• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Aimé Césaire, d’abord le poète !

Aimé Césaire, d’abord le poète !

« Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l'attitude stérile du spectateur, car la vie n'est pas un spectacle, car une mer de douleurs n'est pas un proscenium, car un homme qui crie n'est pas un ours qui danse... » ("Cahier d'un retour au pays natal", 1956).

L'écrivain et homme politique Aimé Césaire est mort il y a quinze ans le 17 avril 2007 à quelques semaines de ses 95 ans (il est né le 26 juin 1913). Nicolas Sarkozy, avant même d'être élu Président de la République, s'était pris de passion, si j'ose l'expression, pour cet adversaire politique redoutable dont il pressentait la grande importance culturelle. À sa mort, il était donc question de transférer ses restes au Panthéon, mais après l'opposition de la famille, ce fut simplement une plaque qui a été apposée en avril 2011 dans ce monument aux gloires de la République.

Sur cette plaque est inscrite quelques vers du poète :
« J'habite une blessure sacrée
J'habite des ancêtres imaginaires
J'habite un vouloir obscur
J'habite un long silence
J'habite une soif irrémédiable »
.

Aimé Césaire a eu le 20 avril 2008 des funérailles nationales à Fort-de-France en présence du Président Nicolas Sarkozy, du Premier Ministre François Fillon et des anciens Premiers Ministre Pierre Mauroy, Laurent Fabius, Lionel Jospin, Dominique de Villepin, etc.

Il est assez sensible d'observer qu'Aimé Césaire a été beaucoup honoré, de son vivant, mais encore plus après sa mort, jusqu'à ce que son nom soit celui d'une promotion de l'ENA (celle de 2020-2021). De nombreux lieux urbains portent son nom, des rues, des établissements scolaires, des centres culturels, et même l'aéroport international de Martinique à Fort-de-France-Le Lamentin (de son vivant, le 15 janvier 2007).

Engagé politiquement, d'abord au parti communiste mais qu'il a vite quitté et resté progressiste, Aimé Césaire a été un multi-élu à la longévité record : député de la Martinique à 32 ans, d'octobre 1945 à mars 1993 (record depuis l'après-guerre), maire de Fort-de-France de 1945 à 2001, président du conseil régional de la Martinique de 1983 à 1986, et conseiller général de Fort-de-France de 1945 à 1970 sauf entre 1949 et 1955. Tant de mandats si longtemps renouvelés est un cas d'école sur le cumul des mandats, même s'il s'acquittait de toutes ses obligations. L'un de ses premiers combats politiques fut la départementalisation de son île, la Martinique (et de la Guadeloupe par la même occasion), essentielle pour faire partie pleinement de la République française.

Normalien, professeur de lycée des écrivains Édouard Glissant et Frantz Fanon, Aimé Césaire est connu pour avoir inventé le concept de négritude, avec Senghor qui était son ami rencontré à Louis-le-Grand puis à l'École Normale Sup., dans les années 1930 (mais qu'ils ont partiellement abandonné après la guerre car c'était une notion beaucoup trop communautariste). Il a voulu d'abord défendre ceux qui, au sein de la République française, étaient de peau noire pour leur donner la dignité et la considération que chaque citoyen doit recevoir.

Je ne rejoins pas Aimé Césaire dans beaucoup d'autres de ses combats politiques ; en revanche, je l'ai toujours respecté pour l'investissement personnel consacré au bien commun, et surtout, j'ai été très séduit, conquis, par son style littéraire, exceptionnel, qui peut surprendre, voire choquer, mais qui est savoureux. C'est comme poète et dramaturge qu'il est le plus grand et dont le talent a élevé la littérature française, la langue française, plus généralement la culture française et la France elle-même.

_yartiCesaireAimeD02

Pour lui rendre hommage, je propose donc ici quelques extraits de ses écrits réveillés et "réveillants" (notez que je n'écris pas wokistes), de son besoin intellectuel de secouer les situations établies et de rester toujours dans une sorte d'honnêteté intellectuelle et d'humilité personnelle. Mais, quoique lucide, la plume restait inévitablement partiale !


« Des mots ? quand nous manions des quartiers de monde, quand nous épousons des continents en délire, quand nous forçons de fumantes portes, des mots, ah oui, des mots ! Mais des mots de sang frais, des mots qui sont des raz-de-marée et des érésipèles et des paludismes et les laves et des feux de brousse, et des flambées de chair, et des flambées de villes... »


« Flics et flicaillons
Verbalisez la grande trahison loufoque, le grand défi mabraque et l'impulsion satanique et l'insolente dérive nostalgique de lunes rousses, de feux verts, de fièvres jaunes...
Parce que nous vous haïssons, vous et votre raison, nous nous réclamons de la démence précoce, de la folie flambante, du cannibalisme tenace.

Comptons :

la folie qui se souvient
la folie qui hurle
la folie qui voit
la folie qui se déchaîne

Assez de ce goût de cadavre fade !

Ni naufrageurs. Ni nettoyeurs de tranchée. Ni hyènes. Ni chacals. Et vous savez le reste :
Que 2 et 2 font 5
Que la forêt miaule
Que l'arbre tire les marrons du feu
Que le ciel se lisse la barbe

Et cetera, et cetera... »


« Va-t-en, lui disais-je, gueule de flic, gueule de vache, va-t-en je déteste les larbins de l'ordre et les hannetons de l'espérance. Va-t-en mauvais gris-gris, punaise de moinillon. »


« Au sortir de l'Europe toute révulsée de cris
les courants silencieux de la désespérance
au sortir le l'Europe qui se reprend et fière
se surestime. »


« Et la négritude, non plus un indice céphalique
ou un plasma, ou un soma, mais mesurée au
compas de la souffrance.

Et le nègre chaque jour plus bas, plus lâche,
plus stérile, moins profond, plus répandu au
dehors, plus séparé de soi-même, plus rusé
avec soi-même, moins immédiat avec
soi-même. »


« Et nous savons maintenant que le soleil tourne
autour de notre terre éclairant la parcelle qu'a
fixée notre volonté seule et que toute étoile
chute de ciel en terre à notre commandement
sans limite. »


« Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir. »



Aussi sur le blog.


Sylvain Rakotoarison (10 avril 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Grand monument lyrique.
Le bal des vautours.

Aimé Césaire.
John Wheeler.
Mgr Jacques Gaillot.
Mgr Albert Decourtray.
Le Petit Prince.
Maurice Bellet.
Stéphane Hessel.
François Cavanna.
Art Spiegelman.
Molière.
Alfred Sauvy.
George Steiner.
Françoise Sagan.
Jean d’Ormesson.
Les 90 ans de Jean d’O.

_yartiCesaireAimeD03
 


Moyenne des avis sur cet article :  1/5   (20 votes)




Réagissez à l'article

3 réactions à cet article    


  • amiaplacidus amiaplacidus 17 avril 2023 08:09

    Voir Rakoto vanter les mérites d’Aimé Césaire, c’est un peu comme voir un curé se pâmer devant l’œuvre de Bakounine.


    • Seth 17 avril 2023 08:52

      @amiaplacidus

      N’est ce pas que ça surprend ? smiley
      Habituellement c’est plutôt la gauche qui le cite...


    • amiaplacidus amiaplacidus 17 avril 2023 12:10

      @Seth

      C’est un fait qu’Aimé Césaire était un homme de conviction, un homme résolument de gauche, après un passage au PCF, il a quitté ce parti en adhérant soutenant des idées socialiste-libertaires (ici, je simplifie terriblement sa pensée).

      Homme véritablement de gauche, chantre de la négritude, fier d’être un nègre, j’imagine qu’il serait navré de voir la soi-disant gauche récupérer le wokisme des bobos made in USA.

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON



Publicité




Palmarès



Publicité