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Commentaire de Pierre-Marie Baty

sur La quête du palais de Théodoric conduit à la chapelle palatine de Charlemagne d'Aix-la-Chapelle


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Pierre-Marie Baty 18 août 2022 00:41

@L’apostilleur
Je peux confirmer par une expérience personnelle.
En visite à Chios. Île magnifique, grecque jusqu’au bout des capillaires. A tiré sa richesse du lentisque pistachier, qu’ils savaient scarifier pour en extraire le mastic, au point que les Génois du moyen-âge les ont réduits en quasi esclavage, enfermés dans leurs villages gardés la nuit et le jour surveillés dans les champs de lentisque, avec fouille à l’aller comme au retour, et gare à la femme qui en aurait conservé une précieuse goutte dans son fichu.
Nous arrivons à Mesta. Bourgade renfermée sur elle-même, écrasée par le soleil, aux ruelles labyrinthiques au milieu de laquelle, bordant une placette minuscule, s’ouvrait la fraîcheur de l’église orthodoxe. Nous rentrons. Deux petits vieux y prient. Ils nous entendent commenter à voix basse les icônes. Je parle d’histoire, de Constantinople, de la différence entre l’art byzantin et l’art russe, de ce que j’en savais. Soudain le vieux me saute littéralement dessus. M’attrappe par la manche, et me traîne (« Venez ! ») devant l’immense fresque de Saint Michel qui se dressait de toute sa hauteur sur la partie gauche de l’iconostase. Il me pousse ; je suis le nez contre la vénérable peinture, il s’attendait à ce que je l’embrasse par dévotion ; je n’ose pas polluer une telle splendeur. « Regardez ! » me dit-il. « Regardez-le ! Priez ! Afin qu’il ne vous laisse jamais tomber ! »  Et de regarder intensément avec lui les yeux enflammés de ce soldat ailé, vêtu à la romaine, tenant en respect sous sa lance la créature qui nous dévore tous.
Revenus à une conversation plus sage, nous entamons alors avec le vieil homme une discussion en forme de récapitulatif historique de l’île de Chios, de l’époque d’Homère dont cette île fut le berceau, à la splendeur byzantine (il disait : romaine), puis au joug des sultans ottomans jusqu’à la révolte du début du XXe siècle qui les en libéra et où ils faillirent y passer tous. « Vous nous avez trahis ! » disait-il. « Vous nous avez laissé tomber ! Nous étions vos frères ! » Il mélangeait dans sa vindicte le Filioque, l’excommunication de 1084 où Humbert de Moyenmoutier déposa la bulle infâmante du Pape sur l’autel de Sainte Sophie en y interrompant la messe, la trahison inimaginable de 1204 et toutes celles qui lui suivirent et dont nous sommes collectivement coupables.

Le vieillard ne savait pas (comment l’aurait-il pu ?) quel était mon troisième prénom, à quelle école primaire j’étais allé, où avais-je habité, et quel fut l’ange gardien silencieux de toute mon enfance.

Merci de m’avoir donné l’occasion de raconter ce souvenir.


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