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Commentaire de sasapame

sur Venezuela en pays du tiers monde. Comment en est-on arrivé là ?


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sasapame sasapame 16 mai 2016 17:41

Le Venezuela [...] figure maintenant à la première place de l’indice de misère établi par l’agence d’analyse économique Bloomberg.

Vous savez à quoi correspond, sans rire, l’ « indice de misère » selon la vision de cette bande d’escrocs ? A l’addition du taux d’inflation et du taux de chômage... accessoirement projetés pour l’année suivante (1). Même un exécrable étudiant en première année de « sciences économiques » n’aurait pas l’idée de faire un usage aussi fanatique des dérivations ultralibérales de la courbe de Phillips... Non seulement cet indice ne prend en compte aucune donnée réelle de pauvreté, de santé, etc mais ils n’ont même pas pondéré les deux machins qu’ils ajoutent. Ainsi, même si les salaires suivent ou dépassent l’inflation, et même si les allocations chômage offrent une sécurité royale, bref, même si une dévaluation est compensée par une forte redistribution, vous pouvez être le pays le plus « miséreux » du monde. Même avec 0% de chômage, ça marche. Un rapide coup d’œil au classement mondial selon cet indice totalement débile (qui ne s’adresse qu’à des gens qui cherchent des conseils pour spéculer) suffit pour vérifier qu’il est sans aucun rapport avec la vraie misère. Un seul exemple, au hasard : le Salvador (notoirement sous tutelle US) est aux côtes-à-côtes avec le Luxembourg pas très loin du top des pays au top, et l’Indonésie colle la France, plus largement la zone euro (où l’Italie fait pire) pas très loin du fin fond de la misère... pour les banquiers. (1)

Passons sur le fait que cette boutique spécialisée dans le conseil en délit d’initié plus ou moins légal - capable d’espionner les plus grands comptes pour refiler des infos choisies à ses requins de clients (2), elle facture 20 000 dollars l’an ses prestations - appartient à 88% à un magnat ashkénaze classé 8e fortune mondiale (ancien maire de NYC, qui s’est porté candidat à la présidentielle US 2016 avant de s’en retirer pour ne pas compromettre le succès du front tout-sauf-Trump).

Une étude réalisée par trois centres académiques vénézuéliens signale que 73% des foyers vivent au-dessous du seuil de pauvreté, alors que leur proportion était de 44% en 1998, année où le Chavisme prit le pouvoir.

On aurait aimé avoir une source directe. Et un tant soit peu sérieuse, cette fois. Quels sont ces « trois centres académiques », et où est le rapport en question ? On aura quand même tôt fait de trouver cet article de la BBC (3) qui, bien qu’il n’indique pas non plus la source primaire, nous dit : "Une étude récente par trois universités vénézuéliennes suggère que la pauvreté a déjà augmenté massivement. L’étude suggère qu’à présent 73% de la population vit dans la pauvreté - contre 27% en 2013".

Évidemment, même en s’en tenant à ces sources douteuses, on peut constater que l’auteur a royalement effacé le long intermède, pourtant notoire, de très forte diminution de la pauvreté (de l’avis de la banque mondiale, on était passé sous la barre des 25%). Sinon, curieusement, l’article ne parle pas explicitement de « seuil de pauvreté » au sens conventionnel mais d’on ne sait quelle mesure. Par ailleurs, il dit que l’étude "suggère que..." et le peu qu’il en dit laisse fortement penser qu’il pourrait s’agir de mesures dérivées sinon de simples projections. Enfin, la phrase suivante de l’article note que le gouvernement a écarté cette étude et a indiqué que non seulement la pauvreté n’a pas augmenté mais que l’extrême pauvreté avait chuté en 2015. Bref, tout ce qu’on sait c’est qu’on ne sait rien.

L’article du Washington Post (4) qui signalait cette étude n’est plus accessible. C’est balo. Au passage, l’article de The Economist maintes fois cité dans cette opération de propagande, article selon lequel Maduro, dit-on, reconnaissait lui-même un « état d’urgence économique », les liens nous mènent aussi vers une page vide, et on ne saura pas, faute de précision, si c’est un lien mort ou si c’est seulement parce que c’est under paywall. (5)

Après un minimum d’enquête, il s’agissait d’un rapport (mouture 2015) dit Encuesta sobre Condiciones de Vida en Venezuela (ENCOVI) (6). Ou plus exactement, du premier volume, intitulé Pobreza y Misones (7), de ce qui n’est qu’une vulgaire présentation Powerpoint vraisemblablement relue par personne (et assessoirement commandée par on ne sait qui), magistral « volume » de 21 pages en gros titres moins la déco, signé d’une seule personne : Luis Pedro España N. IIES-UCAB (Institut d’Investigations Economiques et Sociales de l’Université Catholique Andrés Bello). Le résultat époustouflant y est exposé sur la planche 5 : 73% de ménages pauvres en 2015, contre 48% en 2014, soit une augmentation fulgurante de 53% en un an. Mais aussi une pauvreté extrême (des ménages) à 49.9% en 2015 contre 23.6% en 2014, soit plus qu’un doublement en un an... La planche suivante montre les années précédentes. Pour l’année 2013, on avait respectivement environ 34% et 13%.

Confronté à un tel scoop, n’importe quel journaliste digne de ce nom ira éplucher un minimum la méthodologie. Pour savoir ce qui est mesuré au juste, et si la méthode de mesure n’a pas changé entre 2013 et 2014. Tu parles. Mais l’auteur dit lui-même que tout ça, c’est la faute au gouvernement, parce qu’il ne publie pas d’indice officiel d’inflation du prix des produits à la consommation, mais aussi que la structure des prix au Venezuela est complètement distordue, que le marché noir ceci, etc. de sorte que les universitaires, aux fins de discussions académiques, se voient dans la nécessité d’établir leurs propres indices. Ce qu’on peut en retenir, en tout cas, c’est qu’on ne compare pas les mêmes choses et que, surtout, on ne parle pas d’une pauvreté mesurée en réalité mais d’extrapolations faites à partir d’indices de prix affreusement difficiles à établir.

Et que le rôle d’un bon gouvernement n’est pas de faire le bonheur de sa population mais celui des universitaires, des journalistes, des spéculateurs et autres gratte-papier d’Agoravox qui veulent s’en tenir à mesurer les faits en restant dans un bureau, tout en prétendant s’inquiéter des réalités du terrain et des conséquences pratiques des politiques. Pour commencer, évidemment qu’il y a un énorme marché noir là bas, une myriade d’agents qui y vendent de toutes sortes de produits, de nécessité ou non, et ce n’est pas nouveau, pas plus que ne l’es le marché noir de l’argent, sur lequel le taux de change diffère complètement du taux de change officiel. L’économie est largement privée, et surtout très anarchique, et pour autant amplement contrôlée par de gros bonnets bien ricains dans l’âme. C’est sûr que ça ne rend pas la vie facile aux économétristes d’ampithéatre ou de cabinet. Quant aux journalistes occidentaux, ils nous « amusent » en nous racontant que l’économie du Venezuela est socialiste... et que c’est le gouvernement qui assure l’approvisionnement de la bouffe ou son rationnement.

L’inflation a atteint 275% en 2015 et s’achemine vers 720% pour l’année en cours.

Là encore, l’auteur ne semble pas trop embarrassé de mélanger les réalités et les projections, en tous cas pas d’aller chercher les infos brutes. Cette information, qui était également le fait de l’agence Bloomberg (8), indiquait une prévision pour la fin 2015 annoncée par un membre du FMI. Quant à 2016, l’agence Bloomberg elle-même tablait sur une inflation 4 fois moindre que celle prévue par ce membre du FMI. En se basant, pour ce faire, sur une moyenne d’avis de grands experts sans doute très d’accord entre eux... Les prédictions économiques, c’est pas facile, surtout quand elles concernent l’avenir. D’ailleurs, un trimestre plus tard, le FMI lui-même revoyait ces prédictions respectivement à 159% et 200% (voir note (3)).

N’importe qui sait que l’affaire, en l’espèce, dépend grandement des cours du pétrole. Pas difficile de voir d’où vient l’emballement inflationniste qui s’est produit depuis l’été 2014 (9). Certes, l’inflation était déjà passé de 20% à 60% entre 2012 et 2014. Mais la production de pétrole nord-américaine a flambé depuis 2011 avec le pétrole de « schiste » (10). Or je crois me souvenir que le Venezuela est le deuxième fournisseur de pétrole des USA.

(à suivre)


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