« Adèle Blanc-Sec » : Besson en cale sèche ?
Adapté de la célèbre BD de Tardi, le nouveau film de Luc Besson, Les Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec, raconte l’histoire rocambolesque d’une jeune journaliste prête à tout pour parvenir à ses fins. Pendant qu’on la suit en Egypte, partie sur les traces d’un pharaon, un œuf de ptérodactyle, âgé de 136 millions d’années, vient d’éclore au Jardin des plantes à Paris, donnant naissance à un oiseau géant semant la panique dans la capitale. En plein Jurassic…Paris, Adèle Blanc-Sec est encore sur le coup.
En général, il est de bon ton, soit de porter aux nues Luc Besson parce qu’il a amené indéniablement du sang neuf dans le cinéma français des 80’s et qu’il tient actuellement, dans la paume de sa main, une bonne partie de la production cinématographique française (par exemple, dans le Grand Journal de Canal +, on accueille Besson comme s’il s’agissait de saint Luc, il s’agit de ne pas froisser sa susceptibilité), soit de le dénigrer en l’accusant de ne réaliser que des films relevant de l’esthétique publicitaire et de ne produire, via EuropaCorp, que des nanars au centuple. Il est vrai que des Taxi, Transporteur, Wasabi, Banlieue 13 et autres Yamakasi 36, en dehors de leur succès au box-office, ne vont pas laisser une trace indélébile (c’est le moins qu’on puisse dire !) dans l’Histoire du 7ième art. Pour autant, j’ai toujours trouvé le cas Luc Besson intéressant dans la cinématographie mondiale. « Louc Bessonne », pour prononcer son nom à l’américaine, reprend les procédés hollywoodiens pour fabriquer des films dans l’Hexagone qui puissent rivaliser avec la planche à billets verts de
Avec lui, il s’agit tout simplement de distinguer le bon grain de l’ivraie. Pour le pire, ça donne les produits précédemment évoqués (dont la liste, hélas, n’est point exhaustive !), et, pour le meilleur, il arrive qu’EuropaCorp produise des films d’auteurs, ne manquant pas de qualité, je pense par exemple à Trois enterrements, Quand j’étais chanteur, I Love You Phillip Morris ou encore au documentaire choc sur le massacre des dauphins au Japon, The Cove (2009). En ce qui concerne ses propres réalisations, il y a un Luc Besson que j’apprécie assez : celui qui a de bonnes intuitions, et manifestement le sens du cadre et du rythme. A l’orée des 80’s, Besson a proposé un autre cinéma que celui littéraire et post-Nouvelle Vague qui avait pignon sur rue en France : ses films-prototypes, « à l’américaine » (Le Dernier combat, Subway…), ont montré qu’un cinéma du visuel était possible chez nous et qu’on pouvait sortir de l’énième histoire d’amour d’un couple germanopratin se déchirant dans un 100 m² place de l’Etoile. Son cinéma postmoderne, imprégné de BD et de films US, amenait un vent nouveau dans le cinéma à la française, et ce n’était pas plus mal. Des trognes filmées frontalement, des cadrages insolites, des histoires s’autorisant de nouveaux horizons (des bas-fonds du métro parisien au grand bleu des profondeurs via
Et voici que nous arrivent Les Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec. Comment dire ? L’image est jolie (bravo au chef-op Thierry Arbogast et au chef-décorateur Hugues Tissandier), la jolie Louise Bourgoin, sans avoir un jeu extrêmement développé (mais bon, c’est une débutante), fait son job, idem pour les autres acteurs du film, l’histoire ne manque pas de rebondissements (de l’Egypte ancienne au Paris haussmannien via le luxuriant Jardin des plantes) et, pourtant, malgré cette somme de points plutôt positifs, la mayonnaise filmique ne prend jamais vraiment, du 1 sur 5 pour moi. Au bout d’un moment, on ne peut que se demander : où est le Luc Besson de Léon ?
Le filmage d’Adèle Blanc-Sec est passe-partout, voire poussif, on n’y sent jamais la virtuosité de filmeur dont a pu faire preuve Besson par le passé. On a l’impression qu’il vise ici, sans trop se mouiller et certainement parce que le film coûte très cher (30 millions d’€), une sorte d’espéranto filmique qui pourra fonctionner à l’internationale. Alors, à coup sûr, pour les étrangers (il suffit de voir comment Spielberg nous représente, nous les Français, dans son Munich, on est en 72 mais il nous plonge dans le Paname canaille d’Edith Piaf !) : ce vieux Paris de cartes postales, via son french cancan, ses tenues et ses moustaches 1900, ne manque pas de séduction. Pour autant, on ne peut s’empêcher de voir dans ce long métrage une espèce de Tour Operator filmique cherchant à nous vendre les mérites de notre capitale (tout y passe ou presque ! Le Musée du Louvre, la place de
On sent que Luc Besson cherche ici à mélanger les genres, à surfer sur une atmosphère poético-scientifique qui parviendrait à nous faire rêver en ratissant large. Mais, de peur de trop perdre son spectateur en route (alors que Tardi aime les histoires à dormir debout), il balise trop le terrain. Trop démonstratif, trop didactique, trop volontariste, on ne peut s’empêcher d’y voir, avec sa voix off et ses explications trop appuyées - cf. le lien charnel entre le ptérodactyle et le savant fou Esperandieu, juste suggéré chez Tardi, est affirmé chez Besson -, un cinéma trop storyboardé, ne s’autorisant pas suffisamment la roue libre et les digressions fantasques du roman-feuilleton ; ce que ne manquait pas de réussir un Podalydès avec son Mystère de la chambre jaune. Voilà le mot mystère est lancé. Besson, à l’aise d’ordinaire dans le noir profond, ne s’autorise pas assez les clairs-obscurs, les zones d’ombre. C’est pourtant là qu’il peut être à son meilleur car, selon moi, ses films les plus aboutis sont ceux qui en disent le moins possible (cf. le tueur taiseux Léon) et ceux qui, ancrés dans le grand bleu abyssal ou le noir mortifère du Mal (Léon), invitent le spectateur à se projeter dedans afin d’y mettre un peu ce qu’il veut. Avec ses Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec, Besson nous dit tout. Du coup, on y perd au change. Le film, trop calé dans le prêt-à-filmer bessonien, perd en mystère ce qu’il gagne en surlignage publicitaire, dommage. Mais, de même que le deuxième Indiana Jones était plus barré et plus noir que le 1ier, il se pourrait bien que le 2ième Adèle Blanc-Sec, à venir semble-t-il, se montre moins formaté que le tout premier - espérons-le. Bref, la suite au prochain épisode, comme l’écrirait Tardi.
Documents joints à cet article
27 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON