La rencontre des trois monstres sacrés eut lieu le 6 janvier 1969 dans un appartement privé de Paris. La photo (prise par Jean-Pierre Leloir) de la rencontre unique de ce trio immortel a fait le tour du monde. On sortait de Mai 68 et l’on cherchait à se raccrocher à des figures emblématiques qui incarnaient la liberté, l’insolence et et la révolte mais pas pour autant le chaos. Récit d’un évènement dont c’est le 40ème anniversaire en 2009 et qui fut un grand pas pour l’Humanité.
Paris, lundi 6 janvier 1969. Un petit appartement de la rive gauche rue Saint-Placide. La pièce sera vite enfumée : Georges fume la pipe comme on sait, Brel des Gitanes, Ferré des Celtiques. L’organisateur de la rencontre, Cristiani fume également la pipe.
Suivront deux heures non-stop d’échanges enregistrés par RTL et ponctués du bruit de la pipe de Brassens cognant sur le cendrier. Les trois compères trouvent un moment de complicité cocardière lorsque l’un d’entre eux (Brel) déclare à propos des Beatles "Ils ont ajouté une pédale charleston aux harmonies de Fauré." ! Léo, le plus connaisseur en musique, ne pipa mot de contradiction et pour cause : la France venait de se retrouver enfin après la "chienlit" et elle parlait d’une seule voix !
Avec le temps, bien sûr, tout s’en va. Et la pendule qui ronronne au salon du petit appartement qui attesta de la ponctualité des trois poètes (16h28 : entrée de Georges, 16h30 de Jacques Brel, 16h32 Léo), n’interrompt pas sa marche effroyable. Quarante années se sont écoulées depuis ? Mais la photo du trio prise par Jean-Pierre Leloir est devenue aussi légendaire que ces trois-là et que les Trois Baudet.
Qu’aurait dit Brel de Mickaël Jackson ? On ne le saura jamais et on doit vivre avec ça.
Ces trois-là nous manquent mais, heureusement il nous reste leurs chansons et, pour Brel, ses films.
Tout n’avait pourtant pas bien commencé. Une parole mal interprétée de Léo, reprise par un journaliste, jeta un froid : "Brassens : connais pas !" Il fallut que Léo explique qu’il avait simplement regretté ne pas le connaître assez et d’ajouter, fidèle à lui-même : "Les journaux ça se lit et puis ça se jette aux cabinets".
Cette autre vidéo, d’octobre 1967, montre que Léo avait le sincère désir de mieux connaître Georges et Jacques. Il les invite en direct à venir prendre un pot avec lui dans le Lot. Vers la 6ème minute, Léo a ce mot "Brassens ? On ne se connaît pas" et l’on voit que cette parole a été transformée en "petite phrase" polémique alors qu’elle exprimait une invitation à mieux se connaître.
Mais il fallut attendre le 6 janvier 1969 pour que la rencontre eut lieu.
François-René Cristiani, journaliste débutant à RTL, travaillait sur ce dossier depuis six mois, des rendez vous avaient été pris puis avortés. Le photographe Jean-Pierrre Leloir rendit possible la concrétisation du projet : ayant, en effet, commencé à photographier Ferré en 1953 et Brel et Brassens en 1957, il facilita les contacts. Jean-Pierre Leloir était chargé de prendre des photos pour la revue Rock & Folk du mois de février 1969.
Ce jour-là, ils étaient donc sept dans la pièce : les trois artistes, Cristiani, Leloir et deux preneurs de son cachés derrière le mur. Aucune mise en scène (source : témoignage Leloir).
Brel avait plaisanté d’emblée en off en s’installant : "Alors, qu’est-ce qu’on va bien pouvoir dire... comme conneries ?" Les "conneries" comme on les aime ne tardèrent pas et Léo de comparer son métier à celui de la putain : "nous sommes des putains" déclarent les trois grands de la chanson français entrés déjà alors dans la collection "Poètes d’aujourd’hui" ! Pied de nez à ceux qu’ils voulaient absolument les ranger dans la catégorie "poètes" à leur corps défendant.
Autre piège que Léo, Jacques et George évitèrent, celui consistant à établir une hiérarchie, un piège que la station de radio RTL tendit en 2008 à l’occasion du trentième anniversaire de la disparition de Brel avec une émission intitulée "Jacques Brel est-il le plus grand ?" Pour en discuter, 39 ans après la rencontre, François-René Cristiani, Jean-Pierre Leloir et Françoise Canetti, fille de Jacques Canetti, le patron des "Trois Baudets", l’homme qui a découvert Brel, Brassens, Vian, Higelin.
Finalement, l’amitié des "Copains d’abord" fut la plus forte et l’on voit l’ami Georges, très ému et embarrassé témoigner lors de la disparition de Jacques le 9 octobre 1978 : "c’est un membre de notre famille qui est mort". C’est à l’amitié que nous laissons le dernier mot.
Difficile en effet d’établir une hiérarchie tant elle serait personnelle. Pour ce qui me concerne, elle mettrait loin devant Brassens (le plus constant et le plus rigoureux), suivi de Brel, Ferré fermant la marche. Mais je conçois très bien que l’on puisse établir un e hiérarchie différente. Chacun ses goûts.
Je pense quand même que Brassens, sous ses airs bourrus, a été le plus profondément humain des trois. Et cette qualité-là l’emporte sur tout le reste.
Il est impossible d’établir une hiérarchie de ces trois grands talents. On peut seulement les placer au-dessus du lot commun et on peut aussi les classer entre eux en fonction de divers critères relatifs : Ferré était le plus fort pour ce qui est de jouer avec la langue, Brel le plus fort pour la force de l’interprétation, Brassens le plus fort pour la raison que vous évoquez. Mais de façon générale, aucun classement n’est possible.
Merci pour cet article qui m’a donné une émotion revigorante. Rien que la photo donne un « coup de pied au cul » où sont-ils tous ces gens qui osaient « dire » « donner leur avis » et qui explosaient de vie. Je ne crois pas que le talent soit moins présent maintenant, mais j’ai bien peur qu’il n’interresse plus beaucoup de monde... Tant pis passons à autre chose...
n’éxagérons pas tout de même pour « le grand pas pour l’humanité »...
mais évoquons tout simplement la rencontre de ceux qui portèrent la chanson Française à son plus haut niveau ,trois immenses talents immortalisés par leurs oeuvres !
et actuellement,ils n’ont pas trouvé de remplaçants !....
Pas « remplaçants » mais « successeurs ». Ils étaient tous trois considérés à l’époque comme les dignes héritiers de Charles Trénet mais qui sont leurs héritiers aujourd’hui ? Je crois qu’il y a à la fois un émiettement des talents et du dédain de la part les médias et grands labels de certains talents qui gagneraient à être connus.
tout simplement parce que les gens ne lisent plus et n’écoutent plus les textes ni les mélodies qui créaient une harmonie totale sur chaque titre ( qui sont restés des références ..)
vu le nombre d’illétrés et d’analphabètes qui envahissent aussi bien nos Lycées que le monde artistique,on n’est pas prêt de retrouver des gens de qualité sur le plan chanson !..
maintenant ,c’est le Rapp !...et de la mélodie au mètre ,celle qui dégueule des bagnoles aux vitres ouvertes par les petits branleurs frimant au volant de leurs Renault 5 Gt Turbo Tunées avec une sono de 2000 W,ça fait BOUM BOUM BOUM ,et ils sont contents !...
Sans rien enlever a leur talents respectifs, cette rencontre fut pour ma part assez decevante. On sent bien qu’il sont bien plus doues a s’esprimer en vers et sur scene qu’au travers de cette mise en scene...
précisez que c’était Rock and Folk qui en fera l’écho papier, reliant pour beaucoup les textes au rock qui en manquaient assez en France à ce moment là : Dylan est encore trop inconnu.....
merci pour tout ce que vous faites ici, « la Taverne ».
Salut Paul, Cela ne t’étonnera pas mais mon préféré est le Grand Jacques. Plus on avance en âge ; plus ses écrits ou chansons correspondent au vécu avec une justesse inégalée. Il y a d’ailleurs une évolution très marquées entre la valse à mille temps et les Marquises. Pour lui, la femme reste une énigme. Les « pots » étaient ses amis. Les femmes ont été son problème. Pour Georges Brassens, la seule chose que je regrette, c’est que le manque de variété au niveau musique. Ses textes pourraient invariablement passer d’un chanson à l’autre. Féré, le révolté, cela dépend de l’époque et des chansons. Personne n’a pensé à les faire chanter ensemble ?
Heureusement, ils sont toujours vivants, grâce à leurs textes, leurs chansons, leurs voix : les artistes ne meurent jamais ; on regrette seulement qu’ils ne continuent pas à nous proposer de nouvelles pépites de leur talent : c’est vrai, on est tous un peu orphelins...