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Commentaire de phan

sur Célébrons la citrouille !


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phan 2 novembre 2019 19:24

@sls0

Paul Lafargue est l’auteur de nombreux textes politiques dont le fameux Le Droit à la paresse (1880). Dans La Légende de Victor Hugo, il attaque le sacro-saint Victor Hugo en montrant son opportunisme. Très orienté politiquement et souvent injuste envers le talent littéraire de Hugo, ce texte n’en est pas moins passionnant et nous montre une facette on ne peut plus humaine d’un des plus grands écrivains du XIXe siècle.
Quelques extraits :
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Le premier juin 1885 Paris célébrait les plus magnifiques funérailles du siècle : il enterrait Victor Hugo il poeta sovrano.
La Cité de Londres, invitée, n’envoya pas de délégation aux funérailles du poète : des membres de son conseil prétendirent qu’ils n’avaient rien compris à la lecture de ses ouvrages ; c’était en effet bien mal comprendre Victor Hugo que de motiver son refus par de telles raisons. Sans nul doute, les honorables Michelin, Ruel et Lyon Allemand de Londres s’imaginèrent que l’écrivain, qui venait de trépasser, était un de ces prolétaires de la plume, qui louent à la semaine et à l’année leurs cervelles aux Hachette de l’éditorat et aux Villemessant de la presse. Mais si on leur avait appris que le mort avait son compte chez Rothschild, qu’il était le plus fort actionnaire de la Banque belge, qu’en homme prévoyant, il avait placé ses fonds hors de France, où l’on fait des révolutions et où l’on parle de brûler le Grand livre, et qu’il ne se départit de sa prudence et n’acheta de l’emprunt de cinq milliards pour la libération de sa patrie, que parce que le placement était à six pour cent ; si on leur avait fait entendre que le poète avait amassé cinq millions en vendant des phrases et des mots, qu’il avait été un habile commerçant de lettres, un maître dans l’art de débattre et de dresser un contrat à son avantage, qu’il s’était enrichi en ruinant ses éditeurs, ce qui ne s’était jamais vu ; si on avait ainsi énuméré les titres du mort, certes les honorables représentants de la Cité de Londres, ce cœur commercial des deux mondes, n’auraient pas marchandé leur adhésion à l’importante cérémonie ; ils auraient, au contraire, tenu à honorer le millionnaire qui sut allier la poésie au doit et avoir.
Les légitimistes ne pardonnent pas à Victor Hugo, l’ultra-royaliste et l’ardent catholique d’avant 1830 d’être passé au parti républicain.
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Il faut lire Rouge et Noir pour comprendre à quel point Napoléon s’empara de l’imagination des hommes de vouloir et de pouvoir. Toute sa vie, il obséda Hugo : tout enfant, il était son idéal. Ses camarades d’école jouaient des pièces de théâtre de sa composition ou de celles de son frère Eugène. « Les sujets habituels de ces pièces étaient les guerres de l’empire... c’était Victor qui jouait Napoléon. Alors il couvrait de décorations sa poitrine rayonnante d’aigles d’or et d’argent. ». En ces temps il songeait fort peu à la Vendée et à ses vierges martyres, à Henri IV et aux vertus des rois légitimes : Napoléon le possédait tout entier ; et oubliant les jeux de l’adolescence, il étudiait ses campagnes, et suivait sur la carte, la marche de ses armées.
Mais que son héros, battu à Waterloo, soit emprisonné à Sainte-Hélène, que son père, pour avoir refusé de rendre à l’étranger la forteresse de Thionville soit accusé de trahison, que Louis XVIII, fasse son entrée triomphale dans Paris, escorté de « cosaques énormes, roulant des yeux féroces sous des bonnets poilus, brandissant des lances rouges de sang et portant au cou des colliers d’oreilles humaines, mêlées de chaînes de montres » , et le jeune poète, pare « sa boutonnière d’un lys d’argent », choisit pour sujet de sa première tragédie, une restauration, et injurie Bonaparte « ce tyran qui ravageait la terre. » .
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Les régimes politiques s’étaient succédés depuis 1789, avec une rapidité si vertigineuse, que l’art de renier ses opinions et de saluer le soleil levant, était cultivé comme une nécessité de la lutte pour l’existence. La famille Hugo excella dans cet art précieux. Quelques détails biographiques sur le général Hugo et sur son fils aîné, Abel, diminueront peut-être l’admiration des hugolâtres pour le génie machiavélique de leur héros ; mais permettront au psychologue de s’expliquer comment tant de diplomatie pouvait se loger dans un si jeune cerveau.
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Brutus Hugo (père de Victor), le farouche républicain de 1793, qui pourvoyait de chouans et de royalistes les pelotons d’exécution et la guillotine, fructidorise le Corps législatif avec Augereau, prend du service dans le palais de Joseph, en qualité de majordome, troque son surnom romain, contre un titre de Comte espagnol, prête serment à Louis XVIII qui le décore de la croix de Saint-Louis, se rallie à Napoléon, débarqué à Cannes, offre de reprêter serment à Louis XVIII retour de Gand, qui le met à la retraite et l’interne à Blois ; là pour occuper ses loisirs, il écrit ses Mémoires. Abel, son fils aîné, les enrichit d’un précis historique, débutant par cet acte de foi : « Attaché par conviction à la monarchie constitutionnelle, profondément pénétré du dogme de la légitimité, dévoué par sentiment à l’auguste famille qui nous a rendu, etc... ».
Victor Hugo ne pouvait se lasser d’admirer les exemples de conduite loyale que léguait à ses enfants l’ex-Brutus : il lui dit :
Va, tes fils sont contents de ton noble héritage,
Le plus beau patrimoine est un nom vénéré !
Odes. Livre II. VIII. Edit. 1823.
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Les personnes qui s’arrêtent aux apparences, l’accuseront d’avoir varié, parce que tour-à-tour il fut bonapartiste, légitimiste, orléaniste, républicain ; mais une étude un peu attentive montre au contraire que sous tous ces régimes, il n’a jamais modifié sa conduite, que toujours, sans se laisser détourner par les avènements et les renversements de gouvernement, il poursuivit un seul objet, son intérêt personnel, que toujours il resta hugoïste, ce qui est pire qu’égoïste, disait cet impitoyable railleur de Heine, que Victor Hugo, incapable d’apprécier le génie, ne put jamais sentir.
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Victor Hugo, toute sa vie, il fut condamné à dire et à écrire le contraire de ce qu’il pensait et ressentait.
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