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Commentaire de CrevetteRosee

sur La souffrance de l'enfant précoce


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CrevetteRosee 19 février 2016 07:03

Bonjour,

Merci beaucoup, votre article décrit enfin un grief que j’ai depuis longtemps ! Je vais réagir longuement sans doute et en parlant de mes expériences personnelles, certains en seront sans doute ennuyés mais c’est la première fois que j’ai l’occasion de partager à ce sujet alors pardonnez mon enthousiasme et mes théories houleuses ^^

Le système éducatif est consternant de par sa valorisation du médiocre, et la société en général de par sa glorification de l’être faible, mais c’est surtout l’attention à l’autre en tant qu’entité et non un « plus ou moins par rapport à » qui fait défaut.

Je me souviens d’une professeure d’espagnol, l’air renfrogné comme si elle voyait un cancre en puissance, qui vient me demander en première année si je n’avais pas redoublé par hasard. J’avais pour elle trop de notions... Il était plus évident que quelqu’un soit un mauvais redoublant plutôt qu’un bon primant. Son référentiel étant la médiocrité (et non le bon ou le mauvais élève). Les gens se disent « il est fort, pas besoin de s’en occuper ».

Nous sommes une population de masse. Pas le temps d’aider tout le monde, de tenir la main à chacun alors on choisit celui qui aux premiers abords en a le plus besoin. Un système qui s’écroule sous la quantité de gens qu’il produit. Le monde de l’entreprise n’a lui non plus, plus rien d’élitiste. En France j’ai l’impression qu’il plus difficile de licencier quelqu’un que de garder un poids mort. Dans un cercle de connaissances il est impossible de faire montre d’une brillance particulière, on vous prend plus souvent comme un demeuré hurluberlu que comme un visionnaire. Combien de fois je me suis retrouvée à faire l’idiote, à me rabaisser pour montrer que « je suis fun » plutôt que la relou qui veut parler transcendantal. Ou à boire de l’alcool avant d’aller sortir voir des gens pour essuyer l’angoisse du rejet à venir si jamais je ne parlais pas comme eux et pour éviter d’analyser pendant 10minutes leurs paroles avant de répondre à côté de la plaque. Les années d’insomnies parce que je réfléchissais tellement que plusieurs voix se chevauchaient dans ma tête pour aller plus vite et plus loin dans la réflexion. Au lycée j’ai même fini par me mettre à penser en anglais, cela focalisait mon esprit sur une seule voix. Je me souviens des violentes colères de ma mère, frustrée de ne pas pouvoir m’apprendre des choses quand j’étais enfant, car la plupart du temps je les apprenaient par moi même. Un jour que ma nourrice me gardait, elle m’a demandé si je savais nager, j’ai dit oui. J’ai nagé. Je n’avais jamais appris.

Le rejet des autres, qu’il soit du à l’incompréhension, à la jalousie, à la peur m’a complètement retranché dans un monde de solitude et de peur, de haine de moi même. Des années plus tard je n’ai plus de haine, mais c’est tout simplement devenu un réflexe de faire l’idiote, j’en viens même à penser que je suis stupide, que l’étincelle d’avant c’est éteinte. Beaucoup de choses maintenant me semblent fades dans le quotidien, et j’ai perdu beaucoup de mes grands plaisirs d’avant. J’ai peur de me remettre à lire. Peur de ne plus rien avoir à dire à mon entourage qui ne comprendrait pas pourquoi je me « prends la tête » avec des théories philosophiques. Vivre ainsi c’est toujours peser en soi le poids du héros et du monstre. Le héros qui se glorifie de comprendre quand les autres échouent et la peur de reconnaitre en soi cet horrible sensation d’égocentrisme et de pédance, le dégout de se sentir meilleur que d’autres et finalement, ce sentiment monstrueux d’être une personne mauvaise pour s’être cru meilleur. Et oui parce que « être intelligent » ça ne se dit pas, ça ne se fait pas, c’est mal. « Tais toi et sois comme les autres ». Bon sang on dirait que le monde entier veut se démarquer et en même temps rentrer dans le même moule, c’est « sysiphien ».

Pour en revenir aux enfants, une autre chose me met en colère. Je me souviens du jour où je suis sortie fraichement diplômée de mon école de dessins animés. Je vais faire mes premiers entretiens d’embauche, le rêve en tête de devenir scénariste, pour faire des dessins animés qui pourraient peut être aider d’autres enfants comme moi à leur âge, les inspirer, les faire grandir là où le système avait échoué. Et bien mon interlocuteur semblait vraiment étonné que j’ouvre la porte de son bureau. Tous mes camarades avaient foncé sur les grandes boîtes d’effets spéciaux. Il me dit alors l’air dépité « vous êtes consciente qu’on ne peut rien dire aux enfants aujourd’hui ». Et bien oui, on ne peut montrer de personnages souffrant, de parents qui meurent, d’enlèvement, de douleur... (je dis enlèvement car j’ai rencontré quelqu’un qui voulait faire un film sur le joueur de flûte mais qui m’a dit qu’on ne pouvait pas montrer un enlèvement dans un dessin animé... vous vous demandez aussi ce qu’il reste à l’histoire ? Un gars qui joue de la flute et des enfants qui sont heureux.. oui oui, un dessin animé transcendant) Elle est bien loin l’époque de rémi sans famille, ou même bambi. Aujourd’hui on aseptise les dessins animés qui sont quand même une grande part de la genèse des enfants puisqu’ils ne lisent plus et sont tout le temps face aux médias. Et ce pourquoi ? Mais pour la même raison que le système éducatif qui ne s’attarde pas sur les enfants doués non ? Parce que plus nos enfants sont des coquilles vides, plus ils seront touchés par les MEDIAS. Un enfant pensant par lui même serait un enfant moins sensible à tout ce que le monde capitaliste a à lui offrir... Très loin de moi l’idée que tout cela soit une conspiration, clairement pas, mais tout s’inscrit dans notre société actuelle. Nous créons les futurs consommateurs de demain.

Bien que mon ton semble particulièrement affirmatif, tous ces dires sont dus à mon vécu et à mes théories et je serais ravie d’entendre d’autres opinions si vous voulez les partager. Bonne journée à tous.


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