Bal ministériel
Je dédie ce récit à notre ami Aimé, français d'origine centrafricaine qui nous a quitté beaucoup trop tôt, en janvier dernier. A sa compagne Martine et à ses enfants. A toute sa famille et ses amis.
Les faits REELS que je vais vous présenter se sont déroulés à Bangui au début des années quatre-vingts. C'est une histoire de FRATERNITE, ce qui vous divertira un peu, en ces périodes troubles, des invectives et des noms d'oiseaux...
« José pianote rageusement sur le volant de la 504, symptôme de nervosité étonnant pour ce trentenaire habituellement calme et maître de lui.
Le ciel a viré en quelques instants du gris foncé à l’anthracite. Il semble impossible que la lumière résiduelle vienne de là-haut ! Elle ne peut qu’émaner des objets et des plantes qui l’entourent, comme elle provient des jouets en plastique phosphorescents posés près de lit de sa petite Maria. Pour la rassurer !
Pour lui rien d'apaisant, la sombre ambiance de cette fin de journée le fascine et l'angoisse.
Comme souvent, le soir, à Bangui, en saison des pluies.
Les éclairs encore lointains et silencieux embrasent de colossales masses nuageuses. Il se prépare là-haut un « son et lumières » wagnérien.
Pour le moment, pas une feuille ne bouge mais, dès que l’air frémira, il ne faudra pas compter jusque trente avant que des trombes d’eau se déversent sur le décor.
« Sarah, qu’est-ce que tu fous ? »
Le moteur démarre au quart de tour. Au moins un qui ne le contrarie pas… Il laisse tourner au ralenti, puis rageusement, donne un grand coup d’accélérateur. Effet néant. Sauf que si, tiens, une grosse goutte d’eau s’écrase sur son pare brise, puis deux puis trois, puis….à seaux, comme le plus fréquemment, vers dix-huit heures, à ce moment de l’année !
« Merde, Sarah ! »
Cette fois, ça y est. Lorsqu’on dit chez nous : « il pleut à seaux » on n'a pas la moindre idée de ce dont il retourne. Il faut se perdre entre Tropique et Equateur pour comprendre…
Une muraille de flotte ! Elle sera chouette Sarah, quand elle grimpera dans la voiture. En imaginant ses derniers préparatifs, José hésite entre colère noire et fou rire. Si ça se trouve, en ce moment, elle peaufine un dernier trait de khôl de l’épaisseur d‘un cheveu !
Ils sont déjà en retard de dix minutes et n’ont pas encore quitté leur domicile.
Bon, tornade ou pas, maintenant, il faut y aller….
José écrase furieusement le klaxon. Cinq longues secondes. Suivies de trois petits coups de rappel. Il faut bien ça pour percer le tintamarre provoqué par le déluge sur les tôles du toit.
Il ne lui reste plus qu’à attendre. Aller la chercher reviendrait à tremper complètement son beau costume de cérémonie, il lui faudrait donc se changer et…impensable ! Ils doivent partir, maintenant !
Enfin, la voilà !
Magnifique dans sa seule robe de soirée noire à volants, la tenue parfaite pour une gitane de son âge et de sa…condition ! Elle tend un imperméable au dessus d’elle et s’élance vers la voiture, pieds nus dans la boue.
Pieds nus !
Il lui ouvre la portière. Le temps d’abaisser l’imper pour s’asseoir et ses longs cheveux, qu’elle a passé des heures à peigner, gonfler, et onduler, se retrouvent tristement plaqués en mèches informes de chaque côté de son visage. Ce qui ne l’empêche pas de le gratifier de son sourire le plus engageant.
-Je suis désolée José. J’ai fait au mieux.
Désolée…désolée…il l’est, lui aussi, c'est sûr !
-Ecoute Sarah, nous ne pouvons pas arrêter la pluie, ni revenir en arrière. C’est « dans la seringue » maintenant, alors… à nous monsieur le Ministre !
Son rire léger sonne faux. Le cœur n’y est pas.
Ils se referment comme des huîtres sur leurs macérations délétères.
Tout en évitant au mieux les énormes flaques et les ruisseaux qui se sont formés en travers l’avenue des Martyrs, il ressasse pour la énième fois ce fichu entretien avec son Ministre de tutelle, chargé des Affaires Sociales, Son Excellence Marcel N’Ganga. Qu’il respecte et envers qui il éprouve reconnaissance et même sincère affection. Et qui semblait l’apprécier…Que s’est il passé ?
José ne s’est jamais considéré comme un individu exceptionnel, ni savant, ni héros, ni révolutionnaire engagé. Un jeune homme banal, d’intelligence commune, plutôt maigrichon, assez velléitaire, peu porté à perdre son temps avec ce qui ne l’intéressait pas.
Et assez chanceux.
Issu d'une famille ouvrière dans la région lyonnaise, évidemment sans moyens ni relations, il s’était tourné vers les seules études qui lui plaisaient, « psycho » et « socio ». Sous l’avalanche de sarcasmes de ses familiers qui lui prédisaient une belle carrière de pousseur de caddys dans les super marchés.
Un an avant de terminer ses études, il rencontre Sarah. Coup de foudre. Elle est belle, intelligente, relativement instruite et son immense sourire éclaire toutes ses rencontres. Mais elle fait partie de ce que nous nommons la « communauté des gens du voyage ».
Ce ne sera pas simple, bien sûr ! Ni d’un côté, ni de l’autre. Mais avec beaucoup de patience, d’habileté et quelques cadeaux judicieusement glissés, ils sont parvenus à leurs fins et se sont mariés devant monsieur le Maire et chez monsieur le Curé.
Maria, leur adorable ange brun, est née dans les délais, quelques mois avant que José termine ses études et se mette en quête d'emploi.
Les ricaneurs imaginaient que le destin lui tendrait à ce moment là une chausse-trappe dont il a le secret.
Erreur sur toute la ligne !
Première demande de poste au ministère de la Coopération et bingo ! Il sera, dans huit mois, le Conseiller de Monsieur le Ministre des Affaires Sociales de la République Centrafricaine. Monsieur le Conseiller du Ministre, lui !
Avec le salaire idoine…
Les oiseaux de mauvais augure filèrent se terrer au fond de leurs repaires.
Mais le destin, le destin…
Lorsqu’il s’est longtemps fait oublier, il faut redoubler de vigilance.
Sarah, elle, possédait ce savoir au plus profond des gènes. Ses sourires généreux dissimulaient aux regards superficiels l’angoisse latente de celle qui côtoie depuis sa naissance les arcanes de l’âme humaine et les présages inquiétants.
Lui ne discerna aucun signe, ne fut mis en alerte par la moindre prémonition lorsque la foudre s’abattit sur eux.
A Avignon.
-Avec ce temps, si nous n’y étions pas allés, il ne nous en aurait pas voulu ton ministre !
-Sarah, tu ne le connais pas, tu ne l’as même jamais rencontré ! Ce temps, c’est celui de la plupart des soirées à Bangui en saison des pluies, il est au courant, tu sais ! Et puis il a mauvais caractère et, ça, je viens de le découvrir moi aussi. Que veux tu que j’y fasse ? C’est lui le patron !
Sarah retourne à sa morosité silencieuse et lui à son dernier entretien avec son excellence Marcel N'Ganga.
C’est vrai qu’il l’avait cueilli.
Tout allait plutôt bien entre eux, jusqu’à cette invitation.
« Marcel », comme il l’appelait en son for intérieur était le supérieur idéal.
Relativement jeune, autour de la quarantaine, ouvert, chaleureux, compétent, pas du tout accroché aux oripeaux ostensibles du pouvoir, il était passionné par son « job » et s’efforçait de créer des structures d’accueil pour ses compatriotes en difficulté, orphelins, délinquants, enfants abandonnés, infirmes, sidéens, séropositifs, veuves sans ressources, vieillards grabataires…La liste était interminable, les besoins insondables, les ressources ridicules, et les résultats ne pourraient jamais lui procurer ne serait-ce que l’espoir d’un sentiment de réussite, mais il se donnait de tout son cœur et appréciait beaucoup l’assistance aussi discrète qu’efficace, la compétence technique et l’humeur égale de son conseiller français.
D’ailleurs il était le seul membre de son cabinet qu’il appelait par son prénom.
-José, tu pourrais passer me voir ?
-Tout de suite, monsieur le Ministre.
Il referma derrière lui la porte du ministériel bureau et s’assit sans salamalecs en face de « Marcel ».
-Je suis à votre disposition.
-Tu m’en vois ravi par ce que je vais légèrement faire exploser tes horaires de travail de fonctionnaire gaulois.
-Est-ce que, jusqu’ici, je vous ai compté mon temps ?
Le ministre partit d’un grand rire.
-Pas du tout, pas du tout, mais il ne s’agit plus de rendre visite, sur les coups de deux heures du matin, à un centre d’accueil pour prostituées mineures mais de participer à l’évènement annuel de notre ministère, le « Bal des Associations ». Tu n’étais pas encore arrivé l’an dernier à cette époque, c’est donc nouveau pour toi.
Ce bal est peut-être le plus grand évènement mondain de notre pays. Le but est d’honorer les associations de bénévoles et les ONG qui nous soutiennent tant, tu le sais bien, et, pour ce faire, nous requerrons la présence du gouvernement en entier, du Premier Ministre au dernier Sous-secrétaire d’état.
Personne ne s’est jamais dérobé, chacun met un point d’honneur à se présenter dans son plus beau costume accompagné de son épouse vêtue de la plus élégante façon. C’est notre manière de rendre hommage à ceux qui nous aident.
-Je vois ça. Mais qu’attendez vous de moi ? Que je vous trouve un orchestre, un traiteur ?
« Marcel » lui jeta un regard amusé.
-Non, non, qu’est ce que tu crois ? Nous n’avons besoin de personne pour organiser un évènement que nous avons mis en place il y a des années. Chacun sait ce qu’il doit faire. Toi, je te demande tout simplement d’être là samedi, à vingt et une heures, dans la salle des fêtes du ministère. Sapé comme un lord.
José acquiesça d’un sourire et s’apprêtait à prendre congé, mais, d’un geste de la main, « Marcel » lui imposa de rester sur son siège.
-Et ce sera enfin l’occasion de faire la connaissance de ton épouse, la mystérieuse Sarah dont tu ne cesses de parler mais que personne, ici du moins, n’a jamais rencontré !
C’était comme si le ciel lui tombait sur la tête… José ne put dissimuler son désarroi.
-Non ! C’est impossible ! Elle ne viendra jamais !...
Ces mots lâchés d’une voix trop haut perchée restèrent en suspens sous le regard stupéfait de Monsieur le Ministre.
-Excusez moi. Je me suis laissé aller. Je vous dois des explications.
-Pour le moins ! Encore que je ne voie pas ce qui peut justifier…Madame serait-elle allergique aux nègres ?
José vacilla sous la gifle.
-Monsieur le Ministre non ! Moi, au moins, vous me connaissez ! Comment aurai-je pu épouser…Je vous demande quelques instants pour vous raconter quelques évènements graves qui ont fait basculer de mon existence. Ils vous aideront peut-être à comprendre mon attitude.
« Marcel » ne semblait pas calmé pour un rond. Il le regardait, glacial et distant, comme un policier observerait un chauffard ivrogne qui viendrait de terminer son gymkhana éthylique dans le mur du commissariat.
Après de longues secondes de silence, d’un geste de la main, il l’autorisa à poursuivre.
José entreprit de lui raconter son existence, le plus clairement et le plus justement possible, sans omissions ni trémolos.
Il en vint à Avignon.
-Maria avait huit mois, elle commençait à faire quelques pas. Nous ne connaissions pas notre bonheur, et la fragilité de ce bonheur. Nous étions allés en Avignon rendre visite à une tante que Sarah adorait .Elle vivait dans une caravane, bien sûr, en banlieue, au milieu des siens. Nous voulions lui présenter la petite Maria et demander sa bénédiction avant de partir pour l’Afrique.
Tout s’est très bien passé.
Pourquoi être allés au centre ville avant de reprendre la route pourquoi !…
José ne voulait pas de commisération, surtout pas ! Les yeux baissés, il attendit que les sanglots refluent dans sa gorge avant de continuer.
-…Deux secondes. Il a suffi de deux secondes. Maria donnait des signes d’impatience dans sa poussette. Sarah l’a descendue et je l’ai prise par la main pour aller jusqu’à un marchand de journaux, à quelques mètres de là. Je lui ai lâché la main pour choisir une carte postale sur un présentoir. Deux secondes ! Et cet horrible coup de frein, le bruit mou de l’acier sur le petit corps … !
Elle avait fait un tout petit écart en bas du trottoir, l’automobiliste ne l’a vue qu’au dernier moment. J’étais, de toutes façons, l’unique coupable.
Maria était inconsciente et un mince filet de sang coulait de son oreille. Lorsque nous avons appelé les pompiers, nous savions que son état était très grave.
Inutile de vous décrire les cris, les pleurs, les déchirements dans notre couple, le désespoir glaçant, le grand trou noir…Vous imaginerez sans peine…
Il leva les yeux. « Marcel » l’écoutait attentivement sans manifester le moindre sentiment. D’un geste du menton, il lui signifia de continuer.
-Maria était à l’hôpital, dans le coma. Un coma profond. Le diagnostic vital s’étalait de deux jours à un mois.
J’étais anéanti de douleur et de culpabilité. Quand Maria m’informa que nous habiterions dans la roulotte de sa tante pour rester à Avignon, je n’élevai aucune objection. Et pas davantage quand elle me fit savoir que notre première nuit là-bas serait consacrée à la prière. Je me dis agnostique, mais, à ce moment là, je me sentais incapable de discuter quoi que ce soit.
J’étais tellement sonné qu’il me reste très peu de souvenirs de cette nuit, je m’endormais fréquemment au milieu des prières, des chants, que Sarah et sa tante initiaient et que reprenait l’ensemble de la communauté gitane. Les pas de danse esquissés, la fièvre des guitares, le feu de bois et l’alcool abondant donnaient à cette cérémonie une tonalité certainement plus proche de ce qui se passe ici que d’une prière à Lourdes !
Lorsque je me réveillai, le soleil était déjà haut. Sarah et sa tante se tenaient droites près de mon lit, graves et attentives. Elles attendaient mon réveil. Sarah m’expliqua qu’une décision avait été prise, suite à cette nuit de prières. Il avait été convenu que Sarah devait descendre aux Saintes Marie de la Mer, le lieu de pèlerinage des gitans. Elle s’y rendrait PIEDS NUS et se présenterait là-bas devant la statue de sa « patronne », Sainte Sarah, Sarah la Kali, Sarah la Noire. Elle devait prier une journée entière et faire le serment que, si Maria guérissait, en signe de reconnaissance, elle marcherait pieds nus durant une année complète.
Il s’agissait là d’une information, elle ne me demandait pas mon avis. D’ailleurs, comme je n’étais pas de la communauté, on me mettait complètement hors-jeu, je ne pouvais même pas l’accompagner.
Je vous épargne les détails de la suite, le départ solitaire de mon épouse sur une route secondaire poussiéreuse, l’attente quasi prostrée à l’hôpital, auprès de ma petite Maria. Je recevais quelques nouvelles succinctes du pèlerinage par la tante.
Mais…j’en viens sans traîner à l’essentiel et au plus invraisemblable.
Après le pélerinage et les prières, Maria reprit conscience, le lendemain elle s’alimentait et trois jours plus tard elle sortait de l’hôpital, sans la moindre séquelle, laissant l’équipe médicale totalement éberluée.
Sarah revint, à pieds et sans chaussures, les festivités qui suivirent furent à la hauteur de la douleur vécue.
In croyable, miraculeux j'ai du mal à en parler ! et…j'ose à peine vous demander ce que vous en pensez….
Un léger sourire échappa à Monsieur le Ministre.
-Vous oubliez à qui vous parlez, on en voit d’autres par ici ! Mais je suis content pour vous.
Votre bonheur est retrouvé, et, en plus, vous avez vaincu le destin et ressoudé la famille. Je ne vois pas très bien où se situe votre problème ?
-Le vœu monsieur le Ministre, le vœu ! Elle en a encore pour plusieurs mois sans enfiler de chaussures et elle ne dérogera jamais !
-Et elle a parfaitement raison. Elle viendra donc à notre bal pieds nus, personne ne lui en voudra
-Vous ne la connaissez pas. Si ce n’était que les mondanités…Elle refuse toute sortie depuis que nous sommes arrivés à Bangui. Son existence se limite à notre « concession ». Coquetterie féminine ? Appréhension d’avoir à expliquer, à justifier, à convaincre ? Probablement les deux.
Alors, un bal ministériel, voyez vous, c’est impensable, elle n’acceptera jamais.
Vous l’avez dit vous-même : « les épouses vêtues de la plus élégante façon ». Ce n’est pas la peine de l'expliquer à ma Sarah. Elle est assez intuitive pour le ressentir et…elle ne viendra pas !
José leva un regard implorant vers le ministre. Et fut très déçu. Non seulement "Marcel" ne fléchissait pas, mais on pouvait lire la montée de la colère dans son regard et le pli de sa bouche.
-Elle viendra ! Parce que c'est son devoir. Personne ne s'est jamais soustrait au devoir d'honorer ceux qui nous aident. Et c'est votre devoir, votre devoir de coopérant d'agir conformément aux désirs de votre autorité de tutelle. Et je n'admettrai aucun manquement.
La colère faisait trembler sa voix, José était anéanti, il ne pouvait rien ajouter.
-Très bien monsieur le Ministre. Je vais parler à Sarah… Je serai au bal samedi…
-Elle aussi. Et croyez moi, elle ne le regrettera pas.
Ces derniers mots furent glissés gentiment mais José était trop catastrophé pour le remarquer. Il quitta penaud le bureau de "Marcel".
Il ne l'avait pas revu depuis.
Il rentra chez lui quasiment en pilotage automatique et la dispute qui éclata avec Sarah lorsqu'il lui fit part des ordres ministériels restera, dans leur épopée familiale, comme une crise majeure tant dans la violence des propos échangés que dans l'agressivité des bretteurs et les niveaux sonores atteints.
Ils passèrent près, vraiment très près, du divorce.
José mit un terme au conflit en la convainquant qu'elle devrait préparer ses bagages. Il présenterait sa démission le lendemain même, seule issue logique pour sortir de cette crise la tête haute.
Ce n'est pas que cette perspective déplaise à Sarah, la France et, surtout, les roulottes de ses proches, lui manquaient cruellement. Mais la petite Maria, après une adaptation difficile, semblait tellement heureuse dans la chaleur et la lumière d'Afrique ! De plus, elle vouait une véritable adoration à sa "nounou", Joséphine. La contraindre à une nouvelle rupture…Sarah ne pouvait s'y résoudre et elle rendit les armes.
Elle était donc là, dans la 504, à ses côtés, en robe du soir et sans chaussures.
Mais José ne se sentait pas triomphant pour autant. Il était, au contraire, tenaillé par l'appréhension. Les étincelles couvaient après le feu de brousse qui avait failli ravager son couple et tout pouvait repartir avec une violence démultipliée Comment cela allait-il se passer ? Un mot de travers, un regard ironique et Sarah "disjoncterait" comme ils disent, aujourd'hui.
La pluie se calmait, ça ne durait jamais très longtemps, les essuie-glaces n'étaient plus débordés. Ils pénétrèrent au ralenti dans le parking de la salle des fêtes et se glissèrent entre deux "Mercedes" de fonction dont les chauffeurs, en livrée, étaient restés au volant.
Sarah souriait en descendant de voiture et ce sourire ne lui disait rien de bon.
Ils montèrent, le plus lentement possible, les quelques marches du perron et se présentèrent devant la porte d'entrée en verre.
En son for intérieur, José espérait toujours un passage d'une discrétion quasi subliminale…
Pour être raté, ce fut raté.
La salle des fêtes, décorée avec goût, étincelait sous les spots lumineux multicolores. L'assistance, élégante et distinguée, donnait l'impression d'une chaleureuse bande d'amis intimes qui ne se seraient pas rencontrés depuis longtemps. Tout pour terroriser les nouveaux arrivants. D'autant que, de l'autre côté de la grande porte vitrée, "Marcel" devisait avec monsieur le Premier Ministre.
Evidemment, il les vit.
Evidemment il leur ouvrit la porte et les fit entrer, blêmes d'appréhension.
Ensuite, plus rien ne fut évident.
"Marcel" tapa vigoureusement dans ses mains et, quand le silence fut obtenu, lança de sa voix la plus puissante.
-Je vous présente mon conseiller, José Bueno, accompagné de Sarah, son épouse !
Ce qui provoqua une manœuvre étonnante.
Les hommes présents, y compris "Marcel" et le Premier Ministre, s'éloignèrent de quelques pas, comme si on venait de leur annoncer qu'ils étaient porteurs d'une méchante maladie contagieuse.
Mais, aussitôt, toutes les femmes, sans exception, s'approchèrent d'eux, les yeux rivés sur Sarah.
Paniqué, José se tourna vers son épouse. Qui souriait toujours, toute trace d'ironie évanouie, manifestement bouleversée. Mais pourquoi baissait-elle les yeux, ce n'était pas dans ses habitudes…
José suivit son regard.
Ces femmes d'importance en majesté, vêtues somptueusement, parées de leurs plus précieux bijoux, étaient toutes PIEDS NUS. »
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