@yvesduc
Vous vous méprenez Je veux que la courtoisie soit la règle
La
courtoisie fout le camp.
La
politesse du cœur.
Autrefois,
la noblesse du cœur se traduisait par un comportement emprunt de
générosité et de délicatesse vis-à-vis de ses pareils. Un
individu, pour être honnête aux yeux de ses semblables, devait être
porteur du talent social de la civilité. Aujourd’hui, dans nos
cités, sur nos routes, dans les entreprises, dans les écoles ou
dans les rues, ce noble sentiment est presque perçu pour un
anachronisme improductif, inutile et parfaitement déplacé.
La
courtoisie, puisque c’est d’elle qu’il est question, était parvenue
à s’émanciper des effets de cour, des aménités de classes et des
courbettes de componction pour s’étendre à toute la population
d’une société où chacun avait sa part de considération et voyait
en l’autre son compatriote. Je vous parle d’un temps où l’individu
ne se déterminait pas par une appartenance religieuse, un train de
vie, une tribu vestimentaire, un groupe ethnique ou un clan
idéologique.
Contrairement
à l’interprétation abusive des admirateurs du mari de la chanteuse,
courtoisie n’a pas pour étymologie la juxtaposition de deux termes :
« court et toise ». Bien trop de gens extrapolent et
font, de cette merveilleuse qualité, l’affreuse capacité de
considérer son semblable à l’aune d’une taille de référence :
l’un de ces innombrables marqueurs sociaux qui désormais nous
distinguent, nous séparent en segments socio-professionnels, nous
classent , nous compartimentent, nous catégorisent selon nos
parcours scolaires, spirituels, culturels et surtout financiers.
Cette
approximation lexicale justifierait le mépris dont usent à loisir
ceux qui se sont élevés dans notre société par la seule vertu de
l’argent et qui toisent avec condescendance ceux qui n’ont pas le
même train de vie. Elle peut tout autant expliquer les regards de
haine que portent aux mécréants, ceux qu’une foi quelconque fait
planer au-dessus des pauvres miséreux qui se refusent à croire en
la transcendance.
La courtoisie est cette politesse raffinée qui, spontanément, fait
de l’autre l’égal de sa propre personne, sans la moindre
considération vaseuse, pompeuse et fallacieuse. Nul besoin de
connaître son prochain pour lui offrir cette reconnaissance qui ne
tient compte ni de la fortune ni de la réputation ni de l’origine
pas plus que des croyances. Nul besoin de juger, jauger, évaluer
au préalable ! La courtoisie ne se mesure pas !
Les
insultes à l’affabilité sont nombreuses et le lieu de l’expression
sublime de tous ses contraires n’est plus le seul espace routier. Si
cette qualité, issue de la chevalerie, n’avait sans doute pas
supporté le passage au cheval-vapeur - la voiture étant vite
devenue le réceptacle idéal de la grossièreté, de la goujaterie,
de l’égoïsme rustre- l’évolution de l’espèce a franchi, depuis
longtemps, les limites de ce cadre, pour faire du piéton un malotru
ordinaire.
Croiser
un humain est désormais une aventure risquée pour peu qu’il soit
différent de vous. La taille, l’âge, la provenance, la vêture, la
démarche et bien d’autres critères encore, font que vous serez
ignoré, méprisé, insulté ou bousculé. Les chances d’être salué
s’amenuisent de jour en jour ; la probabilité d’une agression
verbale ou physique augmentant de manière inversement
proportionnelle. Les risques explosent si vous avez l’idée saugrenue
de vous aventurer dans un espace sur lequel un groupe humain a fait
main basse .
Même
nos chers marchés sont devenus une mine de grise mine. La
multiplication des files d’attente permet à certains virtuoses de
l’irrévérence de multiplier les occasions de discourtoisie. Des
retraités, forcément pressés d’en finir, qui doublent,
interrompent une commande pour demander, sur le champ, un prix
pourtant ardoisé ou retrouvent leurs jambes pour « sauter » un
client. Des gens importants qui passent là , simplement pour se
faire voir et qui s’exaspèrent de cette insupportable promiscuité.
Ils traversent du regard cette plèbe goguenarde : ces gens du
peuple, ces gens de si peu..
D’une
manière quasiment systématique, c’est la file d’attente : la
queue, le mal absolu. Juste retour des choses diront les tenants de
l’à-peu-près. Triste incivilité de la bande, de la foule qui
attend et doit en supporter d’autres qui entravent ce droit
inaliénable à la ruse. On se bouscule, on se marche sur les pieds
ou les spatules, on rejoint un éclaireur opportun, on bloque un
groupe rival pour favoriser les siens ; on ne se regarde pas, on
se parle pas, on triche !
Descendre
d’un métro ou d’un tramway est devenue une opération guerrière.
Face à vous, un mur de futurs passagers si pressés qu’ils ne
pensent même pas vous laisser sortir. Ils vous barrent l’issue. Pire
même, ils vous passent sur le corps pour entrer avant que vous ne
puissiez esquisser le moindre mouvement de fuite. Ne vous aventurez
pas à un sourire ou à bonjour : la ville est devenue un champ
de bataille ! Face à vous, une horde innombrable d’ennemis
potentiels ….
L’art
de bien vivre ensemble, cette amabilité générale, cette convenance
des bonnes manières, cette aménité bienveillante a beau multiplié
ses synonymes ad libitum, elle se cogne désespérément à l’immense
variété des grossièretés sociales, des impertinences
comportementales que notre vocabulaire moderne a su synthétiser sous
le vocable explicite de « Connerie ! ». Ce terme
générique regroupe tout ce que nous sommes devenus, façonnés que
nous sommes par une société qui divise, sépare, distingue,
fragmente, émiette à loisir.
Ne
désespérons pas de l’humanité cependant ; des gens se lèvent
de-ci de-là sur la toile pour élever le débat et refuser toutes
nos bassesses, pour relever cette toise et sourire à tous leurs
semblables. La Fraternité est inscrite sur les frontons de nos
institutions, il est grand temps de lui redonner ses lettres
chevaleresques. Commençons, dès aujourd’hui, par nous dire bonjour
dans la rue. Voilà bien un geste révolutionnaire qui pourrait, à
moyen terme, faire vaciller un système qui se nourrit de nos
divisions.
Courtoisement
vôtre