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Commentaire de Éric Guéguen

sur 1945-2017. Une France qui tombe… avant une autre France ?


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Éric Guéguen Éric Guéguen 12 juin 2014 10:10

Epicure,
je vais vous faire une réponse en deux temps. Une première partie ici (parce que vous avez pris la peine de me répondre en pleine nuit), une seconde en-dessous, vis-à-vis de ce que vous répondez au pauvre Isga (parce qu’il ne faut pas vous laisser dire n’importe quoi).

Je ne vais pas épiloguer sur les bons ou mauvais points à accorder à la religion du Progrès au cours du terrible XXe siècle, ça nous emmènerait trop loin, et j’ai une vie en-dehors d’Agoravox. Rassurez-vous, je ne botte pas en touche pour autant...

 

Dans l’Athènes classique, les partisans d’une diffusion plus massive du pouvoir politique au sein du peuple étaient appelés péjorativement des « démocrates », c’est-à-dire de doux rêveurs. Ces « démocrates » ont fini par adopter eux-mêmes ce vocable et à s’en montrer fier. On sait la fortune qu’il aura.

Au moment de la Révolution française, les révolutionnaires les plus forts en gueule ont commencé à traquer tout ceux qui pouvaient, de près ou de loin, s’opposer à l’inéluctable et éternel mouvement révolutionnaire. Ils les ont appelés « réactionnaires ». Ces derniers, que leurs détracteurs assimilaient à de vulgaires peine-à-jouir, ennemis de l’humanité en fleur, ont, eux aussi, fini, à tort ou à raison, par adopter le terme péjoratif dont on les affublait, à le revendiquer même. Il serait néanmoins frauduleux d’en déduire que lorsque quelqu’un se dit « réactionnaire » par commodité de langage, il est astreint à la case qu’on lui a assigné sur l’échiquier idéologique du prêt-à-penser.

Je veux dire par là que lorsque je me prétends « réactionnaire », ce que je vise, ce que j’ai en abomination au-delà du progrès, c’est le progrès de commande, et précisément cette manie, héritée de la Révolution française, de placer des gens dans des cases en indexant leurs sentiments sur tel ou tel sujet à la marche incessante de l’humanité sur les chemins radieux de l’extase universelle. Je l’ai dit et le redis donc : se prétendre réactionnaire, c’est-à-dire adopter l’insulte que l’adversaire vous décerne, c’est faire preuve de beaucoup d’ironie sur la forme, et assumer une certaine liberté de pensée quant au fond.

Cette liberté, en quoi consiste-t-elle au juste ? En gros à tenter de pendre en considération toutes - je dis bien toutes - les données du réel passé, présent et éventuellement à venir, à en déceler des enchaînements logiques sans le moindre jugement moral, puis à en inférer un ensemble de principes intangibles - i.e. sur lesquels rien n’a prise, pas même le temps - en tête desquels l’exercice de la raison. Cela permet, non seulement de constater qu’historiquement, beaucoup de drames sont advenus de la main de gens qui voulaient sincèrement œuvrer pour le bien, mais également de ne pas tomber dans les mêmes travers en gardant à l’esprit que « qui veut faire l’ange fait la bête ». Et voilà bien ce que vous négligez, Monsieur Épicure, dans votre lecture de l’Histoire, voilà également ce qui vide vos propos de leur substance et les ramène à une simple posture gentillette : à savoir le fait qu’à vos yeux, être « progressiste », c’est nécessairement faire le bien. NON. Être progressiste, c’est avant tout vouloir faire le bien, coûte que coûte, et souvent au prix du mal en conséquence.

Exemple : Robespierre était un progressiste, je vous mets au défi de me dire le contraire. Eh bien les progressistes d’aujourd’hui - comme vous l’êtes - seraient bien en peine d’assumer toute son œuvre « humanitaire », si vous voyez ce que je veux dire. En ce qui me concerne, en tant que « réactionnaire », je prends acte de l’épisode robespierriste de manière objective : je ne me cache pas le mal engendré ET je ne nie pas qu’il ait voulu faire le bien. J’en déduis une défiance pour tous les « istes », « progress-istes » inclus, c’est-à-dire les gens qui s’acharnent davantage à convaincre leur entourage et à les enrôler dans des grandes causes qu’à se montrer plus scrupuleux intellectuellement vis-à-vis de la logique de leur propre pensée.

Le progressiste refuse catégoriquement de voir que l’enfer est pavé de bonnes intentions, ne le niez pas. Et, comble de la mauvaise foi, le progressiste d’aujourd’hui condamnera comme affreux réactionnaire le progressiste d’hier si celui-ci s’est laissé déborder par le réel que lui-même néglige.


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