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Commentaire de HORCHANI Salah

sur La nouvelle tendance du Ministère tunisien de l'Enseignement Supérieur !


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HORCHANI Salah HORCHANI Salah 13 janvier 2012 20:57
« Les Tunisiennes et la Faculté de résistance
Vendredi 13 janvier 2012 

Par Lucas ARMATI

Un an après la chute de Ben Ali, “Télérama est allé à la rencontre des Tunisiennes”. Sur le campus de l’université de Manouba, le ton monte. Des étudiants réclament le droit au niqab. Etudiantes et enseignantes racontent.

Rafika Ben Guirat ressemble à toutes ces femmes que l’on croise avenue Bourguiba, les Champs-Elysées de Tunis : hauts talons, veste cintrée, chevelure dans le vent. Fin octobre, cette sémillante professeur de marketing et communication se rend à l’université de la Manouba, en banlieue tunisoise, pour donner un cours. Dans le grand patio ensoleillé de la fac, elle salue des étudiants. Avec son franc-parler, l’enseignante est très populaire. «  Quand je suis entrée dans l’amphi, j’ai compris dans le regard de mes élèves que quelque chose n’allait pas.  » Dans la classe, des types inconnus. A la porte, très vite, de l’agitation. En quelques minutes, une foule « énorme » s’amasse. « Mes étudiants m’ont suppliée d’arrêter le cours et m’ont escortée jusqu’à l’administration.  » On lui rapportera plus tard que la foule en voulait à sa tenue, jugée irrespectueuse... « J’avais pourtant une veste rouge, une robe blanche : les couleurs de la Tunisie ! » Secouée, Rafika Ben Guirat a tenu à reprendre les cours, comme si de rien n’était. Dans son petit bureau où les élèves défilent pour récupérer leur rapport de stage corrigé, elle confie, droit dans les yeux : «  Les médias ont voulu mettre ça sur le dos d’une islamisation de la société. Je crois surtout que ce sont quelques gars qui voulaient voir jusqu’où ils pouvaient aller. Ni plus ni moins. En aucun cas on ne fera de moi un symbole. »

Depuis la victoire du parti islamiste Ennahda aux élections de l’Assemblée constituante, l’université de la Manouba focalise l’attention des médias. Sous le régime autoritaire de Ben Ali, balayé il y a tout juste un an, ce campus excentré, planté au milieu de nulle part, était considéré comme un foyer insoumis, avec ses mouvements étudiants récurrents, ses grèves administratives, ses profs qui autorisaient le foulard - ultime signe de résistance alors que le pouvoir pourchassait les islamistes. Aujourd’hui, ce pôle universitaire - 26 000 étudiants,
dont 60 % de filles - est devenu malgré lui le symbole de la turbulente Tunisie postrévolutionnaire. Quelle place accordera l’université à l’islam, religion d’Etat mais tenue jusqu’ici à relative distance ? Respectera-t-elle le statut particulier des Tunisiennes, protégée par un code progressiste qui leur a permis d’accéder à l’éducation et à l’emploi (lire ci-dessous Filles de Bourguiba ) ? Avec leur quarantaine de députées d’un côté, leur discours ambigu de l’autre, les islamistes laissent planer le doute...

Leurs revendications sont claires : que les étudiantes puissent assister aux cours et passer leurs examens en niqab. Le mois dernier, l’université a encore une fois cristallisé les tensions. Une trentaine d’étudiants a décidé d’occuper le modeste bâtiment de la direction de la faculté des Lettres, des Arts et des Humanités. Ils nous montrent les couloirs encombrés de matelas, posés à même le sol. Certains campent là jour et nuit. Sont-ils des salafistes, ces musulmans ultra orthodoxes ? Eux disent que non, mais leurs revendications sont claires : que les étudiantes puissent assister aux cours et passer leurs examens en niqab, le voile intégral. Au premier étage, ils ont installé une sono, qui diffuse non-stop des chants islamiques. A côté, les leaders du mouvement - longue barbe et tenue traditionnelle - enchaînent les interviews, mi-suspicieux mi-professionnels, pointant du doigt les « médias de gauche » et la direction de l’université, qui refuse de céder et a annulé cours et examens, pour protester contre leurs méthodes.

Un peu à l’écart, une étudiante regarde cette agitation d’un air las. Voile violet, écharpe multicolore, Hajer est originaire de Tataouine, dans le sud désertique. Elle s’est inscrite à l’université de la Manouba pour suivre un troisième cycle d’anglais mais à cause de l’occupation les cours n’ont toujours pas pu commencer. « En attendant, je continue à payer mon loyer pour rien, se lamente-t-elle. J’ai parfois envie de tout arrêter et de rentrer chez moi. » 

Pourtant, l’année écoulée fut pleine de promesses : les manifestations anti-Ben Ali auxquelles elle a participé malgré la peur, la chute soudaine du régime, la tenue des élections dont elle insiste pour nous montrer les photos... elle revit tout avec passion. « Avant, à l’école, on écoutait l’hymne national tous les matins, mais cela ne nous parlait pas. Désormais, je ressens toutes les paroles au plus profond de mon être, je suis fière d’être tunisienne. Persuadée que le parti saura résister à sa frange la plus extrême, Hajer a voté pour les islamistes d’Ennahda. Mais elle renvoie dos à dos les manifestants et l’université : « Il faut laisser les femmes porter le niqab si elles le souhaitent, les hommes boire de l’alcool s’ils le désirent. Seul Dieu peut nous juger. »

Comme chaque matin depuis le début de l’occupation, le corps enseignant tient une réunion de crise dans le spacieux amphithéâtre Carthage. Beaucoup sont des femmes de la génération Bourguiba, ferventes avocates de la condition féminine. Ulcérées, elles ne comprennent ni les revendications des manifestants ni le flegme de certains étudiants. « Le niqab ne correspond pas à la tradition de la Tunisie ! s’écrie une prof de français. Et comment voulez-vous dialoguer avec vos élèves si vous ne pouvez pas voir leur visage ? » 

Malgré le mauvais souvenir laissé sous Ben Ali par la présence d’un corps de police aux portes de l’université, le tout nouveau doyen s’est décidé à faire appel aux forces de l’ordre pour déloger les perturbateurs. La demande est restée lettre morte, jusqu’à la semaine dernière. Le pouvoir avait-il intérêt à laisser pourrir la situation pour discréditer les professeurs ? Beaucoup le croient, dépités par la déliquescence de l’enseignement supérieur. Tous évoquent les promotions réservées, sous Ben Ali, aux fidèles du régime ; les réformes imposées au chausse-pied, sans budget ; la valeur des formations en chute libre.. 


Pendant des années, le pouvoir s’est servi du statut des Tunisiennes comme d’une vitrine, pour avoir l’Occident avec lui.” Dalenda Larguèche, directrice du Credif 

A l’autre bout de la ville, sur les hauteurs du quartier El Manar, Dalenda Larguèche reçoit dans son vaste bureau. Depuis trois mois, cette très chic professeur d’histoire moderne se partage entre l’université de la Manouba - où elle enseigne - et ses nouvelles fonctions de directrice du Credif, un important centre chargé de promouvoir les femmes, devenu outil de propagande sous Ben Ali. « Pendant des années, le pouvoir s’est servi du statut des Tunisiennes comme d’une vitrine, pour avoir l’Occident avec lui. L’institution que je dirige était instrumentalisée. Aujourd’hui, j’essaie de lui redonner de la crédibilité. » La mobilisation des professeurs de la Manouba, elle la soutient, y participe dès qu’elle le peut. Ce qui ne l’empêche pas de critiquer les erreurs des progressistes. « Pendant la campagne, les partis modernistes n’ont pas su s’emparer des vraies préoccupations du peuple. Ils ont axé leur discours sur la laïcité, en attaquant Ennahda. Dans l’esprit de beaucoup, c’est devenu une campagne anti-islam... ». Dans un haussement d’épaules, Dalenda Larguèche assure accepter les résultats des élections - « c’est le jeu de la démocratie  ». Mais, soucieuse de ne pas retomber dans les pièges du passé, elle se méfie de toute récupération politique.« Ce n’est pas à l’Etat de se charger de la question de la femme, mais à la bouillonnante société civile.  » 


Depuis l’année dernière, les citoyens tunisiens n’ont pas cessé de se mobiliser, multipliant pétitions, manifestations, grèves. L’épicentre de cette passion démocratique se situe devant les grilles du palais du Bardo, où siège l’Assemblée fraîchement élue. Le lieu est devenu une agora cacophonique et vit au rythme des engueulades et des débats publics. Des féministes réclament des garanties, des mineurs de la région de Gafsa demandent du boulot, des anti-Ennahda crient leur méfiance, des anciens combattants exigent leur pension... Certains dorment sur place, dans des tentes montées à la va-vite. Pas question que les hommes politiques leur volent « leur » révolution !

A 33 ans, Neila incarne cette Tunisie post-Ben Ali, vigilante et engagée. Volubile, cette doctorante à la Manouba a participé aux manifestations pour la défense des femmes. Mais elle s’énerverait presque quand on lui en parle : « Ces débats sont à côté de la plaque ! Avec bientôt un million de chômeurs, la priorité numéro un, c’est l’emploi ! » Dès les premiers jours de la révolution, celle qui se voyait appartenir à« une génération de lâches  » a monté via Facebook un groupe pour nettoyer l’avenue Bourguiba, où avaient lieu les plus importantes manifestations de Tunis. « C’est quoi cette schizophrénie de vouloir prendre son destin en main et de jeter son sandwich par terre ?!  » Les mois qui ont suivi, avec ses amis garçons et filles, Neila ne s’est pas arrêtée, s’engageant dans plusieurs associations pour aider l’intérieur du pays, très pauvre, ou former des observateurs impartiaux pour les élections. Aujourd’hui, elle sent un léger « reflux » dans la mobilisation. Découragement ? Fatigue ? «  Il faut réfléchir à de nouveaux modes d’engagement. Car si on ne trouve pas de solutions aux problèmes urgents, il ne faudra pas s’étonner de voir éclater une autre révolution, peut-être moins pacifique. Ça nous concerne tous, les hommes comme les femmes... »


Filles de Bourguiba 

Sans équivalent dans le monde arabo-musulman, le statut des Tunisiennes doit beaucoup au père de l’indépendance, Habib Bourguiba. Influencé par des penseurs progressistes du XIXe siècle, il instaure en 1956 le code du statut personnel, qui interdit la polygamie, bannit la répudiation et instaure le divorce judiciaire. Une révolution, suivie par l’octroi du droit de vote (en 1957), l’inscription de l’égalité hommes-femmes dans la Constitution (en 1959) et la libéralisation totale de l’avortement (en 1973). Aujourd’hui, les Tunisiennes sont éduquées (l’université compterait 60 % d’étudiantes) et bénéficient d’un accès non négligeable au travail (30 % des actifs). Cependant, d’énormes disparités subsistent entre villes et campagnes, les conditions d’héritage sont encore discriminatoires et les postes de décision réservés aux hommes. Composé de 41 membres, le tout nouveau gouvernement ne compte ainsi que 3 femmes dans ses rangs. ».


Source :

http://www.telerama.fr/monde/les-tunisiennes-et-la-faculte-de-resistance,76853.php

Salah HORCHANI
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