Ca y est, j’ai vu le dernier Kassovitz, Babylon A.D. Qu’en dire si ce n’est que c’est médiocre. Voilà bien un cinéaste qui se croit meilleur qu’il n’est.
Revenons sur sa filmographie, le seul qui émerge vraiment, quoique bien putassier à la revoyure (on sent « le gosse de riche » qui vient s’encanailler en banlieue), c’est La Haine (1995). OK, ce film en impose, Prix de la mise en scène à Cannes (enfin décerné par Jeanne Moreau, hein, pas par Coppola ou Scorsese tout de même !) et, je vous l’accorde aisément, on peut effectivement, au vu de son succès et de sa force de pénétration dans les consciences contemporaines, le qualifier d’« œuvre sociétale », « phénomène de société » et autres « film générationnel ». Mais à part ça, au rayon Kassovitz, on n’a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Métisse (1993) son tout premier, est un film tout mignon, bien dans l’air du temps, une sorte de mini-Woody Allen light, son second, Assassin(s), 1997, avec un Serrault qui nous ennuie à force de s’ennuyer, marche 30 mn (c’est le scénario-idée-force typique très bien pour un court) et après, une fois qu’on a compris le topo (le monde est pourri à cause du trop-plein d’images TV décérébrées), on décroche rapidement. Pareil, Les Rivières Pourpres (2000), ça démarre bien, le décor neigeux est bien planté, la musique sinueuse de Bruno Coulais est stylée, mais toute la fin est calamiteuse (le sound design est mauvais, l’avalanche fait carton-pâte et la partie de cache-cache avec les sœurs jumelles est d’un plan-plan). Après ce « passeport » pour les States qui ne casse pas trois pattes à un canard, Kassovitz nous a fait, avec Gothika (2003), un film de gros studio américain (Columbia) et, surtout, un film fantastique hollywoodien impersonnel, voire insipide, malgré la présence d’acteurs au capital sympathie fort comme Halle Berry ou Robert Downey Jr. Au bout d’un moment, force est de constater que Kassovite, euh... pardon, vitz, semble bel et bien avoir égaré les bonnes idées de son scénario initial au fond de la piscine-tapisserie d’un film prêt-à-filmer, façon Just do it à la Nike & Sony, lorgnant du côté des effets de miroir de Robert Zemeckis et des mises en abyme du nouveau cinéma d’épouvante asiatique.
Bref, nous arrive enfin, après 5 ans d’attente (bon, calmons-nous, on l’attendait pas non plus comme un Kubrick ou un Malick !), le nouveau film de Kassovitz, Babylon A.D. (Fr., E-U., 2008, 1h41), adapté d’un roman de SF bien touffu de l’écrivain mystico-punk-réac Maurice G. Dantec (Babylon Babies), soi-disant inadaptable. On allait voir ce qu’on allait voir : notre Frenchie superstar réalisait enfin son rêve américain et allait faire encore mieux que Besson outre-Atlantique, il allait nous pondre un fucking masterpiece hyper-burné, sur fond de « film de guérilla ». Pourquoi pas. L’autre rengaine qui accompagne souvent la sortie d’un film et les propos labellisés Kasso & Co est qu’on en a marre des films d’auteurs nombrilistes qui gangrènent depuis des lustres le cinéma hexagonal et qu’il faut enfin laisser la place à un cinéma d’auteurs nourris d’une culture d’images, qui se confrontent aux puissances de l’imaginaire et qui se sont volontairement affranchis de la seule culture du verbe – souvent, ce sont les films de la Nouvelle Vague et ceux qui en sont les possibles héritiers, façon Christian Vincent et Desplechin, qui sont ainsi visés. Pourquoi pas. Mais, selon moi, force est de reconnaître qu’en France, depuis les années 1990-2000 (et peut-être même avant*), ces deux cinémas-là sont désormais possibles et que tout dépend en fait de l’objet en question : par exemple, on peut tout aussi bien saluer la réussite formelle d’un film-BD postmoderne comme Léon (1994) que prendre un immense plaisir à écouter les fulgurances « littéraires » d’un Conte d’été (1996). On le sait, ce qu’il faut éviter, pour ceux qui lorgnent du côté de l’imagerie US, c’est de faire une pâle copie, un ersatz en dessous de l’original, un film de seconde main et, à la réflexion, il faut aussi savoir rester soi-même, parler de ce que l’on connaît, vit, et avoir peut-être en tête cette maxime de Dalí : « Il faut rendre tout ce qui est ultralocal universel. » Ainsi, dans un film de France et de Navarre, que l’on déambule dans un port de Figueras, une chambre de bonne ou une cité futuriste, il faut qu’on soit, avant tout, entre les mains d’un cinéaste qui porte un regard personnel sur le monde et qui sache tracer son sillon - qu’il évolue dans l’entertainment, dans le cinéma indépendant ou entre les deux.
Bon, Babylon A.D., que dire de ce film quand le cinéaste himself semble vouloir désamorcer la charge critique en le dézinguant ? On savait déjà que Kassovitz s’était frité sur le plateau avec son acteur-bovidé Vin Diesel et, comme pour en rajouter une couche, lors d’un entretien avec la chaîne câblée américaine AMCTV, il s’est ouvertement lâché : « Je suis très malheureux au sujet du film. Je n’ai jamais eu l’occasion de tourner une scène selon mes désirs. Le scénario n’a pas été respecté. De mauvais producteurs, de mauvais partenaires, ce fut une expérience déplorable », puis, selon lui, la Fox aurait décidé de ruiner intégralement son projet : « Ce n’est que pure violence et stupidité. Le film est censé nous apprendre que l’éducation de nos enfants dessinera le futur de notre planète. Toutes les scènes d’action avaient un but : elles devaient exprimer un point de vue métaphysique ou décrire une expérience de la part des personnages... Au lieu de ça, des pans du long métrage ressemblent à un mauvais épisode de 24 heures chrono. J’aurais dû choisir un studio qui a des tripes. » Soyons francs, même un mauvais épisode de 24 heures chrono, c’est encore mieux ! Et tout de même, ici, l’attitude de Kassovitz, ça fait gosse pourri gâté cassant ses jouets dans sa chambre dorée. En outre, dans l’Histoire du cinéma, il y a toujours eu de grands cinéastes pour savoir évoluer au sein des majors américaines, à commencer par des Kubrick et des Eastwood avec la Warner. De plus, dernièrement, la Fox n’a pas sorti que des nanars, on a pu voir un Juno assez enlevé et un A bord du Darjeeling Limited relève d’un univers poétique personnel, on avait bien un cinéaste à bord (Wes Anderson). Babylon A.D., plus proche du D que du A, ce n’est même pas un film raté ou nul (par exemple un film comme Steak est tellement nul – mise à plat voulue de tout – qu’il confine au génie !), c’est un film médiocre, rien de plus. On peut parler de bouillabaisse filmique (les scènes d’action sont brouillonnes) sur fond de discours bio-écolo-millénariste à deux balles et on n’y décèle aucunement, au détour d’un plan, l’ombre d’un grand, la patte d’un cinéaste singulier.
Mais où est passé le scénario ? C’est une suite de cascades et de fusillades avec d’énormes moyens et beaucoup de bruit pour rien. L’histoire de ce thriller apocalyptique ? C’est celle, passe-partout, d’un mercenaire carburant au diesel, charger de convoyer une mystérieuse jeune femme providentielle (Mélanie Thierry/Aurora comme… aurore boréale !) de la Russie tchétchénisée à New York dans un monde ravagé par les guerres, les trafics de corps humains sur le Net et la corruption tous azimuts. On croise un peu de tout là-dedans : une morale désenchantée style jusque ici tout va bien, à savoir que tout va mal et que ça va finir par péter un de ces quatre : notre tatoué Toorop/Diesel, mercenaire-légionnaire qui n’a que deux ou trois expressions au compteur - pas content/content(il rit)/amoureux(yeux de bovin transi d’amour pour sa Belle bichette) - déclame des sentences pontifiantes à en faire péter la gaine de mamie ! : « Si Dieu a fait l’homme à son image, alors c’est un sacré connard. » On croise aussi une Charlotte Rampling transparente affreusement grimée, un Lambert Wilson high-tech pas du tout crédible (et, après Dante 01, une panouille de plus pour lui, trop fort !), un Gérard Depardieu bizarrement botoxisé, voire bilalisé !, des effets spéciaux hideux - à croire que le calamiteux Pitof (Catwoman) est passé par là ! - et un mix improbable, genre Tour de Babel qui s’effondre à force de vouloir monter trop haut (plus dure sera la chute… d’Icare), de films et de références multiples mais cette mayonnaise métissée ne prend jamais : quantité n’est pas qualité. La greffe asiat’, via Michelle Yeoh, tombe à l’eau de ce sous-marin filmique fuyant par les bords, celle-ci en est réduite à faire du tourisme trash en Europe de l’Est. On a aussi des espèces de Yamakasi évoluant dans un Dôme du Tonnerre à la Mad Max 3 et, le meilleur est pour la fin, on croise dans un New York à la Blade Runner mâtiné de 5ième Element des Daft Punk motards couplés à des Men in Black de chez Matrix ! Bref, on a la totale pour que dalle. Babylon A.D. est un film prétentieux et boursouflé, il n’est même pas sûr qu’un Director’s Cut (à venir ?) puisse sauver ce pudding filmique indigeste. Au fait, on dit Kassovitz ou Kassovide ?
* Contrairement à l’idée reçue, il existe de bons films français de SF. Bien sûr, récemment, avec des Dante 01, Chrysalis et Eden Log, ça donne envie de penser que cinéma français et science-fiction font deux, cependant on peut tout de même mentionner des films comme Immortel (2004) de Bilal, Le Dernier combat (1983) de Besson, l’ambitieux, mais en partie raté, Fahrenheit 451 (1966) de Truffaut ou encore l’excellent Alphaville (1965) de Godard.