1386 : un « Jugement de Dieu » emblématique
Dimanche soir s’est achevée dans la cité médiévale de Dinan la 22e édition de la très populaire « Fête des Remparts ». Marquée par un nombre toujours plus élevé de participants en costume d’époque, cette manifestation haute en couleurs a ravi les visiteurs venus découvrir le mode de vie, les techniques artisanales, l’art du combat et la musique de nos ancêtres. Mais comme l’on pouvait s’y attendre, c’est le spectacle de tournoi donné sous les murs du château qui a constitué le sommet de cette édition 2016. Au programme, un « combat judiciaire » à mort : celui qui, le 20 décembre 1386, a opposé Robert de Beaumanoir à Pierre de Tournemine...
Si les représentations du « combat judiciaire » entre les deux chevaliers bretons n’ont pas été très fidèles à la vérité historique – ce n’était pas une reconstitution –, du moins ont-t-elles illustré de manière spectaculaire la manière dont se déroulait au Moyen Âge un « Jugement de Dieu » destiné, en l’absence de preuves, à départager deux justiciables de la noblesse d’épée impliqués dans un crime de sang. À cet égard, le spectacle a atteint son double objectif : distraire de manière insolite nos contemporains et rafraîchir leurs connaissances sur le fonctionnement de la justice médiévale. Un avis très largement partagé par les plus jeunes spectateurs, débordants d’enthousiasme durant les assauts des chevaliers. Mais foin de « fiction inspirée de faits réels », retour au 14e siècle :
Le 14 février 1385, Jean V de Beaumanoir est assassiné dans des conditions obscures. Très vite, deux responsables de ce meurtre sont pointés du doigt : d’un côté, le chevalier Pierre de Tournemine, seigneur de La Hunaudaye, par le clan Beaumanoir ; de l’autre, le chevalier Robert II de Beaumanoir, accusé par les Tournemine d’avoir occis son propre frère. La justice ducale est saisie. Or, malgré un long temps d’instruction marqué par de nombreuses arguties juridiques et manœuvres dilatoires des Tournemine, il appert qu’aucune preuve recevable ne permet à quiconque de faire valoir de manière irréfutable ses droits sur la partie adverse. Dès lors, conformément aux usages du temps, ordre est donné par Jean IV, duc de Bretagne, de s’en remettre au « Jugement de Dieu » sous la forme d’un « combat à outrance* », la bonne foi de l’innocent ne pouvant déboucher sur un injuste trépas.
C’est ainsi que, le 20 décembre 1386, a été aménagé dans la bonne ville de Nantes un « champ clos » sur la place du Bouffay, non loin du château ducal. À l’heure dite du Jugement de Dieu, le duc est présent dans la tribune avec les membres de son Conseil sous le regard de la population nantaise venue en nombre assister au combat singulier qui doit opposer les deux chevaliers s’accusant mutuellement d’assassinat. Un cercueil de bois recouvert d’un drap mortuaire confirme la sentence du duc : il accueillera le corps du vaincu, qu’il soit occis par le vainqueur ou, en cas d’aveu libre ou contraint durant le combat, exécuté par le bourreau également présent sur les lieux.
Une peine infâmante
Les deux adversaires se présentent à cheval face à la tribune, accompagnés de leurs « pleiges » (témoins). La tenue de combat des chevaliers et le caparaçon de leurs chevaux sont comme le veut l’usage aux couleurs respectives des Beaumanoir (billettes d’argent sur fond d’azur) et des Tournemine (écartelé d’or et d’azur). Après avoir mis pied à terre, une inspection de leurs armes et de leurs équipements est exécutée par le maréchal de Bretagne Geoffroy de Kerimel afin de contrôler l’équité du duel. Cette formalité accomplie, Beaumanoir et Tournemine jurent sur les Évangiles et les Saintes reliques que leur cause est juste. Ce serment fait, ils remontent en selle et gagnent chacun une extrémité du champ clos pour attendre l’ordre du maréchal de Bretagne.
Au « Laissez aller » lancé par Geoffroy de Kerimel, les deux chevaliers s’élancent l’un vers l’autre, épée en main. Tournemine, persuadé de sa puissance, a manifestement l’intention d’en finir au plus vite et cherche d’emblée à porter un coup fatal à son adversaire. Tel n’est pas le cas de Beaumanoir qui veut seulement blesser son rival et le contraindre à avouer publiquement l’assassinat de son frère Jean. Entre les assauts fougueux de Tournemine et les évitements calculés de Beaumanoir, c’est le premier nommé qui se fatigue le plus vite : ses mouvements se font moins précis et offrent des opportunités à son adversaire. Dès lors, Beaumanoir prend l’avantage et réussit à jeter Tournemine au sol.
Sautant de son cheval, Beaumanoir relève alors la visière du bassinet de Tournemine et lui pointe sa dague sur la gorge en le conjurant d’avouer la vérité sous peine d’être égorgé sur le champ. Le vaincu avoue avoir commandité l’assassinat de Jean de Beaumanoir, ladite tuerie ayant été accomplie à coups de cognée par le nommé Roland Moysan, un métayer des Beaumanoir. Moyennant quoi le duc de Bretagne ordonne, malgré les appels à la clémence des pleiges de Tournemine que celui-ci soit traîné sur une claie infâmante jusqu’au gibet afin d’y être pendu tel un vil criminel.
Au soir de ce 20 janvier 1386, aucune dépouille ne se balance pourtant à la potence de la place du Bouffay : le vainqueur du Jugement de Dieu, Robert de Beaumanoir, sensible aux arguments des amis du vaincu, eu égard aux éminents services rendus par la famille Tournemine au côté de Bertrand Du Guesclin lors de la Guerre de Cent ans, a en effet décidé d’accorder sa grâce au meurtrier de son frère. La décision, entérinée par le duc de Bretagne, Pierre de Tournemine garde la vie sauve, mais perd définitivement son titre de chevalier. Une dégradation qui, dans le monde nobiliaire du Moyen Âge, équivaut à une mort sociale.
* Combat à mort
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