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Commentaire de argoul

sur Vers un capitalisme à visage humain


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argoul (---.---.18.97) 4 avril 2006 17:08

Votre article est humaniste et, à ce titre, louable, je vous en félicite. Néanmoins, il fait part de plus de « bonnes intentions » que de propositions concrètes nouvelles et c’est dommage. Comme vous, je n’ai aucune réponse tout armée aux questions que pose notre monde, mais je crois qu’il faut commencer par se fonder sur des bases saines, sans approximations.

Vous semblez redécouvrir la guerre de prédation économique, comme si elle avait un jour été créée par George W. Busch ; c’est un peu naïf. La guerre de l’opium, la course du thé, le monopole des épices, la rivalité franco-anglaise sur les mers, la colonisation, sont des comportements d’appropriation des ressources par les plus forts, ile ne datent pas « d’aujourd’hui ».

Vous redécouvrez alors l’Etat qui, dans les pays du tiers-monde, commence à résister à l’Amérique. Magnifique ! Mais là non plus rien de nouveau, c’est bel et bien le manque d’Etat qui ne permet pas à l’économie de fonctionner, donc fait fuir les capitaux des riches et appauvrit les pauvres, laminantla classe moyenne, seule à même de livrer un minimum d’impôts dans tous les Etats du monde.

Vous confondez en outre (en tout cas, vous n’en faites guère la distinction) capitalisme et libéralisme en disant que le capitalisme crée des richesses mais que le libéralisme les accapare (je résume). Je ne sais pas trop ce que vous voulez dire par « libéralisme » et cela me gêne étant donné que ce mot magique fait fantasmer quiconque en France et permet de mettre à peu près n’importe quoi sous son sigle. Définissons : le capitalisme est un outil, le libéralisme (économique) une idéologie qui déclare « economy first ». « Humaniser le capitalisme », comme vous dites, n’a dès lors aucun sens : voudriez-vous humaniser la faucille ou le tournevis ? Le capitalisme n’est pas humain, il est outil - efficace - créé et affiné pour cet usage (c’est pour ça que, comme un bon outil, il fonctionne bien). En revanche, c’est à la politique de « faire servir » l’outil capitalisme : et c’est là que commencent les problèmes, nos politiciens se défilent à qui mieux mieux. De la gauche à la droite normale (je ne sais pas si la droite extrême a un quelconque programme économique en dehors du Parti et de l’Etat, comme sous le fascisme ; quant à la gauche extrême, elle reste elle aussi adepte de la dictature et du rationnement, et se cantonne au « yaka » après l’échec cuisant de l’URSS et de Cuba, et du virage « capitaliste » de la Chine rouge). Donc les partis de gouvernement se défilent sous le prétexte d’un « modèle » social exceptionnel et français qu’il faudrait « conserver » ; comme ça tout le monde est content, on ne touche à rien et on laisse faire... Laisser-faire, ça vous dit quelque chose ? Eh oui, c’est le libéralisme économique le plus pur, dans son idéologie extrême ! Ne toucher à rien c’est le meilleur moyen de se laisser « naturellement » imposer n’importe quoi.

Dès lors, votre proposition de « tirer les plus démunis vers les classes moyennes » apparaît comme louable mais bien utopique : en pratique, comment fait-on ? La droite dit « formez-vous », « diplomez-vous » et « vendez-vous » ; la gauche dit « taxation, redistribution et fonctionnarisation » (cette dernière formule étant, semble-t-il le seul moyen à gauche de « créer des emplois »). Bel et bon mais (et nous en revenons aux Etats), on ne peut taxer que ce qui est taxable (et ne s’évade pas dans les paradis fiscaux ou en résidant en pays plus accueillant, ou en faisant la grève de la production et de l’embauche par malthusianisme d’entreprise - comme aujourd’hui les PME en France, agacées que les règles changent tout le temps par interventionnite aiguë). Lorsque la taxation devient « déraisonnable », les capitaux fuient. Cette température « déraisonnable » est psychologique plus qu’absolue, elle dépend surtout du rapport coût de l’Etat/avantages qu’il fournit à tous, en Scandinavie on accepte plus d’impôt, en France on n’en accepte aujourd’hui moins qu’hier parce que le sentiment général est que le service public se dégrade nettement (école, justice, armée, ANPE, contrôles sanitaires après tchernobyl aux frontières, amiante, sang contaminé, vache folle, canicule, chikungunya...) Donc, pas d’autre solution que la croissance pour créer des emplois et faire de la redistribution d’Etat, Jospin a y réussi (3 fois plus d’emplois créés par la croissance que par les contrats publics aidés) ; Chirac a échoué. Et demain ? « Yaka » ?

Sur l’international, comme nous n’avons pas de pétrole et peu de matières premières, nous devons en acheter. Dès lors, c’est bien la compétition mondiale qui permet de se placer comme partenaire ayant à offrir des produits que les autres n’ont pas ou pas aussi bien : l’Arabie vend du pétrole et achète des Airbus - par exemple. Le protectionnisme a toujours été la prémice de catastrophes majeures qui se terminent... par des guerres de prédation : le protectionnisme des années 30 après le krach de 1929, a conduit à la 2GM ; le protectionnisme « colonial » des « puissances » qui voulait empêcher les nouveaux pays, Allemagne, Japon, Italie de se tailler un « espace vital » colonial a conduit à la guerre de 1905 entre Russes et Japonais et la guerre de 14 avec la mainmise anglaise sur le pétrole du moyen-orient. L’économiste Ricardo a décrit ce mouvement de spécialisation de chaque pays, en régime ouvert, vers ce qu’il sait le mieux produire ; nous sommes en train d’y aller, au grand dam des Américains. Et votre proposition d’abandonner les négociations globales de l’OMC au profit des « relations bilatérales » devraient ravir ces mêmes Américains car c’est très exactement ce qu’ils font !

Oui, l’économie ne flotte pas dans l’éther et sa réussite dépend des sociétés organisées en Etats, vous le dites fort bien. C’est ainsi que le capitalisme s’est toujours développé, en « économies-mondes » (Braudel) qui drainent par leur puissance les marchandises, les savoir-faire, les artistes et les intellectuels (ex. cités italiennes de la Renaissance). Mais contrairement à ce que vous affirmez, la notion de service public est parfaitement conciliable avec le capitalisme (aux USA, la sécurité est bel et bien publique, tout comme la monnaie et les lois du travail), elle est même la base indispensable pour gagner de l’argent en faisant uniquement ce que l’entreprise sait bien faire (produire des avions et externaliser à une autre entreprise les crèches pour les petits du personnel par ex.) L’impôt sur les sociétés, la taxe professionnelle, les taxes parafiscales servent à cela : rémunérer les services publics utilisés par l’entreprise. En Union européenne, la France seule ne peut pas surtaxer sans justifier d’un avantage supplémentaire, sans quoi les entreprises vont s’installer ailleurs - mais ça, c’est de la saine gestion, aux politiciens de « prendre leurs responsabilités » en gérant avec sérieux l’argent des contribuables qui les ont élus ! Rendre compte de leur gestion, pour les agents de l’Etat (commis du peuple), on l’ignore trop souvent, cela figure en toutes lettres dans la Déclaration des Droits de l’homme et du Citoyen de 1789, repris en préambule dans notre Constitution... Faudrait peut-être commencer par veiller à son application au lieu d’accuser tout de suite « les acteurs privés ». Un Etat juste est toujours respecté, même aux Etats-Unis ! Le nôtre l’est-il ? Est-il contrôlable ? Transparent ? L’argent drainé par l’impôt est-il correctement utilisé ? « L’Etat-nation », dont vous faites grand cas, à juste titre, ne subsiste que par une adhésion de ses citoyens à son action. Commençons donc par là - mais voilà... ça gêne bien les politiciens, tout ça : mieux vaut accuser « le libéralisme » (abstrait et sans visage), comme ça on ne va pas examiner ce qui ne va pas dans nos institutions, dans notre clientélisme, dans nos ghettos, dans nos castes sociales, dans nos grèves symboliques de statutaires protégés...

« Le mouvement est en marche », dites-vous ? Sur le plan de la déploration et des lamentations de Jérémie, sans aucun doute. Mais concrètement ? Nos politiciens se défilent, nos partis ne font pas l’éducation de leurs militants, les projets politiques se cherchent dans les « petites phrases »... et le laisser-faire règne toujours en maître ! C’est, au fond, ce qui fâche le moins de monde, n’est-ce pas ? « Ce qui arrive », personne n’en est jamais responsable, c’est toujours « le système », « l’histoire », « les autres ».


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