Titre du sujet : Enrichissement des mémoires de
Louise Michel par les annotations et illustrations de Patrick Loiseau
Les annotations et illustrations que j’ai apportées
aux mémoires de Louise Michel peuvent ressembler à une coquetterie pour
le lecteur habituel mais, cela m’a paru fondamental, pour les raisons
que j’ai explicitées dans la préface. Je profite de ce forum pour en
délivrer le contenu, lequel permettra peut-être, en l’honneur de la
Commune et de Louise Michel, d’acquérir ce livre.
"(...)Loin des vues simplistes de l’esprit bonhomme et commun qui
persiste à enfermer les hommes et les femmes d’exception dans une
carapace caricaturale, une architecture sémantique squelettique,
désignant l’un par un terme ou un fait, l’autre par une boutade ou une
injure, les révolutionnaires, quels qu’ils soient, sont des hommes et
des femmes aux passions internes multiples. Comme vous tous.
Mais ils sont aussi différents en ce sens qu’une ombre les porte, cette
fusion presque indicible entre le rêve et l’action. Ils sont prêts et
prêtes aux changements, aux aventures, parce qu’ils sont eux-mêmes les
acteurs de ces changements.
En cette fin d’année 2018 où l’invective autoritaire, le sens commun, la
régression intellectuelle et sociale sont à l’œuvre, désignant de plus
en plus, avec les quinquennats de Sarkozy, de Hollande puis de Macron,
les véritables progressistes, c’est-à-dire les syndicalistes et les
révolutionnaires, comme des ennemis à abattre – au moins sur le plan de
la morale et du verbe – il est urgent de dresser en face de cette
tentative de nous asphyxier idéologiquement les portraits de ceux ou
celles qui nous ont montré le chemin pour faire de notre société autre
chose qu’un marché financier ou un état féodal.
Mademoiselle Louise Michel est un de ces personnages extraordinaires.
C’est par respect que je l’appelle Mademoiselle – comme le fit son
éditeur, en 1886 – et aussi pour rappeler à l’observation commune que
Louise Michel était une révolutionnaire, certes mais aussi une personne.
C’est-à-dire un être particulier porté par une infinité de segments
intimes qui la rapproche de nous tous. Son esprit, nous l’avons ressenti
à la lecture de ses mémoires, baigne dans un souci constant
d’exhaustivité, certes, mais aussi dans un registre poétique qui ferait
presque oublier sa promiscuité avec la mort et la souffrance. Très à
l’aise dans tous ces paradoxes, Mademoiselle Louise nous emmène promener
dans sa galerie de souvenirs. C’est attachant. C’est écrit avec des
lettres sublimes. C’est bouleversant. Louise Michel est une vraie
poétesse, une vraie révolutionnaire et une vraie femme. La lecture de
ses Mémoires nous en convaincra sans nul doute.
Pour faire partager ce voyage, j’ai retranscrit ici l’intégralité de ce
livre en adoptant à dessein un mode de lecture « décalé », je veux dire
en ayant constamment à l’esprit non pas le souci d’observer Louise en
spectateur externe – en lecteur - mais plutôt en une sorte de double
d’elle-même, et me mettant à sa place, mentalement et physiquement – en
co-acteur donc -, autant que je pusse le faire. Quand, juchée sur son
arbre elle partageait à voix lancée, avec son cousin, lui-même installé
sur un autre arbre, quelques tirades des pièces de théâtre qu’elle
avait lues auparavant ou quelques propos sur leurs amours réciproques,
l’une pour le diable, l’autre pour George Sand, je me transportai
immédiatement – en pensée - sur un arbre identique et tâchai d’ouvrir
toutes les références en question, en relisant les mêmes textes qu’elle
ou me plaçant délibérément dans les mêmes situations - pour me
rapprocher de son vécu, avec les moyens du bord bien sûr, le plus qu’il
était possible… Mon positionnement et mon engagement politique et
syndical, toute ma vie, de militant révolutionnaire, donc une vie ayant
connu beaucoup de péripéties passionnées ou négatives, m’ont aidé
quelque peu ainsi que ma connaissance du système politique dans lequel
nous vivons. Ce que j’avais aussi de commun avec Louise, malgré l’époque
différente et l’engagement politique différent, elle anarchiste, moi
trotskyste, c’est que nous sommes devenus tous deux instituteurs à
partir d’un processus autodidacte, en particulier à travers l’accès à
une lecture littéraire et scientifique très jeunes, et aussi à partir
d’une conviction complètement rebelle d’opposition au supposé « réel »,
ce réel qui nous est vendu par certains comme justifié et intangible et
qui couvre nombre d’injustices inacceptables.
Comme conséquence de cette attitude qui consistait plus ou moins à
essayer de marcher dans ses pas, j’ai donc complété ses mémoires avec
des annotations – pour éclairer certaines références plutôt érudites
oubliées par notre entendement contemporain – et quelques illustrations -
qui sont, pour certaines, celles qui embrassèrent le mental ou le
visuel de Louise.
C’est à cette condition de rapprochement avec elle, dût-il n’être que
virtuel ou relatif, pensai-je, que les mémoires de Louise Michel,
pourraient sortir de leur statut banalement historique pour emprunter au
réel et au vivant, pour que, enfin, elles ne demeur(ass)ent pas une
simple archive ou un bouquin oublié dans le fond d’une malle livrée à
l’humidité ou aux toiles d’araignées…
Et comme elle, je proclame : Vive la révolution !"
Patrick Loiseau