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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Antonine Maillet et la Francophonie

Antonine Maillet et la Francophonie

Il faut baisser les yeux pour la voir tellement elle est menue. Et il suffit de les fermer pour sentir sa joie de vivre qui rayonne par delà les frontières. À 80 ans, cette « jeune » femme s’émerveille encore des cadeaux que la vie lui apporte. Reflet de Société vous fait découvrir l’univers d’Antonine Maillet, auteure acadienne qui a mis au monde La Sagouine et dont l’œuvre comprend une cinquantaine de livres, dont une douzaine de pièces de théâtre.

Difficile de ne pas tomber sous le charme de ce petit bout de femme qui a la grandeur d’une institution. L’auteur, dont l’œuvre a parcouru la terre, possède cette richesse de s’ouvrir aux autres en les laissant s’exprimer. Son bonheur de vivre, elle le partage et le nourrit de l’autre.

Ce goût pour la vie viendrait-il de l’écriture ? C’était son rêve, écrire. Un rêve soufflé à ses oreilles par sa petite voix intérieure. Un rêve qui la comble depuis qu’elle a osé s’écouter.

À 40 ans, Antonine Maillet, alors docteure en littérature, enseignait à l’Université de Moncton, au Nouveau-Brunswick. Un emploi qu’elle aimait beaucoup, avec des étudiants qui l’adoraient. Elle a tout abandonné, un salaire sécurisant et une retraite dorée. « J’ai quitté l’enseignement parce que je voulais faire autre chose. Je désirais un travail que j’aime, pas un gagne-pain », raconte-t-elle, 40 ans plus tard, sans aucun sentiment d’amertume, sachant qu’elle a pris la bonne décision. Elle a écouté sa petite voix qui lui murmurait, depuis son enfance, qu’elle serait écrivaine.

Antonine Maillet et la création intuitive

Antonine Maillet écrit comme elle aborde sa vie : en laissant son intuition la guider. L’histoire qu’elle couche sur papier se révèle à elle, petit à petit. Une histoire qu’elle ne comprend qu’une fois son œuvre terminée. Comme son tout dernier né, Le mystérieux voyage de Rien, que l’auteure considère comme son roman le plus important.

« Je ne savais pas comment l’écrire. Tout ce que j’avais, c’est une phrase qui m’est venue du ventre : et vous voudriez que je vous pardonne ? C’est tout. Mais qui parle ? À qui veut-il pardonner ? C’est mon héros, nommé Rien, qui parle. Il a besoin de pardonner la chose la plus grave. Mais c’est quoi, le plus grave qui puisse arriver ? Être tué ? Non. Pour moi, ce serait de ne pas avoir reçu la vie. Ne jamais avoir existé. » C’est l’élément déclencheur. À partir de cette phrase, sortie de nulle part, l’auteure s’est laissée guider par son intérieur pour composer son livre.

Son intuition, son ventre comme elle l’appelle, a pondu une œuvre qui donne vie à une âme venue du ciel. Une âme sans parents, qui doit son existence au crayon de l’auteur. « Mon personnage, c’est lui qui mène. Je le laisse aller », explique-t-elle avec conviction. Antonine Maillet a fait voyager son petit Rien partout sur la terre. Un voyage qu’elle aurait bien aimé faire et qu’elle aura vécu grâce aux aventures dans lesquelles son personnage l’entraîne.

Au travers de son petit Rien, Antonine Maillet livre ses connaissances de la vie. Elle décrit l’âme qui évolue dans un corps et le pousse à agir, à se poser des questions sur la vie, sur tous ces possibles qui attendent une chance pour exister. « Je n’écris pas pour passer des messages. Moi, j’écris pour faire du sens. Parce que je ne connais pas la vérité. Je ne donne pas de morale. Qui sommes-nous pour donner des messages ? » demande-t-elle en soulignant que toute opinion n’est bonne qu’au moment où elle est donnée.

Antonine Maillet rappelle, par exemple, que même le grand philosophe grec Aristote ne voyait rien de mal à l’esclavage. « Alors, quel message peut durer dans le temps ? Dans un siècle, on va peut-être penser que notre façon de vivre était injuste ! »

Antonine Maillet et le sommet de la Francophonie

Depuis qu’elle a osé s’écouter, la vie se charge de lui envoyer de belles récompenses. Comme ce matin d’août 1987 où, bien assise pour se faire couper les cheveux, elle reçoit un appel de la police lui demandant d’être à Québec le lendemain matin. En plein sommet de la Francophonie, le président français de l’époque, François Mitterrand, désirait visiter l’Acadie. Il avait besoin d’un guide. La célèbre auteur, ambassadrice improvisée de sa région, s’occupe de l’homme d’État.

De retour à Québec, elle apprend à la dernière minute qu’elle doit prendre la parole devant 42 chefs d’État. Le Premier ministre du Nouveau-Brunswick, Richard Hatfield, un anglophone, lui demande de s’adresser aux dirigeants venus pour le dîner offert par la province maritime. « Je ne savais pas quoi dire, s’esclaffe-t-elle, 20 ans plus tard. Je cherchais une phrase qui ferait qu’ils m’écouteraient tous.

J’ai dit : “j’ai le droit de vous parler, même sans titre. Parce que je représente la fille aînée de l’Amérique du Nord. L’Acadie a fondé la première colonie européenne, quatre ans avant le Québec. À titre de fille aînée de la francophonie en Amérique du Nord, je vous parle. Les Acadiens ont été brutalement déportés. Ils se sont cachés dans les bois pendant 100 ans. Ils sont revenus malgré cette déportation, ce génocide.” Si ce n’est pas ça, la volonté de préserver une langue, une culture, qu’est-ce que ça peut être ? » Quand Mme Maillet en parle, il est difficile de contenir un intense frisson.

Depuis ses premiers pas d’auteur, Antonine Maillet a reçu une trentaine de distinctions honorifiques. Des cadeaux qui lui font plaisir, mais qu’elle prend avec un grain de sel. « J’apprécie mais ça ne m’impressionne pas, déclare-t-elle tout simplement. Quand j’écris, je n’y pense pas. C’est ça, mon moment le plus heureux, lorsque ce que je vais écrire me vient, quand quelque chose de nouveau m’inspire et que je vais le recréer. J’imagine que c’est la même chose pour un musicien ou un peintre. »

Les livres d’Antonine Maillet

Rebelle, cette « jeune » femme de 80 ans ? C’est plutôt qu’elle fait ce dont elle a envie. Comme dans l’écriture, où l’univers qu’elle a créé avec son petit Rien n’est pas accessible à tous, et elle le sait. « Mes meilleurs livres ne seront pas nécessairement les plus vendus. Petit Rien, le plus difficile, ne sera pas mon meilleur vendeur. Je ne vais certainement pas écrire un polar parce que je ferais plus de ventes. »

La beauté d’Antonine Maillet lui vient de toutes les dimensions qui font partie d’elle et la font rayonner. C’est d’abord une femme, puis une créatrice qui communique fabuleusement par l’écriture et qui a la particularité de sortir du ventre de l’Acadie. Elle en est d’ailleurs devenue l’ambassadrice. C’est une femme qui a osé se jeter dans le vide pour s’écouter, à 40 ans. Difficile de lui rendre justice sans aborder toutes ces couches devenues indissociables de son être. Tel est l’univers de la mère de Rien.

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2 réactions à cet article    


  • Jean d'Hôtaux Jean d’Hôtaux 1er février 2011 11:36


    @ Raymond Viger :

    Merci de nous avoir rappelé l’existence et l’oeuvre d’Antonine Maillet, auteure trop méconnue en Europe.

    Je me souviens avoir lu et beaucoup apprécié « Pélagie la Charrette », roman historique dans lequel Antonine Maillet raconte l’histoire de la déportation des Acadiens au XVIIIème siècle et leur retour sur leurs terres.

    Cordialement !


    • Raymond Viger Raymond Viger 1er février 2011 13:29

      Merci M, d’Hôtaux pour votre commentaire. Content de voir que vous ayez déjà lu un livre d’Antonine Maillet.

      Raymond Viger.

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