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Commentaire de easy

sur Hopper et le pomp-art


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easy easy 1er décembre 2012 13:12

Je prends acte de votre regard sur le regard de Hopper.

J’en ai un autre.

Les peintres auraient toujours cherché à représenter leur regard sur les choses. Mais à partir du XIXème siècle, chacun s’est mis à avoir un regard sur l’avenir en partant bien entendu du présent.
« Quel avenir ? » semble avoir été une nouvelle question que les gens se sont posée à partir de cette époque. Jules Verne proposant des réponses de manière très directe, Edgard Poe ne semblant pas trop se la poser. 

Certains de ceux qui se posaient ces questions étaient pessimistes (comme le deviendra Jules Verne à la fin) et proposaient de voir que le présent était déjà absurde, d’où la floraison des mille biais pour le dire (Cf. les dessins d’escaliers qui montent vers le bas).

Parmi ceux qui proposaient des réponses optimistes à « Quel avenir ? » il y avait les architectes et urbanistes. Ils étaient obligés d’être optimistes pour gagner leur vie.


Lorsque les architectes proposaient des projets à Louis XIV ou à Napoléon 1er , ils montraient des plans d’architecte au trait, quelques fois légèrement colorés de pastels et cela sans effet de lumière. Même le soleil ne produisait pas d’ombres. L’oeil du bâtisseur était lumière et défonçait donc toutes les ombres. 

Puis, quand il a fallu proposer aux gens devenus consommateurs des projets pour leur home sweet home, on a commencé à leur montrer des dessins de leur intérieur futur avec des éclairages nocturnes. En effet, on allait vivre la nuit grâce à l’électricité dont les éclairages devenaient alors élément architecturaux à part entière. 

Avant l’électricité il y avait bien eu quelques artistes peignant les effets des lumières à la bougie ou au feu de bois, il y avait également eu la consideration des lumières crépusculaires, il y avait aussi et surtout la lumière divine qui tombait pile sur le personnage central mais
ça avait une allure naturelle, incontrôlable.

Avec l’arrivée de l’éclairage électrique, les artistes et décorateurs ont montré un living avec force perspectives (à percevoir alors au sens d’avenir) comprenant des lampadaires qui faisaient des intérieurs d’abat-jour jaune clair et des marques aussi claires sur les murs. 5 points lumineux dans une pièce c’était 5 formes géométriques jaune clair sur les murs, le sol et les plafond (Tout en règle et compas selon le principe souligné par Art Déco)

Toute la lumière passait sous contrôle. Ce qui est flagrant quand on conduit une voiture de nuit et que ses phares s’imposent à 300 m.

Dans cette manière de montrer l’avenir, la nature passait en arrière-plan des objets industriel ou les plantes passaient empotées. La plante en pot, la femme en pot aussi, l’homme en pot, l’enfant en pot, la vache en pot, tout cela relevait de ce regard industrialisme-tout-sous-contrôle (qu’ont remarqué Marx, Orwell...).

Chez les particuliers, les luminaires, quoique bien dessinés sur les projets de décoration intérieure, ne produisaient pas d’effets géométriques tellement frappants. Mais dans les salles de cinéma, les appliques lumineuses sur les murs tendus de velour rouge, produisaient un effet frappant les esprits. Tout ce qui était projecteur, dont les projecteurs de poursuite music hall et anti aérienne, frappaient les esprits.

Là-dessus Le Corbusier travailla jusqu’aux murs écrans en soulignant l’effet de l’encradrement d’une ouverture.

Le cadrage avait toujours eu une importance dans la peinture mais il était comme inconscient, il se faisait oublier. Avec la lumière artificielle, le cadrage devint conscient. Le cadrage devin si conscient qu’il devint l’objet même de l’oeuvre.

D’où la pipe de Magrite, la fontaine de Duchamp, le cubisme, le surréalisme et les mille effets cinématographiques du genre plongée, contre plongée (Cf le cadrage sur les yeux de Bronson dans Il était une fois dans l’Ouest). De nos jours le cadrage reste encore une composante essentielle de bien des films où l’on voit la balle du gun arriver sur soi en 3D.

Les artistes ont alors souvent récupéré le luminarisme vieillissant qui s’était fourvoyé en pointillisme pour le traiter à nouveau mais cette fois-ci, moins souvent sur un fond de nature que sur un fond de bâtiment, de rue, d’urbanisme. Ces rais de Hopper c’est du néo luminarisme.
Monet, Turner avaient focalisé sur les fumées des trains et navires (et soudain Londres eut un smog) mais après eux, les artistes ont retenu les lumières des hublots dans la nuit, tendance que le naufrage Titanic n’a fait que renforcer.

Il devint très intéressant de peindre la nuit.

Et la BD a surgi qui, elle aussi, a énormément souligné les effets luminaristes urbains. Batman, Spyderman, tout ça tourne autour du rayon. On pensait déjà qu’on allait développer une arme tuant rien que par son rayon en sorte de laser. J’invite à regarder les gravures de Robur le conquérrant où l’on voit déjà les rais de lumière artificielle où l’homme ressort particulièrement néo-prométhéen.



Alors qu’une maison japonaise traditionnelle jouait énormément sur les effets de lumières différentes d’un endroit à un autre et que la pénombre y était précieuse, favorable au sacral, aucune peinture asiatique ne représentait le fait des ombres ou des raies lumineuses.

Soudain, le Japon se modernisant, s’éclairant de mille fluos la nuit venue, les artistes ne pouvaient plus passer à côté de ce phénomène et eux aussi ont fini par peindre carrément les jeux de lumière. Tokyo en néon.

Là-dessus s’est ajouté encore l’effet Noël qui est une fête devenue singulièrement nocturne. Dès qu’on a inventé le Père Noël, ont surgi mille sortes de cartes de voeux représentant des maisons vue de l’extérieur pendant la nuit et la lumière que dessinaient les fenêtres devenait porteuse de transcendances.

Alors, quand je regarde le regard de Hopper, je le trouve fruit naturel ou logique de ce contexte d’ensemble.
Face à ses toiles, je n’accorde d’attention qu’à ce qui exprime quelque chose de sa vie propre, telle sa relation avec son épouse, le reste me semblant certes très pertinent de son époque, certes très bien représenté, mais ne montrant qu’un regard partagé par la plupart de ses contemporains.


Ce que j’aime détecter chez les artistes c’est ce qu’ils expriment de leur propre vie en ce qu’elle a de très singulier. Quand je regarde un film de Chaplin, j’ai du mal à entrer dans ce qu’il montre trop, je préfère regarder le doigt plutôt que la Lune.


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