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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Brassens, Jean Richepin et les gueux

Brassens, Jean Richepin et les gueux

Claude Gueux, une oeuvre de Victor Hugo était diffusée sur la deuxième chaîne le mardi 31 mars et c’est comme un signe dans une France de plus en plus injuste qui voit revenir les gueux. Victor Hugo fut le défenseur des faibles et des gueux. Après lui Jean Richepin, le poète breton écrivit "La chanson des gueux" que Brassens mettra en chanson, tout comme il reprendra un autre de ses poèmes.

Avec "Claude Gueux", le bien nommé, Victor Hugo dénonçait la peine de mort, presque toujours infligée d’ailleurs aux gueux. Georges Brassens la dénoncera aussi avec sa chanson "Le Gorille". Militant de première heure, il participe en 1972 à une soirée spéciale contre la peine de mort au Palais des sports de Paris. Il apprendra avec satisfaction et seulement 20 jours avant son trépas que l’abolition de la peine capitale est prononcée officiellement.  

Si Brassens était l’héritier d’Hugo et de Villon, il ne faut pas négliger l’influence des poètes intermédiaires que furent en particulier Tristan Corbière et Jean Richepin. Brassens s’inspira non seulement des oeuvres mais aussi de la personnalité de ces deux poètes bretons.

Ainsi quand, en 1967, il reçoit le Grand Prix de poésie de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre, il se dit honoré mais déclare : "Je ne pense pas être un poète… Un poète, ça vole quand même un peu plus haut que moi… Je ne suis pas poète. J’aurais aimé l’être comme Verlaine ou Tristan Corbière."

Mais c’est avec un autre poète breton, Jean Richepin (de la famille Richepin qui fut propriétaire de l’île Tristan jusqu’en 1911), que l’on peut comparer Brassens. Deux forces de la nature, deux poètes ayant commencé par épouser la cause anarchiste et finalement tous deux reconnus par l’Académie (Richepin finit même en académicien !). Les deux étaient inspirés par les voleurs et l’oeuvre de François Villon. Des thèmes communs se retrouvent chez les deux. Enfin, Georges Brassens, a adapté deux poèmes de Jean Richepin pour en faire des chansons.

Contrairement à Léo ferré qui adaptait les oeuvres des poètes célèbres (Rimbaud, Verlaine, Baudelaire, Rutebeuf...), Brassens préférait mettre en lumière des textes dénichés par lui et peu connus. Ainsi le poème "Les passantes" d’Antoine Pol. Il brûlait de connaître l’auteur de cette oeuvre qui mourut avant la rencontre organisée.

Brassens chante Jean Richepin

Jean Richepin est un poète peu fréquentable et c’est pourquoi peut-être Brassens, qui commença sa jeunesse par voler, l’a ressuscité. Jean Richepin, né en Algérie, était le fils d’un médecin breton. Ce colosse fut très tôt turbulent. Sitôt licencié en lettres, il devient franc-tireur, avec Jules Vallès comme maître à penser. La Chanson des gueux lui vaut un mois de prison et 500 francs d’amende et une réputation de Villon des temps modernes. Il s’attaque à tout ce qui est bourgeois et catholique. Son entrée à l’Académie française en 1909 le consacre comme "révolté officiel" mais désormais inoffensif. Membre des "bourreurs de crâne", avec, entre autres, Maurice Barrés, pendant la guerre 14-18, il deviendra la cible du tout nouvel hebdomadaire satirique de l’époque : Le Canard enchaîné. Le voici devenu "vieux con" ! Mais peu importe que son oeuvre soit aujourd’hui oubliée, puisqu’il reste dans nos têtes avec son poème Philistins mis en musique par Brassens, chanson reprise récemment par Renaud. 



Ce texte chanté par Brassens est tiré du recueil "La chanson des gueux" de Jean Richepin. En voici le texte :

Philistins.

Philistins, épiciers,
Tandis que vous caressiez
Vos femmes,

En songeant aux petits
Que vos grossiers appétits
Engendrent,

Vous pensiez : "Ils seront,
Menton rasé, ventre rond,
Notaires",

Mais pour bien vous punir,
Un jour vous voyez venir
Sur terre

Des enfants non voulus
Qui deviennent chevelus
Poètes.


"Les oiseaux de passage" est un autre poème de Jean Richepin mis en musique et interprété par Brassens et tiré aussi du recueil "La chanson des gueux".

Brassens a "coupé" dans le poème pour l’adapter au standard d’une chanson.



Les oiseaux de passage

Ô vie heureuse des bourgeois
Qu’avril bourgeonne
Ou que décembre gèle,
Ils sont fiers et contents

Ce pigeon est aimé,
Trois jours par sa pigeonne
Ça lui suffit il sait
Que l’amour n’a qu’un temps

Ce dindon a toujours
Béni sa destinée
Et quand vient le moment
De mourir il faut voir

Cette jeune oie en pleurs
C’est la que je suis née
Je meurs près de ma mère
Et je fais mon devoir

Elle a fait son devoir
C’est a dire que Onques
Elle n’eut de souhait
Impossible elle n’eut

Aucun rêve de lune
Aucun désir de jonque
L’emportant sans rameurs
Sur un fleuve inconnu

Et tous sont ainsi faits
Vivre la même vie
Toujours pour ces gens là
Cela n’est point hideux

Ce canard n’a qu’un bec
Et n’eut jamais envie
Ou de n’en plus avoir
Ou bien d’en avoir deux

Ils n’ont aucun besoin
De baiser sur les lèvres
Et loin des songes vains
Loin des soucis cuisants

Possèdent pour tout coeur
Un vicere sans fièvre
Un coucou régulier
Et garanti dix ans

Ô les gens bien heureux
Tout à coup dans l’espace
Si haut qu’ils semblent aller
Lentement en grand vol

En forme de triangle
Arrivent planent, et passent
Où vont ils ?... qui sont-ils ?
Comme ils sont loins du sol

Regardez les passer, eux
Ce sont les sauvages
Ils vont où leur désir
Le veut par dessus monts

Et bois, et mers, et vents
Et loin des esclavages
L’air qu’ils boivent
Ferait éclater vos poumons

Regardez les avant
D’atteindre sa chimère
Plus d’un l’aile rompue
Et du sang plein les yeux

Mourra. Ces pauvres gens
Ont aussi femme et mère
Et savent les aimer
Aussi bien que vous, mieux

Pour choyer cette femme
Et nourrir cette mère
Ils pouvaient devenir
Volailles comme vous

Mais ils sont avant tout
Des fils de la chimère
Des assoiffés d’azur
Des poètes des fous

bis
Regardez les vieux coqs
Jeune Oie déifiante
Rien de vous ne pourra
Monter aussi haut qu’eux

Et le peu qui viendra
D’eux à vous
C’est leur fiante
Les bourgeois sont troublés
De voir passer les gueux

Cette chanson a été reprise par Maxime Leforestier et par Renaud.






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14 réactions à cet article    


  • La Taverne des Poètes 1er avril 2009 10:38

    Ballade du Roi des Gueux

    Venez à moi, claquepatins,
    Loqueteux, joueurs de musettes,
    Clampins, loupeurs, voyous, catins,
    Et marmousets, et marmousettes,
    Tas de traîne-cul-les-housettes,
    Race d’indépendants fougueux !
    Je suis du pays dont vous êtes :
    Le poète est le Roi des Gueux.

    Vous que la bise des matins,
    Que la pluie aux âpres sagettes,
    Que les gendarmes, les mâtins,
    Les coups, les fièvres, les disettes
    Prennent toujours pour amusettes,
    Vous dont l’habit mince et fongueux
    Paraît fait de vieilles gazettes,
    Le poète est le Roi des Gueux.

    Vous que le chaud soleil a teints,
    Hurlubiers dont les peau bisettes
    Ressemblent à l’or des gratins,
    Gouges au front plein de frisettes,
    Momignards nus sans chemisettes,
    Vieux à l’oeil cave, au nez rugueux,
    Au menton en casse-noisettes,
    Le poète est le Roi des Gueux.

    ENVOI

    Ô Gueux, mes sujets, mes sujettes,
    Je serai votre maître queux.
    Tu vivras, monde qui végètes !
    Le poète est le Roi des Gueux.

    Jean Richepin


    • Marsupilami Marsupilami 1er avril 2009 10:47

       @ Taverne

      Bon article. A noter que le vrai Claude Gueux était sensiblement différent du personnage qu’en a fait Hugo pour la bonne cause. Brassens et Richepin forment un excellent duo !


      • La Taverne des Poètes 1er avril 2009 11:00

        Cela dit, cette note est écrite de la main du directeur de la prison de Clairvaux !


      • La Taverne des Poètes 1er avril 2009 11:04

        J’aurais bien aimé que Brassens mette en musique la Ballade du Roi des Gueux dont j’ai reproduit le texte ci-dessus. Texte excellent par le vocabulaire, les sonorités, la métrique. Richepin était un fort en thème à l’école et il a fait l’Ecole normale supérieure. On sent la patte de l’homme à la fois très cultivé et proche du bas peuple et de l’encanaillement. Je pense que Brassens l’admirait pour cela.


      • Marsupilami Marsupilami 1er avril 2009 11:13

         @ Taverne

        Bien sûr, et ce n’est pas un gage d’objectivité parfaite ! Je n’ai fait ce lien que pour donner un éclairage d’époque différent. Voir aussi cette intéressante étude.


      • jason 1er avril 2009 11:01

        Sauf que jean Richepin n’est pas un poète breton...né en algérie, mort à Paris...c’est sa famille qui est originaire de bretagne.


        • La Taverne des Poètes 1er avril 2009 11:05

          Ce n’est qu’un détail.


        • sisyphe sisyphe 1er avril 2009 11:30

          Merci d’évoquer le peu connu et génial Richepin, dont l’écriture, outre Brassens, a certainement influencé également L.F. Celine, et contribué à engendrer le roman moderne

          Cependant, l’opposition que vous faites entre Ferré et Brassens n’est pas vraiment pertinente : faut-il rappeler que les deux ont, également, mis en musique des oeuvres de Louis Aragon (tout comme Jean Ferrat, d’ailleurs), contribuant, chacun à leur manière, à populariser la poésie et les auteurs, auprès d’un large public. 

          Ferré a, par ailleurs, également mis en musique un texte de Rutebeuf, qui n’était pas, à proprement parler, à l’époque, un poète très populaire...

          Ici, un texte, dont la parenté vis à vis de certains textes de Brassens ’(La mauvaise réputation, La mauvaise herbe, Le vin, etc...) ne peut être niée

           Nul ne peut dire où je juche :
          Je n’ai ni lit ni hamac.
          Je ne connais d’autre huche
          Si ce n’est mon estomac.
          Mais j’ai planté mon bivac
          Dans le pays de maraude,
          Où sans lois, sans droits, sans trac,
          Je suis le bon gueux qui rôde.
           
          Le loup poursuivi débuche.
          Quand la faim me poursuit, crac  !
          Aux œufs je tends une embûche :
          Les poules font cotcodac
          Et pondent dans mon bissac.
          Puis dans une cave en fraude
          Je bois vin, cidre ou cognac.
          Je suis le bon gueux qui rôde.
           
          Quand j’ai sifflé litre ou cruche,
          Ma cervelle est en mic-mac  ;
          Bourdonnant comme une ruche,
          Mon sang fait tic-tac tic-tac.
          Alors je descends au bac
          Où chante quelque faraude
          Qui me prend pour son verrac.
          Je suis le bon gueux qui rôde.
           
                Envoi
           
          Prince au cul bleu comme un lac,
          Cogne dont l’œil me taraude,
          Pique des deux, va  ! Clic, clac  !
          Je suis le bon gueux qui rôde.


          • Fergus fergus 1er avril 2009 18:02

            Brassens, comme Ferré, a rendu hommage à de grands poètes, parfois méconus comme Antoine Pol. Mais à la différence de Ferré, Brassens a écrit la plupart de ses textes et certains sont de vrais bijoux, dignes des poètes qu’il a chantés par ailleurs.

            Merci, La Taverne, pour cet article. 


          • sisyphe sisyphe 1er avril 2009 18:45

            Euh..... 

            Certes, toutes les chansons de Ferré ne sont pas nécessairement sur des textes de lui, certes, les textes de Brassens sont des pièces d’orfèvrerie, mais je ne vois pas ce qui permettrait de les opposer ; connaissez vous les textes de Ferré lui-même, et diriez vous que ce ne sont pas, également, parmi les plus beaux textes de la chanson française ? 


          • maxim maxim 1er avril 2009 11:51

            voici venir l’hiver ,tueur de pauvres gens

            ,ainsi qu’un dur baron précédé de sergents

            il fait pour l’annoncer ,courir le long des rues

            la gélée aux doigts blancs et aux bises bourrues .


            on avait appris cette récitation de Jean Richepin en 1954 à l’occasion de l’hiver rigoureux d’alors !


            • foufouille foufouille 1er avril 2009 20:20

              @ taverne
              bon article

              soyons fier d’etre des gueux
              promenons nous avec nos vetements troues
              et crachons sur les fils de bourgeois


              • ASINUS 2 avril 2009 06:55

                yep , la Taverne yep
                petite contribution

                 Holà, marchons les gueux,
                Errant sans feu ni lieu,
                Bissac et ventre creux,
                Marchons les gueux,




                Kyrie eleison miserere nostri.

                Bissac et ventre creux,
                Aux jours calamiteux,
                Bannis et malchanceux...

                Bannis et malchanceux,
                Maudits comme lépreux,
                En quête d’autres cieux...

                En quête d’autres cieux,
                Rouleux aux pieds poudreux,
                Ce soir chez le Bon Dieu
                Frappez les gueux ! ...

                Ce soir chez le Bon Dieu,
                Errant sans feu ni lieu,
                Bissac et ventre creux
                Entrez les gueux ! ...


                • pruliere pruliere 4 avril 2009 09:38

                  Merci à l’auteur pour cet article. J’ignorais quasiment tout de Richepin, par paresse. Et pourtant, "Les oiseaux de passage" est de loin mon morceau préféré de Brassens, que j’admire. Le texte est une véritable merveille et la fin est d’une philosophie rare en ces jours !

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