« Batman 3 » : si bath que ça ?
Batman, le Chevalier Noir protecteur de Gotham City, est de retour au cinéma grâce à M. Wayne et à Christopher Nolan. Cette fois-ci, il est au plus mal : en fuite, traqué comme un animal blessé, notre légendaire homme chauve-souris doit faire face à une femme fatale redoutable et cleptomane (Catwoman) et à un ennemi féroce d’un genre nouveau : le terroriste masqué Bane. A coup sûr, ça va cogner !
Il serait faux de dire que Batman 3, The Dark Knigt Rises, est un mauvais film. Il est même plutôt prenant, du 3 sur 5 pour moi. On ne s’y ennuie pas. Avec notamment ses gadgets technologiques à profusion, il comporte des passages vraiment séduisants. Les séquences humides ou enneigées offrent une belle poésie visuelle, et le plan crépusculaire du masque de Batman au sol est une jolie métonymie pour dire la déroute du vengeur masqué, en guerre permanente contre le crime. De toute évidence, certains moments du film valent largement le détour, que l’on pense par exemple à la séquence désormais fameuse du terrain de foot bourré d’explosifs qui s’effondre sur lui-même ou encore à la belle trouvaille numérique de la moto de Batman à larges roues (
Autant le film de Christopher Nolan est habile pour mélanger des sources diverses [tragédie grecque et allusions politiques (société ultra-violente, trauma post-11 septembre, prison d’Abou Ghraib, menace nucléaire, rapports de classe, capitalisme sauvage, mainmise de la finance sur l’humain)], autant il n’y va pas avec le dos de la cuillère pour développer son récit et parvenir à ses fins (servir sa démonstration que… Tout va s’embraser). Pontifiant à souhait, grandiloquent, fier de lui jusqu'à la prétention et à la pompe, Batman 3 n'est pas mauvais, loin de là, mais il a une fâcheuse tendance à se regarder un peu trop le nombril. OK, et c’est tout à fait louable, il tire le film de super-héros vers l’âge adulte, ça c’est chouette, pour autant, question « puissance de feu » (pour reprendre l’une des expressions du film), Nolan semble manquer de jus, comme s’il ignorait qu’il venait chasser tambour battant sur les terres précédemment labourées, et avec talent, par James Cameron, Ridley Scott, Tim Burton et Steven Spielberg. L’Anglais Christopher Nolan n'est pas un mauvais cinéaste, loin de moi cette idée, mais il est, au risque je vous l’accorde de faire un tant soit peu la fine bouche ici, particulièrement moyen en ce qui concerne sa maîtrise de l’écriture cinématographique. Au fond, c’est un peu ça son problème.
Là où Nolan s'en sort le mieux c'est dans l'exploitation de sa marque de fabrique, ou diront ses détracteurs de son fonds de commerce, à savoir miser sur la noirceur du monde actuel et l'angoisse existentielle de ses personnages, en l'occurrence ici Batman. Que l’on pense à Memento, Insomnia (à mes yeux son meilleur film) ou Inception, Nolan est toujours habile pour développer une vision apocalyptique et paranoïaque du temps présent et pour dépeindre le désordre mental de ses « héros ». Mais Christian Bale, si bon soit-il dans son rôle d’homme chauve-souris (quoi qu’il en fasse un peu beaucoup avec sa voix d’outre-tombe !), n'est pas Heath Ledger : il ne livre pas ici une composition hallucinante. Il faut dire que The Dark Knight bénéficiait d'un atout majeur : le côté jusqu'au-boutiste d'un acteur suicidaire, attiré par les puissances de l'ombre. Le joker de Batman 2 c’était justement son Joker. En quelque sorte, le Joker du film jouissait alors d'une plus-value relevant du « méta-cinéma » : le suicide de l'acteur, insomniaque et gavé de médocs, dans le réel. Avec The Dark Knight Rises, on a aussi, entre guillemets, du méta-cinéma : en juillet dernier la fusillade abominable [12 morts, 40 blessés] dans un cinéma de Denver, Colorado, lors d’une avant-première du film Batman 3. Ainsi, celui-ci, pendant le visionnage, prend une teinte dantesque. Pour autant, c'est un fait divers qui échappe au film. Alors que le Joker suicidaire était comme une suite logique a l'équipée terroriste de l'homme au sourire figé, on se souvient encore de ses envolées lyriques bien sombres : « Certains hommes sont sans but logique, comme l’argent. On ne peut les acheter, les intimider, les raisonner où les amener à négocier. Certains hommes veulent juste voir le monde brûler. (…) On vit dans un drôle de monde. A ce propos, tu veux savoir comment j’ai eu ces cicatrices ? » ; cette fente rouge sang sur le visage était déjà un appel à la faille, au déséquilibre, au meurtre. Devant The Dark Knight Rises, on se dit juste que, pour les plus faibles d'esprit, la bande-son tonitruante et l'appel du gouffre face à la noirceur réaliste post-capitaliste contemporaine (Gotham City = New York post-11 septembre) peuvent leur taper sur le ciboulot, hélas ; cf. le cinglé James Holmes, le « Joker du Colorado » (photo n°2). Pour les cinéphiles patentés, on y verra surtout un film assez balourd, bien calé entre la balourdise formelle (Hans Zimmer et ses sons super-graves) et la roublardise antisystème - je critique le système (le Mal est la finance, les riches, des puissants égoïstes) mais au passage je suis un blockbuster de major hollywoodienne (Warner) qui fait marcher au centuple la planche à billets verts !
Pas très bien monté, par moments mou du genou, ce film-somme, qui ponctue la trilogie, n'a jamais la grâce ni l'envolée formaliste foutraque des deux Batman signés Burton. A maints niveaux, Nolan perd des points. Question invention formelle et allusion sexy, il est en dessous de Tim Burton. Question pétarade, il est en dessous de Cameron ou du Mann de Heat. Question folie, son Bane masqué et musclé n’est pas assez méchant : le George Miller de Mad Max II, avec ses hors-la-loi aux crânes rasés nervurés, pourrait lui donner des leçons ! Et question noirceur, il descend moins profond que le Spielberg désenchanté de
Bref, ce Batman 3, malgré des qualités indéniables en ce qui concerne le brassage des personnages, des récits et l’orchestration des ellipses, manque tout de même de puissance de feu : il est un peu trop mainstream et pas assez aventureux, voire formaliste ; par exemple, les scènes de free fight sont d’un plan-plan ! Par contre, si on compare The Dark Knight Rises au piteux Catwoman (2003) de Pitof, alors on tient là un authentique chef-d’œuvre !
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