D’un coup d’un seul, deux Pierrot sont partis !
« D’une pierre, deux coups ! », s’est dit la Mort : elle a frappé deux Pierre d’un coup ! Et deux Pierrot s’en sont allés, deux Pierrot qui ont enchanté la France par leurs mots. Deux paroliers. Le premier, Pierre Louki, fut emporté par la Grande Faucheuse jeudi 21 décembre, à l’âge de quatre-vingts ans. Le second, Pierre Delanoë, l’a suivi dans la nuit de mardi à mercredi d’un arrêt cardiaque, à l’âge de quatre-vingt-huit ans. Tout différenciait ces deux Pierrot bien dissemblables. Quand l’un enchaînait tube sur tube et courait après la fortune, l’autre préférait s’amuser avec les mots dans son coin, de façon un peu désuette, il est vrai, mais c’était la voie qu’il s’était choisie. Pierrot, le plus Pierrot des deux, s’en est allé rejoindre son ami Georges au paradis des poètes disparus. La Camarde a eu raison de lui.
Est-il nécessaire de présenter Pierre Delanoë ? Il fit chanter la France entière sur ses mégatubes : pour Bécaud (Et maintenant, Nathalie, L’orange, Dimanche à Orly, La solitude, ça n’existe pas), pour Auffray (L’épervier, Stewball, Les crayons de couleur), pour Fugain (Je n’aurai pas le temps, Une belle histoire, Fais comme l’oiseau, Attention mesdames et messieurs, Bravo monsieur le monde), pour Polnareff (Le bal des Laze, Je suis un homme), pour Dassin (L’été indien, Les Champs Elysées, L’Amérique, Et si tu n ’existais pas, A toi, Ca va pas changer le monde), pour Lenorman (La ballade des gens heureux, Si j’étais président, Quelque chose et moi), pour Sardou (Les vieux mariés, Le curé, Les villes de solitude, Le France, Les lacs du Connemara, La java de Broadway, En chantant, Etre une femme, Vladimir Illitch, J’accuse), et pour d’autres encore : Aimons-nous vivants, Derrière l’amour, Il est mort le soleil, Une femme avec toi, L’amour en héritage, Je chante avec toi liberté. Et tant et tant encore qu’il faudrait mettre des "et caetera" partout... Et pourtant !
Et pourtant, si Pierre Delanoë était surnommé aussi "l’ami Pierrot "par les vedettes de la chanson qui lui doivent tant de succès, c’était surtout en remerciement de leur comptes en banque bien fournis en partie grâce à lui, et comme une étiquette commerciale qu’elles lui apposaient. Le seul vrai Pierrot, c’était Pierre Louki ! Georges Brassens le considérait ainsi. Pierre Louki, comédien, auteur de chansons et chanteur, avait débuté en 1955 par un succès pour Lucette Raillat, La môme aux boutons. Puis il s’effaça quelque peu, quelque peu beaucoup.... Fait rare, il collabora avec deux monstres sacrés : Brassens et Gainsbourg. Avec ce dernier, il écrivit La main du masseur et Strip please. Mais quand on lui demandait quelle avait été sa plus grande réussite, Louki, répondait toujours : " Avoir été l’ami de Georges Brassens ". La réciproque était aussi vraie. Pierre ne se vantait jamais de la profonde estime et de l’amitié de Georges Brassens qui le disait "artiste rare et scrupuleux" et qui lui donna deux musiques dont il fit Charlotte ou Sarah et Le cœur à l’automne. Brassens inspira Louki qui fit une chanson posthume sur leurs relations : Allô viens je m’emmerde inspirée de leur amitié : Georges l’appelait au téléphone en lui disant "Je m’emmerde, viens t’emmerder avec moi si tu en as envie !". Louki écrivit des textes pour son ami Georges du temps de son vivant. Aujourd’hui, Georges qui n’en est pas moins vivant qu’avant, l’accueille en "éternel estivant qui fait du pédalo sur la plage en rêvant", qui passe sa mort en vacances. Louki disait aimer les arbres et les ânes, et détester les cons, comme du reste Brassens. Hugues Auffray lui rend hommage par ces mots : "Je pense que Pierre n’a pas fait la carrière qu’il méritait, non pas pour n’avoir pas su renouveler le succès populaire qu’il avait facilement obtenu avec La môme aux boutons... Non... de cette réussite-là basée sur un malentendu, il ne voulait pas ! En revanche, la reconnaissance du milieu des intellectuels critiques et éditeurs de littérature poétique, soi-disant spécialistes de la poésie chantée, lui a certainement manqué." Le dernier dernier disque de Pierrot Louki, Vers bissextiles, a été produit par Pierre Barouh. Encore un Pierre ! C’est à croire que le prénom est une prédisposition (Pierre Bachelet, Pierre Perret, entre autres). Sous le label de la maison de disque de Barouh (Saravah), un chanteur que je connais, Eric Guilleton, produit ses albums. Louki avait écrit pour Eric deux textes pour son disque Et s’il était deux fois. Titre d’album qui convient idéalement à l’histoire du double Pierrot que je vous viens de vous conter, n’est-ce pas ?
Mais désormais les troubadours devront se trouver un autre Pierrot pour écrire leurs paroles de chansons : "Au clair de la lune, mon ami Pierrot, prête-moi ta plume pour écrire un mot. Ma chandelle est morte, je n’ai plus de feu." Feu le Pierrot vous salue !
17 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON