Buuurp ...
(digestion)
« C’est la raison pour laquelle l’étymologie me passionne, car c’est
une matière adéquate et très instructive pour remonter dans le temps à
travers l’outil du langage. Armé du logos, l’Homme peut se mettre à
interpréter le « réel ».
Je mets « réel » entre guillemets, précisément parce que son
étymologie particulièrement renversante illustre de façon frappante que
nous maîtrisons mal le logos et atteste de notre difficulté à faire
preuve de discernement, et par conséquent notre handicap à exercer une
intelligence véritable dans nos réflexions ! Nous utilisons couramment
des mots dont nous pensons connaître le sens (ce qui n’est pas toujours
vrai), mais dont nous ignorons presque toujours l’origine, l’histoire et
la vraie signification. Cette méconnaissance est symptomatique d’une
perte de qualité dans notre enseignement, mais aussi d’une perte de sens
et de l’intelligence collective, justement parce que le langage est
notre maître-outil pour appréhender les concepts et les phénomènes.
Par conséquent, sans l’histoire des mots, sans la subtilité des concepts symboliques
qu’ils représentent, nous nous trouvons dans la situation allégorique
illustrée par le récit biblique de la Tour de Babel, avec cette
subtilité que, bien qu’utilisant (apparemment) la même langue, les mêmes
termes, les mêmes mots, nous ne leur attribuons pas toujours la même
signification ou la même portée, et nous ignorons trop souvent leur
signification première. Sans cette histoire des mots, sans connaître les
raisons contextuelles de leur origine et de leur évolution au fil du
temps, des époques, des cultures et des lieux, nous sommes dans
l’incapacité, lorsque nous cherchons à comprendre un phénomène, de
remonter à la cause des causes, de remonter à la racine. Nous nous
trouvons alors condamnés à n’analyser que le feuillage de l’arbre
phénoménal. N’embrassant que la surface des choses, nous ne percevons
que leur apparence, et notre compréhension se trouve tronquée par
l’illusion des formes.
Illustrons cela en commençant par le mot « réel » mentionné précédemment, qui viens du mot rien (en latin res, rei,
« chose »), substantif féminin, qui a pris un sens pronominal et
semi-négatif à cause de son association fréquente avec la négation ne. Or, que nous dit un dictionnaire sur la définition du mot « réel » ? « Qui existe en fait, qui est tangible, le contraire d’imaginaire, d’irréel. »
La racine étymologique du mot nous invite à considérer que le réel est comme rien (ou tout du moins, qu’il se définit par rapport
à rien), tandis que sa définition actualisée nous dit que le réel est
chose tangible, factuelle. Pareille contradiction, portant sur un sujet
aussi fondamental que la définition du réel, ne peut manquer de frapper
notre esprit, particulièrement lorsque nous avons connaissance du
concept de Novlangue avancé par Georges Orwell dans son roman dystopique « 1984 ». Incidemment, cette observation pourrait nous indiquer que le langage n’est pas le meilleur outil dont nous disposons pour exprimer notre intelligence. Une idée qui met à mal les lettrés que nous sommes ! »
Extrait de cet article.
Comme qui dirait, on est dans le sujet, non ?
Morpheus