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Commentaire de morice

sur C'était le 5 septembre 1941...


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morice morice 5 septembre 2012 17:25

pas la peine de balancer un placard d’un auteur justement taxé d’antisémitisme : vous provoquez là.


« Colli et Montinari insistent sur le caractère étranger de Nietzsche vis-à-vis de l’antisémitisme et de la judéophobie ? C’est là exactement le point de vue d’Élisabeth. Si les deux éditeurs, en publiant Socrate et la tragédie, rejettent la conclusion de la conférence (« ce socratisme, c’est la presse juive ») dans les apparats critiques, quand ils ne la suppriment pas purement et simplement, la sœur outragée du philosophe procédait de la même façon. Celle-ci, dans sa biographie, se réfère amplement à cette conférence, tout en passant sa conclusion sous silence ; elle rapporte les réactions à la fois admiratives et inquiètes de Cosima et Richard Wagner, mais sans préciser que ce qui les avait provoquées était l’identification explicite du socratisme et du judaïsme. D’ailleurs, Colli et Montinari suggèrent eux-mêmes que ce n’est peut-être pas l’auteur de la conférence qui a lui-même arraché la page finale de Socrate et la tragédie, qui contient la conclusion que nous avons vue. Comment expliquer le geste d’Élisabeth sinon par sa volonté de mettre le philosophe à l’abri des accusations d’antisémitisme ?
Élisabeth est la destinataire des lettres dans lesquelles le jeune Nietzsche donne libre cours à sa judéophobie : celui-ci se vante d’avoir « enfin » trouvé une auberge où il est possible de jouir de ses repas sans avoir à subir la vue de ces « espèces de mufles juifs », ainsi que, toujours en se référant aux Juifs, de ces « singes dégoûtants dépourvus d’esprit et autres commerçants » ; à l’opposé, il exprime son mécontentement au théâtre, à l’occasion d’une représentation de l’Africaine de Meyerbeer (le compositeur d’origine juive raillé par Wagner), de tomber sur des « Juifs et des acolytes des Juifs où qu’on tourne le regard ». Il va jusqu’à écrire, s’adressant à sa sœur : « Comment peux-tu exiger de moi que je commande un livre chez un antiquaire juif insolent ? » Élisabeth évite de claironner ces lettres : au contraire, elle étend sur elles un voile charitable de silence : mais n’est-ce pas de la même façon que procède l’édition Colli-Montinari ? Voici un autre exemple significatif. Après l’éreintement de la Naissance de la tragédie, Nietzsche flétrit Willamowitz en le traitant de « jeune homme infesté par l’arrogance juive » ; il ironise aussi sur la froideur du maître, ou de l’ex-maître Ritschl, en la mettant sur le compte de sa culture marquée par l’empreinte alexandrine, ou plus exactement « hébraïco-romaine ». On trouve des accents comparables dans les réactions du cercle d’ami du philologue-philosophe de Bâle. Élisabeth pour sa part se limite plus froidement, dans sa biographie, à critiquer l’étroitesse d’horizon des philologues de profession. En dernière analyse, si la violente judéophobie du jeune Nietzsche est restée dans l’ombre pendant tant de temps, c’est en tout premier lieu grâce au voile pudique que sa sœur complaisante a étendu sur elle. » (Source : Domenico Losurdo, « Les lunettes et le parapluie de Nietzsche », Noesis, N°10, 2006).

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