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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Boulgakov, le diable et l’Etat

Boulgakov, le diable et l’Etat

Je viens de terminer la lecture du célèbre livre de Boulgakov, « le maître et Marguerite ». le diable en est le personnage principal. Arrivé à Moscou sous les traits d’un artiste adepte de magie noire, il sème en quelques jours la panique sur la ville, brûlant, tuant, trichant et volant, au mépris des règles sociales représentant le bien et le mal couramment acceptées. L’illusion, la folie, le burlesque du diable et de ses acolytes sont tels qu’ils finissent par engloutir la réalité dans une sorte de tourbillon trouble fantastique et totalement dénué de sens.

Mais si le diable se comporte à première vue de la manière qu’on attend de lui, on s’aperçoit assez rapidement que ce dernier n’est pas totalement repoussant, et qu’après tout il est sans doute le personnage le plus franc de tous les personnages secondaires. En effet, on s’amuse assez de voir l’effet de ses actions diaboliques sur le comportements des êtres rationnels, qui n’ont d’autre choix que de se juger fous pour rester en accord avec leur rationnalité.
Le spectacle illusionniste et sa distribution de billets montrent la vénalité et la superficialité de ces êtres qui se voudraient irréprochables, et met à jour de nombreuses hypocrisies ou mensonges que la bienséance interdit pourtant de montrer.

Au fur et à mesure, on s’aperçoit que le diable, en réalité, n’est qu’une sorte de bras armé de la justice divine, et que son travail consiste en fait à punir le mensonge et l’égoïsme, valeurs qui sont pourtant celles de la société. On le voit très bien, la police et la justice terrestre sont incapables de concevoir la réalité autrement qu’à travers les règles édictées par le pouvoir, et cherchent donc à faire avant tout régner l’ordre. Expliquer ces évènements étranges ou funestes qui se produisent est moins important que le maintien de l’ordre public.

Seuls les deux personnages principaux sont vrais, presque « purs ». En quelque sorte « repérés » par Dieu, et c’est le diable qui est chargé de leur rendre justice. Mais ils passent un pacte avec ce dernier, et ne pourront accéder à la lumière divine. Pourtant, et selon la mansuétude divine, il leur sera, pour prix de leurs souffrances et de leur amour indéfectible, accordé le repos éternel.

C’est comme si les deux héros avaient été punis trop sévèrement par une société qui doit elle-même être punie. Ne pouvant, pour ne pas se rendre coupable envers la société, qu’abandonner Foi et Amour au profit de la bienséance (la pensée unique), il leur a été accordé d’être graciés par le ciel.

Mais le diable n’est pas l’ennemi de Dieu : il est le tentateur de la futilité et de la cupidité de l’homme. celui qui pêche c’est l’homme. le diable ne le contraint pas aux mauvaises actions, mais le met en face de ses contradictions. Dieu ne peut punir les hommes Lui-même, car autrement il ne serait pas le « Dieu bon » vanté par les textes. Le diable est l’instrument de Dieu, car il enquête, juge et punit. Mais il n’est ni injuste ni mauvais : il est lui-même abasourdi par ce qu’est devenu Moscou depuis sa dernière visite.

Le véritable « diable » de cette histoire, c’est le système supérieur ayant remplacé dieu, l’Etat. l’Etat qui laisse faire la corruption, qui censure toute contestation, qui enferme tout débordement, qui terrorise les citoyens, qui les rend égoïstes et vénaux. L’Etat écrase les hommes jusqu’à leur faire nier l’existence de Dieu, et aussi celle du diable. Enfermés parce qu’ils défendent un autre point de vue, ils finissent eux-mêmes par croire qu’ils sont dans l’erreur. c’est peut-être là le plus grand péché des deux héros : dans l’asile d’aliénés, le Maître en vient à se juger fou plutôt qu’à continuer à croire en son oeuvre. Et Marguerite en vient à accepter le Mal pour obtenir son amant.

La censure dont a été victime l’auteur, comme celle du Maître, les ont contraints à la misère et l’opprobre injustement, ce qui les a entraîné loin de la spiritualité. Le pacte avec le diable signifie à la fois la sortie de leurs tourments humains « inhumains », et l’entrée dans une nouvelle sorte de spiritualité, qu’ils payent de leur vie. Ils payent ainsi le prix de leur repos éternel de leur renoncement à la Foi, mais ils retournent en même temps à cette dernière. Le Maître souhaitant se détacher de son oeuvre finira par l’oublier, Marguerite souhaitant vivre avec son amour passera l’éternité avec lui. Mais juste avant cela, le Maître saura qu’il a vu juste sur Ponce Pilate (il n’aurait pas du renoncer), et Marguerite qu’elle ne lira jamais plus le Maître (elle aurait dû rester).

Par contre, l’Etat continuera de fonctionner comme avant la visite du diable, et le temps aura vite fait d’effacer les mystères entourant son passage...tout reprendra comme si de rien n’était, et les hommes continueront de se laisser guider non par leurs convictions spirituelles, mais par le système qui les corrompt. Seul le diable sait pourquoi !
 

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6 réactions à cet article    


  • Encorela Encorela 4 janvier 2010 12:03

    Tiens !
    on peut publier des avis sur des bouquins sur Agoravox ?
    J’ai proposé le 30 novembre la recension d’un bouquin offrant une vision historique et hétérodoxe de la crise actuelle.... Il s’agit de La Tiers-Mondialisation de la planète...
    Aucune réponse à ce jour...
    Visiblement dès qu’on sort des brèves de comptoir !!!


    • Alicar 4 janvier 2010 12:09

      Sympathy for the devil.


      • krolik krolik 4 janvier 2010 16:37

        Bouquin absolument génial.
        Lorsque je suis arrivé pour la première fois à Moscou, il y a bien longtemps, c’était l’URSS, le colonel qui me recevait m’a conseillé de lire Le Maitre et Marguerite que je ne connaissais pas, simplement pour comprendre l’URSS.
        Effectivement, le chat qui paie sa place dans le tramway et récupère sa monnaie..
        C’est complètement déjanté et très significatif de l’URSS et de l’âme slave.
        J’ai réuni quelques souvenirs sur l’URSS et la Russie ici mais c’est autre chose, c’est par le trou de la serrure..
        @+


        • bedaut 5 janvier 2010 12:10

          En fait, Boulgakov n’a pas vraiment été « contraint à la misère et à l’opprobre » à cause de la censure. Ses rapports avec Staline ont été un peu plus complexes. Il a notamment accepté un poste au théatre d’art sur la proposition de Staline, par peur d’être condamné au goulag. Il a aussi écrit une piece qui raconte la jeunesse du « militant héroique » Staline. Du coup la grande question du livre : « la lacheté est-il le plus grand de tous les défauts ? » a du hanter boulgakov mais ça ne l’a pas empêché de tenter de se rapprocher à nouveau du pouvoir vers la fin de sa vie.


          • caleb irri 5 janvier 2010 13:11

            @ bedaut

            oui c’est vrai, j’avais omis ce détail qui n’en est pas un. merci de le rappeler.


            • krolik krolik 5 janvier 2010 14:27

              Il faut rappeler qu’être une « personne en vue » et faire de l’ombre,même de très loin à Staline- Staline étant le phare unique- était une affaire difficile à gérer. Stalin aisant passer la ondeuse des purges très régulièrement, il suffisi davoir une petite notoiété quelque part et pouf..disparu.
              Staline appréciait le théâtre de Boulgakov, mais pas ses romans..
              Le seul manifestant soviétique anti-Staline- qui ait survécu, est à ma conaissance Lev Landau, physicien prestigieux, dont les oeuvres sont toujours à l’honneur dans les bibliothèques universitaires. Il s’est permis de distribuer des tracts dénonçant les Purges, sur la Place Rouge le 1er Mai 1938. Et il n’a pas été inquiété !!! Mais c’est un exploit inégalé.
              Mais Landau représentait la « Science » et le Communisme se voulait être scientifique..
              @+

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