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Alain Resnais, un cinéma de la mémoire

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Alain Resnais, homme discret, voire secret, appartient à la génération de la Nouvelle Vague. Avec deux films aussi marquants que Hiroshima mon amour et L’année dernière à Marienbad, il marquera le cinéma français de son empreinte. La sienne sera considérable. Breton de naissance ( 3 juin 1922 ), il est apparenté à Merlin l’enchanteur et sera, dès sa prime jeunesse, un lecteur éclairé d’une littérature où se côtoient Proust, la bande dessinée, les poètes en général et les classiques en particulier.

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Bachelier en 1939, il s’inscrit au cours de René Simon et fera partie, lors de la création de l’IDHEC en 1943, de la première promotion. Son service militaire en Allemagne terminé, il travaille à Paris 1900 et réalise L’alcool tue avec Remo Forlani, courts métrages où il fait ses gammes et devient un des auteurs les plus originaux du genre. Son Van Gogh tourné en 1948 est immédiatement remarqué comme une oeuvre riche de promesses. Primé à Venise, ce film obtient un Oscar à Hollywood. Gauguin en 1950 sera moins réussi, alors que Guernica, sur un texte de Paul Eluard, est un authentique chef-d’oeuvre et obtient le Prix du film d’Art au Festival de Punta del Este.

Conscient de maîtriser son écriture cinématographique, Resnais met en chantier plusieurs projets dont Moderato Cantabile d’après Duras, Pierrot mon ami d’après Queneau et Les mauvais coups d’après Roger Vailland. Avec Nuit et brouillard, il aspire à toucher un public plus large et recule les limites de ce que l’on croyait réalisable, en s’efforçant de trouver les formes adaptées à la transmission de l’intransmissible : les camps de la mort. Avec Jean Cayrol, le cinéaste a rencontré le partenaire inespéré, car rescapé de Mauthausen et soucieux lui-même " non de fuir, mais de trouver le lieu et la formule ". Nuit et brouillard obtint le prix Vigo 1956 et son audience n’a pas cessé, depuis lors, de se renouveler.

 

Avec Hiroshima mon amour, qui confirme la modernité de son auteur par son lyrisme incantatoire, vient le temps des longs métrages qui permettront à Resnais, déjà très apprécié, de faire une entrée fracassante dans l’histoire du 7e Art. Cela, grâce à une conception personnelle du montage et du récit, où s’opposent et se complètent les moments-clés de deux vies hypothéquées par l’Histoire. Le scénario, signé Marguerite Duras, situe d’emblée le film dans une nouvelle problématique romanesque. Ce recours aux écrivains en quête de voies nouvelles valut au réalisateur la réputation ambiguë de cinéaste littéraire, alors même que ce recours remonte aux origines du cinéma. Nombreux furent les metteurs en scène qui se sont inspirés de textes de grands auteurs et les ont adaptés selon leur propre sensibilité avec plus ou moins de bonheur.

Mais la démarche de Resnais s’effectue en faisant appel à un autre processus qui vise à modifier le statut du texte écrit. Ce qu’on a englobé sous l’appellation " Nouveau roman" s’inscrit dans un engagement partagé par l’écrivain et le cinéaste de recourir à une narration objective. Ce n’est donc pas une simple transposition qui s’effectue entre eux mais une autre forme de lecture qui s’impose selon des lois qui lui sont propres et où s’ajoutent des éléments comme la musique, le son, les timbres de voix, créant un texte polymorphe. Aussi n’est-ce pas un hasard si Resnais apparaît dans l’Histoire du Cinéma comme quelqu’un qui remet en cause le romanesque traditionnel.

L’année dernière à Marienbad en 1961 se fera avec la complicité d’Alain Robbe-Grillet ( scénario et dialogues ) et remportera le Lion d’or à la Biennale de Venise, récompense méritée pour un film que je considère comme l’un des plus beaux du cinéma français. Une histoire simple qui se dérobe, fuit, glisse, échappe et se refuse à l’élucidation critique, où le temps lui-même se soucie très peu du calendrier et où les souvenirs, les rêves, les désirs, viennent à tous moments brouiller les cartes d’un jeu onirique et ouvrir la voie à un ressassement sans fin. Jean-Louis Leutrat écrira à ce propos que l’on retrouve dans ce film labyrinthe " une filiation avec la tradition poétique qui, du Moyen-Age à Julien Gracq, en passant par les romantiques allemands, a su exprimer la magie nocturne et les rencontres somnanbuliques ; la charge érotique des paysages insolites solitaires et fantomatiques ; silencieux et muets comme des après-midi éblouis de soleil ou des minuits ténébreux traversés d’astres froids ".

Muriel ( 1963 ), sur un texte de Jean Cayrol, ne recueillera qu’un piètre succès et sera suivi de La guerre est finie ( 1966 ), avec la collaboration de Jorge Semprun ( scénario et dialogues ) et interprétation d’Yves Montand, alors que Je t’aime, je t’aime ( 1968 ) sortira dans un contexte peu favorable. En effet, la dissection de l’imaginaire, de l’inconscient et des rêves coïncidait mal avec la confusion idéologique d’une période de crise.

   

En 1980, Mon oncle d’Amérique obtient, quant à lui, le Prix spécial du Jury au Festival de Cannes et un succès inespéré auprès du public. Ce film, ainsi que Providence et La vie est un roman sont trois variations sur les rapports entre la théorie et la fantaisie, la réflexion et l’imagination, la comédie et le drame. En 1984, L’amour à mort sera à son tour présenté à Venise et s’articule autour de l’idée que mourir d’amour peut arriver à n’importe qui. "L’Amour jusqu’à la Mort, l’Amour est plus fort que la Mort ou l’Amour est si fort qu’il peut conduire à la Mort" - dira son auteur lors de la présentation à la Biennale de Venise. Ici les références au Dreyer de Ordet ou au Bergman des Communiants sont évidentes ; elles confrontent la vérité de la Parole (ou du Verbe) à celle de la chair, comme pour en mieux signifier le divorce ou le malentendu. Pour Resnais, l’agnostique, la conscience de la mort est la seule voie grâce à laquelle l’homme et la femme peuvent imaginer le bonheur et l’amour.

Mélo, en 1986, est construit selon un schéma assez proche de celui de L’année dernière à Marienbad, mais reste dans le registre du théâtre filmé et n’a nullement l’ampleur du précédent. Néanmoins, le film dépasse de loin le simple exercice de virtuosité et débouche, comme toujours chez Resnais, sur une réflexion intelligente à propos du langage parlé et de l’amour à l’épreuve du mal, qui permet de distinguer entre ce qui relève de l’aventure frivole et du véritable sentiment.

Sabine Azéma et Pierre Arditi. Collection Christophe L.

Parmi les dernières réalisations du cinéaste, On connait la chanson, est une brillante variation sur la chanson populaire, où se mêlent un jeu de références et une comédie sur l’image de soi, alors que Smoking No Smoking met en scène celui des apparences et est adapté d’un cycle théâtral réputé injouable de l’anglais Alan Ayckbourn. Virtuose du montage, paradoxal et inclassable, Resnais a réalisé une filmographie qui frappe par son exigence, son originalité, sa force, sa poésie, son charme lancinant et s’organise autour de deux pôles l’amour et la mort, éminemment attractifs, qui ont pour vocation d’affirmer la prééminence de la vie, des émotions, des rêves et de s’octroyer le pouvoir de recourir au mythe constitutif de notre propre sensibilité culturelle : celui magique et envoûtant d’Orphée.
 

Cliquer sur les titres, pour prendre connaissance de mes critiques des films de Resnais :

L’année dernière à Marienbad Smoking/ No Smoking


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4 réactions à cet article    


  • Fergus fergus 22 décembre 2008 16:50

    Oui à cet hommage mérité à ce grand cinéaste qu’est Alain Resnais. Un seul bémol, la référence positive à son seul film véritablement raté, le lamentable et désastreux "On connaît la chanson". Mais il est vrai que je n’en ai vu que le premier tiers !


    • Armelle Barguillet Hauteloire Armelle Barguillet Hauteloire 22 décembre 2008 17:11

      Je suis d’accord avec vous " On connait la chanson " n’est pas un grand Resnais. Mais, malgré tout, il se dégageait de ce film un charme certain qui le rendait agréable. Resnais se divertissait. Mais nous sommes loin de " L’année dernière à Marienbad", pour moi son très grand chef-d’oeuvre.


      • Armelle Barguillet Hauteloire Armelle Barguillet Hauteloire 22 décembre 2008 19:47

        Je suis du même avis que Paul. On n’a jamais vu un écrivain ou un cinéaste, un peintre ou un musicien ne produirent que des chefs-d’oeuvre. 


        • Fergus fergus 22 décembre 2008 19:55

          Personnellement, j’ai beaucoup apprécié Smoking, No Smoking, mais surtout pour l’exercice de style.

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