Le nettoyage ethnique de la Palestine : des opérations ponctuées d’atrocités
analyse de Benny Morris : historien israélien, professeur dans le département d’études du Moyen-Orient à l’université Ben Gourion du Néguev à Beer-Sheva.
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Dans 1948 and After, Benny Morris analyse plus en détail,
s’agissant de la première phase de l’exode, une pièce qu’il juge pour
l’essentiel fiable : le rapport rédigé par les services de renseignement
de l’armée israélienne et daté du 30 juin 1948. Intitulé « L’émigration des Arabes de Palestine dans la période 1/12/1947 — 1/6/1948 »,
ce document estime à 391 000 le nombre de Palestiniens ayant déjà
quitté le territoire alors aux mains d’Israël et évalue l’influence des
différents facteurs expliquant leur départ : « Au moins 55 % du total de l’exode ont été causés par nos opérations », écrivent les experts, qui ajoutent à ce pourcentage les opérations des dissidents de l’Irgoun et du Lehi « qui ont directement causé environ 15 % de l’émigration ». Avec 2 % attribués aux ordres d’expulsion explicites donnés par les soldats juifs et 1 % à leur guerre psychologique, on arrive donc à 73 % de départs directement provoqués par les Israéliens. De surcroît, dans 22 % des cas, le rapport met en cause les « peurs » et la « crise de confiance » de la population palestinienne. Quant aux appels arabes à la fuite, ils n’entrent en ligne de compte que dans 5 % des cas...
Bref, ce rapport, comme le résume Benny Morris lui-même, « sape l’explication israélienne traditionnelle d’une fuite en masse sur l’ordre ou à l’invitation de la direction arabe ». Pour autant, souligne l’historien, « il
ne conforte pas non plus l’explication arabe traditionnelle de l’exode —
à savoir que les Juifs, d’une manière préméditée, centralisée et
systématique, auraient mené une campagne visant à l’expulsion complète
de la population palestinienne autochtone ». Toutefois, reconnaît Benny Morris, pour la seconde période — qu’il évalue également entre 300 000 et 400 000 personnes -, « c’est une autre histoire ».
Emblématique de cette étape apparaît l’expulsion des Arabes de Lydda
(l’actuelle Lod) et de Ramleh, le 12 juillet 1948, dans le cadre de
l’opération « Dani » :
une escarmouche avec des blindés transjordaniens sert de prétexte à une
violente répression (250 morts, dont des prisonniers désarmés), suivie
de l’évacuation forcée, accompagnée d’exécutions sommaires et de
pillages, de quelque 70 000 civils palestiniens — près de 10 % de l’exode total de 1947- 1949 !
Des scénarios similaires seront mis en œuvre — montre Benny Morris — en
Galilée centrale, dans le nord du Néguev et en Galilée du Nord, sans
oublier l’expulsion, postérieure à la guerre, des Palestiniens d’Al
Majdal (Ashkelon). Autant d’opérations souvent ponctuées — sauf la
dernière — d’atrocités, dont Aharon Zisling, chargé de l’agriculture,
dira au conseil des ministres du 17 novembre 1948 : « Je n’ai pu dormir de la nuit. Ce qui est en cours blesse mon âme, celle de ma famille et celle de nous tous (...). Maintenant, les juifs aussi se conduisent comme des nazis, et mon être entier en est ébranlé (10) . »
(10) Tom Segev, op. cit., p. 26.