la sélection naturelle n’est ni la préservation de l’espèce (ou groupe), ni la survie de l’individu, mais plutôt la prolifération de séquences génétiques qui se recopient à l’infini, fût-ce au travers d’organismes différents – lesquels ne sont que de simples vecteurs de transmission, ou stratégies évolutives. Paradoxalement, la théorie du gène égoïste expliquerait l’incongruité de l’altruisme animal (où des individus se mettent en danger pour le profit du groupe) car cette attitude tendrait à maximiser au bout du compte la prolifération du patrimoine génétique en favorisant la survie du plus grand nombre.

Cette théorie constitue donc une espèce de révolution copernicienne dans le domaine du darwinisme, séduisante à bien des égards, volontairement provocatrice dans sa forme originelle, mais qui se heurte à toute une série de difficultés théoriques et épistémologiques dont la moindre n’est pas la définition du « gène de base » et les mécanismes de son « intelligence ».

Pour élaborer sur le reste de votre texte, ce n’est pas l’égoïsme en tant que tel qui fonde l’argumentaire de la culture libérale, ni même son corolaire implicite selon lequel on n’œuvre bien que dans son propre intérêt. L’idée invoquée est plutôt celle d’une méritocratie fantasmée, où le meilleur l’emporte et impose ses solutions à la communauté. Les solutions sont individuelles, et émergent de par la ténacité de ceux qui les proposent.

Davantage encore que darwinien, ce point de vue est intrinsèquement lié à une vision protestante, calviniste du monde. Chaque homme est responsable devant le créateur ; il lui appartient de travailler dur et de faire fructifier son talent, ce qui bien naturellement lui attire sa juste récompense sous forme d’une position enviable dans la société – dieu est juste, ne l’oublions pas. A contraster avec l’attitude catholique où l’individu peut se permettre d’être pêcheur et indolent la plupart du temps, puis d’effacer l’ardoise d’une petite confession assortie de trois aves et deux paters.

Cet esprit protestant, contemporain de l’essor de la démocratie libérale anglo-saxone qui offrait la possibilité aux roturiers de faire fortune et de se hisser au rang de la gentry, a créé une culture de la compétition chère aux américains. Là où nous voyons de l’égoïsme, ils voient de la justice sociale : ceux qui bossent dur ou sont malins récoltent le fruit de leur travail et de leur astuce. La société s’organise en conséquence, avec les malins, les doués au sommet, et les autres, moins méritants à la base. En revanche, la coopération et la solidarité sont des non-sens qui affaiblissent le groupe et permettent aux maillons faibles de fragiliser l’ensemble de l’édifice. Mérite donc, pas égoïsme.

Enfin pour terminer, une dernière réflexion est que de nombreux éthologistes darwiniens considèrent la coopération comme une étape critique dans l’évolution de certaines espèces, notamment en leur permettant de chasser des proies plus grandes et plus abondantes, et d’augmenter leurs chances de survie. Pour chasser en groupe, il faut se coordonner, il faut se structurer (hiérarchiser) et surtout, il faut se faire confiance. C’est ainsi qu’une petite branche des hominidés a fini par décoller et dominer le monde animal et végétal. On trouvera donc plus facilement des justifications génétiques à l’altruisme et à la coopération qu’à l’égoïsme, qui serait plutôt un reliquat de formes de vies plus frustres.


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