1453-1553 1/5 Les nouveaux mondes
En 1453 la féodalité, le servage, la chevalerie et les croisades appartiennent déjà au passé lointain mais pour beaucoup d’historiens cette date signe l’achèvement du Moyen Âge et le début de la Renaissance car elle renvoie à deux faits majeurs : la fin de la guerre de Cent Ans et la prise de Constantinople.
Dans cette série d’articles qui je l’espère pourront paraître à un rythme hebdomadaire, je vous propose de partager avec vous cinq approches différentes, mais interdépendantes, pour la période qui va de 1453 à 1553 :
1/ Les nouveaux mondes ; 2/ L’humanisme ; 3/ Les conflits ; 4/ l’art ; 5/ Renaissance et monde contemporain.
Préambule
En 1453 commence une nouvelle ère géopolitique avec la victoire des armées françaises de Charles VII contre celles d’Henri VI d'Angleterre à Castillon qui marque la fin de la guerre de Cent ans, ce qui libère la France de toute occupation anglaise, sauf Calais, et la prise de Constantinople par les Ottomans commandés par Mehmed II qui entraine la chute de l’empire byzantin. Ce dernier évènement eût un retentissement considérable en Europe car la perte de l’empire romain d’Orient instaurait de fait la suprématie d’une politique et d’une religion différentes dans cette zone stratégique pour les échanges économiques et les luttes d’influence. Le schisme de 1054 avait entrainé la séparation entre l’Église d’Occident, dirigée par le Pape avec un rite latin, et l’Église d’Orient soumise au patriarche de Constantinople, avec un rite grec. Et la mise à sac de la ville par les chevaliers croisés en 1204 pour y instaurer l’Empire latin de Constantinople, qui dura seulement jusqu’en 1261, n’avait rien arrangé et même scellé la séparation définitive entre les deux Églises.
Or les conséquences de la fin de l’empire byzantin sont importantes car d’un côté l'Église catholique romaine se voit soulagée par la mise à l’écart d’une Église orientale concurrente qui contestait son autorité, ce qui étend son pouvoir, mais de l’autre elle se retrouve à présent en première ligne face aux visées expansionnistes d’un empire qui peut la mettre en péril (surtout après l’accord « impie » de 1536 entre François Ier et Soliman le Magnifique pour combattre Charles Quint). De plus les routes commerciales de la soie inaugurées par le vénitien Marco Polo jusqu’en Chine, qui avaient permis l’installation à Constantinople, Kaffa ou Trébizonde de nombreux marchands italiens, surtout Génois, sont alors moins sûres. Enfin la chute de Constantinople entraine une importante diaspora d’artistes mais aussi d’érudits qui sont de remarquables exégètes de textes grecs souvent mal connus en Europe. Du coup la pensée antique revient en force d’autant que le développement de l’imprimerie découverte par Gutenberg vers 1450, permet dès 1470 une diffusion des idées sans précédent dans l’histoire de l’humanité. À la fin du 15ème siècle une quinzaine de millions de livres sont déjà en circulation. La langue latine décline progressivement au profit des langues vulgaires, et les caractères romains se substituent graduellement aux lettres gothiques, ce qui rend le texte plus lisible. Cela entraine l’unification progressive de la langue mais aussi de la justice car le droit oral décline au profit du droit écrit, plus fiable et plus concis. Des dynasties d’éditeurs imprimeurs voient alors le jour, comme les Estienne à Paris. Avec la Renaissance un bouleversement de la pensée est en marche, qui influencera profondément le destin de l’Europe et du monde pendant plusieurs siècles.
Les découvertes maritimes
De nombreux facteurs vont alors pousser les navigateurs et les mercenaires de l’époque à s’aventurer hors des limites connues. On sait depuis Ptolémée que la terre est une sphère avec un océan autour ; en allant toujours vers l’Ouest on devrait donc forcément trouver l’Asie orientale. Mais la mer reste un endroit très inquiétant pour les marins de l’époque qui pratiquent beaucoup plus le cabotage que la navigation hauturière. Les portulans sont rares, chers, et imprécis. De plus l’océan est peuplé de créatures étranges et menaçantes tout droit sorties des tableaux de Jérôme Bosch : hydres, serpents de mer, gorgones et autres monstres terrifiants. On raconte qu’il existe « des pays de lait et de miel » mais on dit aussi que l’eau peut se réchauffer jusqu’à bouillir en allant au sud, ou que des « pierres d’aimant » peuvent arracher les clous des navires pour les faire couler. Bref l’enfer n’est pas loin.
Mais à l’approche de la date fatidique de 1500 la pensée eschatologique de l’époque répand l’idée que le salut ne pourra survenir que si l’humanité entière est christianisée, et il y a donc urgence à porter partout la bonne parole. D’autant que parallèlement les turcs attaquent les navires marchands en Méditerranée, ce qui impose de trouver d’autres routes commerciales, ou pour les prendre à revers. Et puis Cathay (la Chine) pour la soie et Cipangu (le Japon) pour l’or font rêver et l’Inde regorge d’épices très appréciées : poivre, cannelle, clou de girofle, muscade, gingembre. Sur Madère et les Canaries que l’on connaît déjà depuis assez longtemps la vigne et la canne à sucre poussent bien, mais la demande augmente et les mines d’or d’Afrique attirent. La recherche de capitaux et de marchés émergents renforcent cette envie d’un Ailleurs que de nouvelles techniques de navigation vont bientôt rendre possibles.
Car de puissantes caravelles à deux ou trois mats de 50 tonneaux, stables et bien voilées, permettent à présent d’affronter la haute mer tout en restant assez manœuvrantes grâce à un faible tirant d’eau, au gouvernail axial d’étambot et à la possibilité d’orienter les voiles pour faire une route plus près du vent. La cartographie s’améliore, la boussole inventée par les Chinois aide à garder un cap fixé à l’avance, et l’astrolabe emprunté aux Arabes permet de mesurer la hauteur du soleil ce qui rend possible avec les tables de déclinaison un calcul plus fiable de la latitude. La longitude reste très incertaine, par manque de repères temporels précis, mais tout est cependant prêt pour l’aventure. L’Espagne et le Portugal qui sont en concurrence vont pouvoir se lancer dans ce défi planétaire qui marque le début de la mondialisation du commerce et du métissage des cultures
Les Portugais sont des pionniers prudents mais ils sont les premiers à explorer méthodiquement la côte occidentale de l’Afrique dès 1420 et devancent les Génois en longeant les côtes du Sénégal et de la Guinée pour se procurer l’or exploité par les indigènes aux sources du Niger. En 1471 ils atteignent l’Equateur et Bartolomeu Diaz parvient en 1488 à l’extrémité sud de l’Afrique, appelé cap des Tempêtes, qui deviendra ensuite le cap de Bonne-Espérance, tout en apprenant que les vents favorables de la mousson d’été peuvent aider les navires à longer plus facilement la côte africaine orientale. C’est ce que fait Vasco de Gama à partir de 1497 ce qui le mène à Zanzibar d’où il repartira avec l’aide d’un pilote arabe pour parvenir finalement à Calicut sur la côte occidentale de l’Inde en 1498. L’Indonésie sera atteinte en 1512, la Chine en 1513 et le Japon en 1543. Dans tous ces pays où ils cherchent à établir des comptoirs commerciaux les Portugais sont considérés comme des « barbares » tant il est vrai que l’on est toujours le barbare de quelqu’un d’autre, mais la route de l’Est est maintenant libre.
Parallèlement Christophe Colomb, un Génois établi à Lisbonne, sollicite le roi du Portugal Jean II pour chercher de l’or au Japon et franchir la « Mer des ténèbres ». Mais celui-ci rejette son dessein, jugé hasardeux. Dépité, il s’adresse alors à Isabelle de Castille qui accepte son projet après six années de démarches. Il appareille enfin de Palos le 3 août 1492 avec trois caravelles : la Santa Maria, la Pinta et la Niña, et file vers l’Ouest pour s’approcher 33 jours plus tard de la Floride, et non du Japon comme il l’imagine, puis longe Cuba, l’île de Saint Domingue et Haïti qu'il appelle « Hispaniola », avant de revenir en Espagne en 1493 avec un vaisseau en moins. Trois autres voyages suivront de 1493 à 1504. Il explore d’autres Antilles, appelées Indes occidentales, et touche deux fois le continent américain mais ne découvre ni or ni épices. Finalement cette Amérique, dont le nom vient du florentin Amerigo Vespucci qui fit plusieurs expéditions entre 1497 et 1504, sans que l’on sache vraiment ce qu’il a découvert, déçoit. Christophe Colomb, rejeté par Isabelle de Castille, meurt découragé en 1506. Mais la route de l’Ouest est à présent ouverte.
Il ne reste qu’une dernière étape à franchir et c’est Fernand de Magellan, un Portugais au service de l’Espagne, qui relève cet audacieux défi maritime grâce à l’appui de Charles Ier, futur Charles Quint. Il part avec 237 hommes et cinq navires en 1519, longe les côtes de l’Amérique du Sud, découvre le détroit qui porte son nom, débouche dans l’océan qu’il appelle Pacifique, avant de se faire tuer par les indigènes aux îles Philippines. Un seul navire sous le commandement de Juan Sebastián Elcano reviendra finalement en Espagne en 1522 avec une vingtaine de rescapés après avoir traversé l’océan Indien et doublé le cap de Bonne-Espérance, parfois contre les vents dominants. La « Victoria » devient ainsi le premier bateau à avoir effectué une circumnavigation complète ce qui prouve définitivement la rotondité de la terre. Mais avant d’explorer ce monde, il faut d’abord le partager.
Pour prévenir tout conflit le traité de Tordesillas signé en 1494 entre Ferdinand II d'Aragon, la reine Isabelle de Castille, et Jean II de Portugal fixe les zones de domination respectives des deux nouvelles puissances coloniales avec l’aval, contesté par le Portugal, du pape Alexandre VI Borgia qui est d’origine espagnole. Après diverses modifications approuvées par Jules II en 1506, les Portugais obtiendront finalement que la ligne de démarcation soit déplacée plus à l'Ouest, à 370 lieues des îles du Cap Vert (50e degré de longitude ouest), ce qui fera du Brésil, découvert seulement en 1500 par Pedro Alvares Cabral, une possession portugaise, le reste de l'Amérique du Sud revenant aux Espagnols. L’Angleterre et la France contesteront ce partage qui les exclue, c’est pourquoi le roi Henri VII enverra en mission l’explorateur vénitien Giovanni Caboto dès 1497 vers le continent nord-américain et que François 1er financera un peu plus tard les expéditions du florentin Giovanni da Verrazzano, qui découvre la baie de New York en 1524, puis celles de Jacques Cartier, l’explorateur du Saint Laurent et du site de Stadaconé en 1534, le futur Québec, tout en prenant possession des terres au nom du roi de France.
Ces découvertes créaient en fait un nouvel univers qui allait bientôt favoriser le commerce mondial et les prochaines colonisations. Mais parallèlement les penseurs de la Renaissance jetaient à ce moment-là les bases d’un homme nouveau.
A suivre… (1453-1553 : 2/5 L’humanisme)
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