Les individus ont toujours été fascinés par la Force centrale de leur Etat. Dès Babylone, bien des garçons des cités ont rêvé de pouvoir égaler la Force centrale.
Lorsque cette Force centrale ne procédait que d’épées avec mille hommes, les enfants et ados ne fantasmaient que d’une épée, ils ne pouvaient fantasmer avoir mille bras ni tuer mille fois.
Dès que cette Force centrale a comporté des soldats utilisant des armes tuant plusieurs fois d’une simple pression sur une détente, pourvu que ce soit par surprise, les enfants et ados se sont mis à fantasmer d’en faire autant.
Reste que pour passer du fantasme à un projet concret, il faut à ces jeunes accéder d’abord à des armes à feu. Il y aura toujours moins de jeunes accédant aux armes à feu dans un pays qui les prohibe que dans un pays où elles sont en vente libre.
Pour autant, il faut que la culture s’y prête pour qu’un jeune ait des fantasmes de surpuissance puis qu’il en vienne à concevoir de faire un carnage de jalousie ou paranoïaque.
Le Vietnam est un endroit où il y a eu énormément d’armes en circulation mais dès la fin de ses guerres, tout est devenu calme. C’est que la critique que faisaient les adultes, devant les enfants, avait été exclusivement dirigée contre les Français puis les Américains ainsi que contre leurs adversaires politiques de même ethnie. Entre Viets on se détestait selon le clivage communiste / nationaliste.
Un enfant pouvait alors éventuellement fantasmer tuer mille Blancs mais comment concevoir de tuer mille communistes ou nationalistes puisque la différence ne se voit pas sur leur visage et que somme toute, ils vivent pareillement et fréquentent les mêmes endroits ?
Du coup, dès les Blancs partis, aucun Viet n’a pu poursuivre un éventuel fantasme de tuer en masse s’il avait viré parano.
Dans nos pays, le plus grand clivage se situe autour de inclus / exclu d’un point de vue matérialiste. Ici, il est donc possible, pour un jeune ou un infantilisé se sentant exclu, de considérer que tous ceux qui grenouillent au collège, qui sont dans une galerie marchande, au cinéma, sur une plage ou dans un endroit festif, sont ses ennemis. Tous ceux qui se rassemblent plombent le moral des exclus qui ont alors envie de leur rendre la pareille.
Dans nos pays, il existe aussi un autre front de lutte autour de natif / immigré. Mais alors que ce sujet est le plus médiatisé, il est en réalité secondaire par rapport au clivage exclu / inclus. Alors qu’il existe clairement des endroits où sont regroupés des immigrés, personne n’y fait de carnage même si on entend souvent des gens dire qu’il faudrait en faire un
Exclu / Inclus est donc très important dans nos pays dits de pointe. Ici, l’écart des richesses est énorme. Mais la raison essentielle est qu’ici on est plus matérialiste et que nous avons installé des esthétiques liées à l’argent. Un jeune se retrouve donc exclus quand il ne dispose ni d’un pack de technologie ni d’un pack de cette esthétique bling bling.
(La génération Beat avait créé une esthétique ne coûtant rien. Il suffisait par exemple de ne pas dépenser en coiffeur ou de ressortir les robes des greniers. De nos jours, l’esthétique à la mode a forme de CB)
Dans un pays pauvre, il y a toujours des arguments d’inclusion qui ne coûtent rien.
Dans cette Espagne pourtant riche mais où le quart des jeunes se sentent exclus du travail, n’importe qui peut se retrouver inclus en participant à toutes sortes de lâchers de taureaux. Ces fêtes en l’honneur du courage permettent à mille cancres de se faire valoir d’une manière plus virile. Ca équilibre leurs autres sentiments d’exclusion.
Au Vietnam, il y a une fête où tous les jeunes se retrouvent à trimbaler un lampion à travers la ville et les campagnes en pleine nuit. Absolument n’importe qui peut se fabriquer un lampion et c’est tellement excitant à faire qu’il y en a qui en font des dizaines pour les offrir. La nuit, tous les chats sont gris, beaux vêtements ou guenilles, on ne voit plus la différence et des millions de jeunes chantent en farandole, se donnant courage face à la nuit et ses fantômes par la force du nombre et par leurs lumignons. Ca aussi ça inclut tout le monde.