Rendre la justice par force ou par ruse doit rester la forme ultime et exceptionnelle du juge. Ne serait-ce que parce que, par une telle décision, on ne se contente pas de déterminer ce qui est juste : on produit le juste. Or, la vraie forme de justice est celle qui se borne à constater.
On voit aussi que les femmes cherchent une justice non pas absolue mais correctrice : « Ce n’est pas vrai, ton fils est celui qui est mort et mon fils est celui qui est vivant ! » Chacune vit la mort de son fils une injustice et souhaite la réparer. Or, la mort en tant que phénomène naturel ne peut être regardée sous l’angle du juste et de l’injuste.
« La seule chose qui compte pour la seconde femme, commente Girard, c’est de déposséder l’autre de ce qu’elle possède ou d’en être privée, à condition que l’autre en soit privée, elle aussi. » C’est encore une forme de justice correctrice - de type égalitaire, une forme stupide - mais avec une pointe de vengeance en plus. Pour que la situation soit vécue comme juste par l’une des deux femmes, il faut que l’autre femme soit privée aussi son enfant.
Trancher dans le vif est la forme de justice par sacrifice. Le sacrifice est parfois une forme de juste (nécessité vitale). Mais ici ce n’est pas le cas. Ce n’est pas non plus une justice correctrice : couper l’enfant
en deux ne produit absolument rien de juste. Mais il s’agit d’une ruse
pour savoir quelle femme saura se sacrifier pour l’enfant. Celle qui le
fera sera déclarée mère de l’enfant que le lien de filiation soit réel
ou non. Ce n’est que justice. Le roi a, comme le dit l’article, le pouvoir mais pas le savoir. Or, pour juger, il faut connaître. Cette mise en scène permet de révéler à sa connaissance les qualités respectives des deux femmes. La véritable mère est la femme digne d’élever l’enfant.
On remarquera qu’aucune des femmes ne fait remarquer au juge que sa décision est injuste. La justice et l’autorité du roi ne se discutaient pas...Ce n’était donc pas une bonne justice.